En s’attaquant frontalement à la Chine, désormais désignée ennemie numéro 1 de l’économie américaine, le président Trump fait une fois de plus voler en éclats le consensus international. Historien spécialiste des États-Unis et directeur d’études à l’EHESS, Romain Huret revient sur les possibles effets de ce bras de fer sur une Europe où la tentation protectionniste semble plus forte que jamais.

Décideurs. S’engager dans une guerre commerciale avec la Chine constituait une promesse de campagne pour Donald Trump, quel en est l’objectif ?

Romain Huret. Pour lui, la compétition internationale est faussée par des lois fiscales inéquitables qui mènent les entreprises américaines à délocaliser dans des pays à moindre coût alors que, pendant ce temps, les produits chinois inondent le marché domestique. Tout l’enjeu de ce bras de fer consiste donc à faire revenir les emplois sur le sol américain. En désignant la Chine comme la menace, Trump met un coup d’arrêt à la tradition libre-échangiste. Jusqu’à maintenant l’Amérique était fascinée par le potentiel de consommation de la Chine ; désormais c’est son potentiel de destruction qui est pointé.

Derrière ce bras de fer se trouve donc un enjeu de compétitivité ?

De compétitivité et de concurrence déloyale, oui. Ce que Trump dénonce c’est le jeu inégal qui se joue avec la Chine. Il veut rééquilibrer l’échange. Il faut savoir que, longtemps, les droits de douanes ont financé les États ; aux États-Unis c’était le cas jusqu’à ce qu’en 1913 apparaisse l’impôt sur le revenu. Trump a envie de revenir à ça. Et comme l’Organisation mondiale du commerce a montré qu’elle ne parvenait pas à réguler les échanges, alors il passe à l’offensive comme à son habitude : avec des décisions unilatérales.

Quelle peuvent être les conséquences de ces tensions en Europe ?

Si le bras de fer se poursuit entre les deux premières puissances mondiales, le risque de déstabilisation est élevé pour nous. En attendant, l’Europe est confrontée aux mêmes risques que ceux dénoncés par Trump pour les États-Unis : nous aussi on sacrifie notre appareil productif, on délocalise nos emplois, surtout ceux qui sont faiblement qualifiés et, finalement, on fragilise nos démocraties, comme le montre la crise des gilets jaunes.

Pour l’heure, quelle est la position européenne face à cette guerre commerciale ?

Je pense qu’en Europe on applaudit discrètement aux mesures de Trump qui, de son côté, essaie clairement de nous convaincre de le suivre. On sent bien que, partout au sein de l’Union, le dogme libre-échangiste se fissure : de plus en plus de partis d’extrême gauche et d’extrême droite défendent des positions protectionnistes et il est clair que les mesures de Trump vont légitimer leur discours, d’autant plus que, depuis deux ans, les indicateurs du marché américain sont au beau fixe. En attendant, la Chine représente un marché d’un milliard de consommateurs et donc un potentiel d’exportation considérable pour les entreprises européennes même si, ici aussi, les règles de la concurrence sont faussées puisque la Chine ne répond pas aux mêmes obligations sociales, environnementales et économiques que nous.

"L'UE a un rapport compliqué à la Chine qui est à la fois un marché où l'on veut être présent et un ennemi auquel on a sacrifié des régions entières"

Qu’en est-il de la France ?

Pour l’heure nous sommes sur une position attentiste. Le Président Macron sait bien que, derrière la crise des gilets jaunes, c’est la question de la mondialisation qui se pose, du coût de l’emploi et du travail, des délocalisations et donc, de notre rapport à la Chine. Il ne l’aborde pas parce que c’est un sujet explosif. D’un côté on ne peut, socialement, s’aligner sur la Chine, de l’autre on ne peut sacrifier les entreprises qui y sont implantées en s’engageant dans un bras de fer… Comme le reste de l’Europe on a un rapport compliqué à ce pays qui est à la fois un marché où l’on veut être présent et un ennemi auquel on a sacrifié des régions entières. Là où beaucoup tergiversent, Trump a tranché et il l’a fait en faveur de l’emploi. En Europe, on continue pour l’instant à privilégier l’autre versant mais ça pourrait ne pas durer.

Propos recueillis par Caroline Castets

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