La propriété intellectuelle protège l’innovation et la créativité. L’inverse est également vrai. L’arsenal d’outils technologiques entre les mains des juristes IP améliore la valorisation des actifs immatériels.

Les spécialistes de la propriété intellectuelle sont aux premières loges du théâtre de l’innovation. Parce que leur matière et les services avec lesquels ils travaillent (ingénieurs, commerciaux, communicants, etc.) connaissent des bouleversements continuels au gré des évolutions technologiques, les juristes IP constituent un public enthousiaste au changement lorsque celui-ci a vocation à améliorer leur quotidien.

Gérer les projets en collaboration

Le juriste a besoin de suivre la vie des titres et des droits de propriété intellectuelle ainsi que celle des partenariats de son portefeuille. Or, les schémas de répartition et d’exercice des droits se complexifient. Par exemple, dans le domaine de la recherche et du développement (R&D), le monde est beaucoup plus collaboratif qu’avant dans le sens où de nombreuses innovations sont développées en copropriété. La titularité des droits ainsi que l’exploitation des actifs immatériels sont alors partagées entre différents acteurs.

En outre, les équipes opérationnelles qui travaillent à la création et à la recherche d’innovation fonctionnent bien souvent selon des méthodes agiles. La conséquence est directe pour le juriste : il intervient dans un environnement moins prédictible et l’on exige de lui une réactivité toujours plus grande. Il doit sans cesse communiquer avec ses équipes et s’ouvrir aux métiers en interne (ingénieurs, communicants, commerciaux principalement) pour coller à la réalité du terrain. « C’est en cela que le numérique est utile, précise Dominique Bazi, juriste en charge de la propriété intellectuelle et de l’innovation chez Alstom. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que l’outil doit respecter les exigences de confidentialité et garantir la sûreté des données et ainsi répondre à deux exigences : sécurité et ouverture. »

Optimiser les portefeuilles

Pour rationaliser les coûts liés au dépôt et au renouvellement des droits, l’équipe d’Alstom utilise un outil qui centralise les portefeuilles de marques et de noms de domaines. Cette solution a été personnalisée au fil de l’eau et réalisée en collaboration avec ses trois prestataires (cabinet d’avocats, conseil en propriété industrielle, bureau d’enregistrement).

D’un point de vue macro-économique, bon nombre de signes enregistrés ou d’inventions brevetées ne sont pas exploités. Partant de ce constat, la conseillère en propriété industrielle Nadège Parfait a créé IP Transfer, une plateforme de mise en relation entre vendeurs de titres de propriété industrielle et acheteurs, tout en proposant un accompagnement contractuel et procédural devant les offices dédiés. En facilitant la rencontre entre l’offre et la demande, elle espère valoriser utilement le potentiel des actifs dormants.

Sécuriser les créations

Par ailleurs, la propriété intellectuelle protège les créations si tant est que l’on prouve son droit. La blockchain est un instrument plébiscité en matière probatoire. Ces « chaînes de blocs » sont une sorte de grande base de données décentralisée et contrôlée de manière collective, sur le principe du pair-à-pair (peer-to-peer). Ils permettent le stockage et la transmission d’informations de manière sécurisée et transparente, sans organe central de contrôle. La data y est inscrite de manière infalsifiable, indélébile et intemporelle.

Plusieurs entreprises développent des solutions de preuve en s’appuyant sur cette technologie. C’est le cas par exemple d’Ipocamp ou de Blockchainyourip qui mettent à disposition des entreprises et des indépendants une solution de certification de l’antériorité et de la paternité d’une œuvre. Là où les enveloppes Soleau et e-Soleau proposées par l’Inpi sont payantes et limitées dans le temps, ces jeunes pousses donnent la possibilité de déposer des œuvres sur leur plateforme de façon gratuite et illimitée (dans la limite d’un certain volume de fichiers). La souscription à un abonnement permet d’obtenir également des conseils juridiques, une plateforme de gestion optimisée et/ou de déposer un volume d’œuvres plus important.

Du côté des brevets, « un moment clé du processus est aujourd’hui source d’incertitude », témoigne Dominique Bazi. Il s’agit de la période entre la déclaration d’invention et le dépôt de demande de brevet. L’équipe dédiée à la propriété intellectuelle et à l’innovation chez Alstom mène actuellement une réflexion sur l’utilisation de la blockchain pour sécuriser les innovations avant le dépôt de la demande de brevet, mais également pour protéger les créations qui ne sont pas protégeables par titre (les logiciels par exemple). 

Automatiser les contrats

En ce qui concerne la rédaction de contrats, « l’automatisation est opportune pour toutes les opérations à faible risque et à faible valeur ajoutée juridique », note Dominique Bazi. Dans cette démarche, des outils d’aide à la rédaction d’accords de collaboration ont notamment été mis à la disposition des juristes du géant du transport.

Chez Ubisoft, les accords de confidentialité et les contrats de licencing out (marques) ont été automatisés. Les power users, soit les opérationnels utilisant régulièrement ces contrats, ont directement été impliqués dans la réalisation de ces outils d’automatisation. La cellule d’innovation juridique d’Ubisoft pilotée par Geoffrey Delcroix et notamment composée d’un développeur full stack, d’une personne en charge de la communication, du learning et de l’awareness et d’une designeuse s’apprête à lancer en production un autre outil d’automatisation qui lit les conditions d’utilisation de licences open source. Conditions qui sont en fait des contrats relativement simples dont l’analyse des mots-clés permet de dégager les obligations principales.

Selon Jean-Michel Melan, juriste IT du géant du jeu vidéo et membre de cette cellule, « ces outils d’automatisation présentent une difficulté technique moyenne dans leur élaboration. Nous faisons appel à des legaltechs dès lors que l’outil doit comporter des éléments d’intelligence artificielle plus poussée. »

Valoriser la fonction juridique

L’offre de services est parfois très complète du côté legaltech. Yesmypatent par exemple couvre toutes les étapes de la vie d’une invention. Sur une plateforme sécurisée, l’utilisateur peut bénéficier d’une étude de brevetabilité de l’invention et de la prise en charge de toutes les formalités de dépôt de brevet devant l’Institut national de la propriété industrielle, l’Office européen des brevets ou encore l’Office mondial de la propriété intellectuelle. La formule la plus complète inclut également la gestion de la vie du brevet.

Des solutions si universelles qu’il existe un risque que les fonctions des juristes IP soient externalisées ? En réponse à cette menace, Ubisoft emploie par exemple depuis 2013 une plateforme juridique intégrant un outil de création de demande juridique et de suivi inspiré du modèle du ticketing en assistance informatique. « À terme, la fonction juridique a besoin de démontrer qu’elle n’est pas seulement un poste de dépenses, mais également un centre de profits, défend Dominique Bazi. La legaltech peut rendre la fonction juridique plus performante. » Par exemple, un outil de gestion automatisée des contrats permettrait de mettre en place les pénalités et les royalties de manière effective.

D’une manière générale les legaltechs permettent aux juristes de gagner du temps et de se concentrer sur les tâches à haute valeur ajoutée. Reste à trouver laquelle répond exactement aux besoins identifiés.

Romane Gagnant

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