Cela aurait pu être un trajet en avion comme les autres. Mais une valise perdue à l’aéroport de Marseille finira par mettre à jour un vaste réseau de corruption d’agents du fisc de plusieurs pays d’Afrique au sein de la société Bourbon. Et par placer le propriétaire de la valise, qui n’est autre que le directeur fiscal de la société, sur le banc des accusés.

Lundi 18 mars, s’est ouvert un procès qui rappelle la vulnérabilité des entreprises aux affaires de corruption : celui de l’ex-directeur fiscal de Bourbon, société de services maritimes pour l’offshore pétrolier, et de son ex-employeur, accusés de corruption d’agents publics étrangers. Reporté dès le lendemain pour vice de procédure, le procès porte sur des faits qui remontent à octobre 2012. À l’aéroport de Marseille, les douaniers ouvrent un bagage en provenance du Nigeria. Ils y trouvent 250 000 dollars en liasses de billets de 100 dollars. La valise appartient à Marc Cherqui, alors directeur fiscal de Bourbon, qui avoue aux agents lors de sa garde à vue qu’il s’agit du reliquat d’une commission versée pour le compte de Bourbon à des agents de l’administration fiscale nigériane.

« Une volonté assumée de soustraction au paiement des impôts »

En droit français, l’infraction de corruption active d’agents publics étrangers existe depuis l’an 2000, année de la ratification de la Convention de l'OCDE contre la corruption. « Avant cela, seule la corruption interne était incriminée, rappelle Thierry Marembert, avocat au sein du cabinet Kiejman & Marembert. Les dépenses de corruption étaient même déductibles des impôts. » Mais les difficultés à recueillir des preuves à l’étranger ont souvent fait obstacle aux poursuites. « Il y a eu un élargissement progressif des incriminations de corruption et des peines applicables », commente l’avocat. En 2016 naît le délit de trafic d’influence. Les amendes elles aussi gonflent avec les années : la note peut monter, pour les personnes physiques, jusqu’à un million d’euros, qui peut être augmenté au double du profit généré par la commission de l’infraction. Pour les sociétés, les amendes peuvent être multipliées par cinq.

Dans l’affaire Bourbon, Marc Cherqui n’est pas seul sur le banc des accusés. Dans son ordonnance de renvoi, le juge d’instruction Guillaume Cotelle écrivait que Bourbon était « animé d’une volonté effective et assumée de soustraction au paiement des impôts légitimement dus ». Et justifiait ainsi la comparution de la société aux côtés de son ex-directeur, et de sept autres cadres dirigeants du groupe. Une double poursuite qui n’est pas systématique en France mais gagne du terrain : « Aux États-Unis, la politique est clairement établie et les personnes morales comme physiques sont poursuivies. En France, ce n’est pas aussi figé, mais les tribunaux tendent vers cette même pratique », commente Thierry Marembert. Cela a par exemple été le cas récemment dans le dossier Technip, poursuivi pour des faits de corruption au Brésil et en Afrique.

3,2 millions de dollars à des agents du fisc

Les faits reprochés à Bourbon se sont déroulés entre 2011 et 2012 – le groupe est accusé d’avoir fait verser des pots-de-vin pour un total de 3,2 millions de dollars, parfois directement à des agents publics, parfois à des intermédiaires. Environ 150 000 euros auraient ainsi été versés à deux inspecteurs fiscaux au Cameroun pour échapper à un redressement de 11 millions d’euros. En Guinée équatoriale, ce sont 400 000 euros qui auraient été versés à un intermédiaire pour faire passer un redressement fiscal de 8 millions d’euros à un peu moins de 45 000 euros. Au Nigeria, des fonctionnaires auraient reçu 2,7 millions de dollars pour permettre au groupe de ramener un redressement fiscal sur deux de ses filiales à 4,5 millions de dollars, contre 227 millions de dollars initialement.

Un système de corruption qui devient de plus en plus difficile à pratiquer, notamment grâce à la multiplication des programmes de compliance. Initialement venus des Etats-Unis, qui renforcent dès les années 2000 les obligations des entreprises en matière de conformité, ils sont désormais une obligation légale en France. La loi Sapin II a rendu obligatoire la mise en place de programmes de prévention de la corruption en 2016, pour les groupes totalisant plus de 500 salariés, ou un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros. « Ces programmes rendent en effet la corruption plus difficile, confirme Thierry Marembert. Mais dans certains pays, il n’est pas simple de faire du business quand elle est endémique et que la concurrence ne joue pas selon les mêmes règles. » Par exemple, la Chine, très présente en Afrique, n’a pas ratifié la convention de l’OCDE. « Cela crée une concurrence déloyale qui rend parfois difficile la lutte anti-corruption au sein des groupes », nuance l’avocat. Dans un monde qui réclame une transparence de plus en plus grande, les risques sont financiers, certes, mais également réputationnels. La justice dira si les cadres de Bourbon et leur ex-employeur sont coupables. Le temps dira, lui, si le groupe aux 860 millions d’euros de chiffre d’affaires gardera des séquelles de l’affaire.

Camille Prigent (@camille_prigent)

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