Les récentes décisions rendues par la Cour de cassation au sujet du régime probatoire des heures supplémentaires rappellent avec fermeté la vigilance dont doivent faire preuve les employeurs en matière de durée du travail.

La décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation le 18 mars 2020 (pourvoi n° 18-10.919) semble avoir réveillé les consciences en rappelant aux employeurs qu’il leur appartenait d’assurer l’effectivité du contrôle du temps de travail des salariés qu’ils emploient. Cette obligation n’a pourtant jamais disparu. En rééquilibrant le droit de la preuve en matière de contentieux des heures supplémentaires, la Cour de cassation ne fait qu’appliquer les textes et rappeler aux employeurs que le sujet de la durée du travail est particulièrement sensible, celui-ci étant susceptible d’avoir un impact sur la santé et la sécurité des salariés. Or, on le sait, l’employeur est en charge d’une obligation de sécurité de moyen renforcée à l’égard de ses salariés.

Les dispositions légales relatives à la preuve en matière d’heures supplé-mentaires n’ont pas été modifiées de-puis 2008. L’article L.3171-4 du Code du travail dispose que "en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de tra-vail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles."

En 1996, la Cour de cassation précisait déjà que "la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties. Le juge ne peut donc, pour rejeter une demande en paiement d’heures supplémentaires, se fonder exclusivement sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié ; il doit examiner les éléments que l’employeur est tenu de lui fournir, de nature à justifier les horaires effectivement réalisés" (Cass. soc. 3 juil. 1996, n° 93-41.645). Cette position a été confirmée par une décision du 25 février 2004 ajoutant à cet effet que "il appartient au salarié qui demande le paiement d’heures supplémen-taires de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande" (Cass. soc. 25 fév. 2004, n° 01-45.441). La Cour de cassation précisera quelques années plus tard que le salarié doit présenter des éléments factuels, pouvant être établis par ses soins, afin que l’employeur y réponde utilement, celui-ci devant contrôler le temps de travail de ses salariés (Cass. soc. 24 nov. 2010, n° 09-40.928). Ainsi, il était déjà régulièrement rappelé qu’il incombe à l’employeur, quelles que soient les modalités d’organisation du temps de travail du salarié, de contrôler le temps de travail et d’être en mesure de justifier du nombre d’heures effective-ment travaillé par les salariés.

"L’employeur est en charge d’une obligation de sécurité de moyen renforcée à l’égard de ses salariés"

Une récente décision de la CJUE a motivé la clarification du régime probatoire en matière d’heures supplémentaires (CJUE 14 mai 2019, n° C-55/18) appliqué par la jurisprudence française. Dans cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne était interrogée sur l’interprétation des dispositions relatives à certains aspects de l’aménagement du temps de travail et plus particulièrement à la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs. Aux termes de cette décision, les dispositions légales européennes doivent être interprétées en ce sens "qu’elles s’opposent à une réglementation d’un État membre qui, selon l’interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n’impose pas aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur".

À la suite de cette décision, la Cour de cassation a décidé d’abandonner la notion d’étaiement, notion peu juridique ayant pu auparavant porter à confusion, et de la remplacer par celle de présenta-tion (note arrêt du 18 mars 2020, n° 18-10.919). Cette position a récemment été confirmée. Ainsi, "en cas de litige, relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments" (Cass. soc. 27 janv. 2021, n° 17-31.046). La jurisprudence en revient à une appréciation plus stricte des dispositions de l’article L.3171-4 du Code du travail, considérant que l’obligation de contrôle du temps de travail de l’employeur lui impose d’être en mesure de produire des éléments permettant de déterminer la durée de travail effective du salarié (Cass. soc. 20 janv. 2021, n° 19-21.755 ; Cass. soc. 18 mars 2020, n° 18-10.919 ; Cass. soc. 8 juil. 2020, n° 18-26.385). Il en résulte que la demande d’un salarié ne pourra être rejetée par les juges du fond au seul motif que les éléments présentés par celui-ci ne sont pas suffisants à présumer la réalité de ses demandes. Dès lors que le demandeur produit des éléments suffisamment précis, et il convient d’interpréter cette notion largement compte tenu des décisions rendues en la matière, l’employeur devra être en mesure de les contester en présentant des documents établissant les heures ef-fectivement travaillés. À cet égard, un décompte d’heures (Cass. soc. 24 mai 2018, n° 17-14.490), des relevés de temps quotidiens (Cass. soc. 19 juin 2013, n° 11-27.709), des fiches de saisie informatique enregistrées sur l’intranet de l’employeur contenant le décompte journalier des heures travaillées (Cass. soc. 24 janv. 2018, n° 16-23.743) constituent des éléments suffisamment précis.

Les récentes décisions rendues au sujet du régime probatoire des heures supplémentaires interpellent plus largement les employeurs sur leur obligation en matière de durée du travail. La Cour de cassation fait preuve d’une réelle fermeté en matière de respect par l’employeur de son obligation de contrôle du temps de travail. La Haute juridiction a d’ailleurs ces dernières années exercé un contrôle strict des dispositions conventionnelles servant de fondement aux conventions individuelles de forfaits jours. Ont ainsi été invalidées les me-sures conventionnelles n’assurant pas une "garantie du respect des durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires" (Cass. soc. 24 mars 2021, n° 19-12.208), une amplitude et une charge de travail adaptée "raisonnables" ainsi qu’une bonne répartition du travail dans le temps (Cass. soc. 26 sep. 2012, n°11-14.540). 

Par Elsa Lederlin, avocate associée, Delsol Avocats

Prochains rendez-vous
Décideurs RH

3 juillet 2024
Talents !
Le nouvel événement du recrutement, de la gestion des carrières et du Comp&Ben
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP ● REMISE DE PRIX 
Voir le site »

2 octobre 2024
Rencontres du droit social
Le rendez-vous des acteurs du droit social
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP 
Voir le site »

 

Novembre 2024

Les Victoires du Capital humain
L'incontournable des directions RH
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP ● REMISE DE PRIX 
Voir le site » 

 

Avril 2025

U-Spring, Le Printemps des universités d'entreprises
Le rendez-vous incontournable de la formation professionnelle
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP ● REMISE DE PRIX

Voir le site »

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail