Ils sont vingt-sept médecins à siéger à l’Assemblée nationale. Une surreprésentation qui n’a rien de nouveau et qui s’explique facilement.

C’est un chiffre qui vaut la peine d’être analysé, a fortiori en pleine plein débat sur le passe sanitaire et la vaccination contre le coronavirus. Vingt-sept médecins occupent actuellement un siège au Palais-Bourbon, un chiffre élevé qui s’inscrit dans la tradition de la Ve République où les professionnels de santé ont toujours été présents en force. Comment expliquer un tel phénomène ?

Dragués par les partis

Sûrement parce que pour un parti politique, il peut s’avérer judicieux d’investir un médecin. Jean-Pierre Door, cardiologue et député LR du Loiret depuis 2002, le reconnaît volontiers : "c’est le parti qui est venu me chercher pour intégrer le conseil municipal de Montargis, puis tout s’est enchaîné : mairie, députation…"

Cette pêche au docteur est compréhensible. Pour reprendre les propos de Jean-Louis Touraine, professeur de médecine et député LREM du Rhône, le médecin possède "un capital sympathie et une notoriété locale qui assurent en partie un socle électoral". Doté d’une bonne image publique, perçu comme au service de l’intérêt général, il ne peut être accusé d’être un "politicien professionnel" à défaut de posséder des compétences concrètes. De quoi lui donner le rang de notable local, au même titre que les avocats, eux aussi très présents dans les travées de l’Assemblée nationale. Une aubaine pour un parti politique en recherche d’implantation locale.

Un médecin possède un capital sympathie et un ancrage local

Ce qu’a très bien compris l’état-major marcheur qui, lors des législatives de 2017, a compensé sa jeunesse et son manque de notoriété en investissant de nombreux médecins. Ils sont désormais dix-huit à siéger dans la majorité, sans compter les trois issus du Modem. Parmi eux, deux membres du gouvernement : le neurologue Olivier Véran, député LREM de l’Isère et médiatique ministre de la Santé, et la plus discrète Geneviève Darrieussecq, élue Modem des Landes et secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées qui, avant de plancher sur les livres blancs de la Défense, a notamment participé à la rédaction du programme santé de François Bayrou en 2012.

La politique dans le sang

"Nous sommes une profession de nature corporatiste engagée dans la défense des professions libérales, mais aussi du système de santé publique, ce qui demande une vraie expertise", fait remarquer Jean-Pierre Door, qui est convaincu que, pour être le plus efficace possible, "l’engagement en politique est inévitable pour certains d’entre nous".

Jean-Louis Touraine, estime lui aussi que "c’est la question de la santé publique qui est le ferment de l’engagement de mes confrères et de moi-même dans la vie publique". Il reconnaît néanmoins que sur les questions de santé, le clivage gauche-droite est moins fort que dans les pays anglo-saxons.

Si les questions propres à leur profession servent donc de prétexte à une entrée dans la vie publique, les médecins-députés ne se cantonnent pas à leur domaine d’expertise. Beaucoup vont au delà et mènent parfois de très belles carrières. À droite, le docteur Bernard Accoyer a occupé le poste de secrétaire général de LR de novembre 2016 à décembre 2017. Ce chirurgien qui fut député de Haute-Savoie pendant vingt-quatre ans a même présidé l’Assemblée nationale sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy qui, par ailleurs, a nommé le "french doctor" Bernard Kouchner ministre des Affaires étrangères.

À gauche, l’exemple le plus médiatique du médecin engagé en politique est sans doute Jérôme Cahuzac, chirurgien qui s’est spécialisé dans les questions budgétaires avant d’être logiquement nommé ministre du Budget par François Hollande, puis de voir sa carrière carbonisée par l’affaire des comptes en Suisse. Soulignons aussi que Dominique Voynet, candidate aux élections présidentielles de 1995 et de 2007, est également anesthésiste de formation.

Il y a plus de médecins que de socialistes à l'Assemblée nationale !

Médecins ou députés ?

La majorité des médecins restent néanmoins simples députés. Ce qui ne les empêche pas d’être plus nombreux que certains groupes politiques. L’actuelle législature compte ainsi plus de médecins que de socialistes à l’Assemblée nationale ! De là à parler d’un "parti de blouses blanches" il y a un pas que Jean-Pierre Door refuse de franchir : "Nous ne formons pas un lobby, même s’il y a un respect et une reconnaissance mutuelle", admet le député pour qui : "Nous sommes uniquement des élus de la Nation, même si l’on reste médecin toute sa vie."

Les études de médecine formatent tout de même le mode de raisonnement et le travail de député, concède Jean-Louis Touraine qui note que lui même et ses confrères "écoutent, diagnostiquent puis proposent un traitement, comme nous l’avons appris lors de notre formation universitaire". Y aurait-il donc un mode de travail propre aux médecins ? "Peut-être. Mais les avocats, les cadres du secteur privé ou les énarques ont eux aussi des modes de travail qui leur sont propres, c’est cette diversité de parcours qui fait la richesse de l’Assemblée", affirme l’élu du Rhône qui ne ressent pas la nostalgie de son métier initial même s’il continue à enseigner. Et, en cas de vague à l’âme, les médecins députés peuvent tout à fait reconstituer une clinique dans les travées du Palais-Bourbon. Après tout, huit infirmiers, quatre pharmaciens et une aide soignante siègent à leurs côtés.

Lucas Jakubowicz

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