Un scandale sanitaire, des milliers de victimes, une fraude invraisemblable : le dossier des prothèses PIP contenant du gel frelaté est-il un exemple désastreux de la défaillance de la réglementation européenne ?

Le dossier PIP est sans fin avec, au cœur de l’enchaînement des procédures, la recherche des responsabilités. Face à la faillite de la société Poly Implant Prothèse (PIP) et la déclaration d’insolvabilité de ses dirigeants, les victimes et les distributeurs font de la société TÜV leur principale cible. Olivier Aumaître, avocat des distributeurs et de certaines victimes, estime en effet que « TÜV n’a pas respecté la réglementation européenne et n’a pas effectué correctement sa mission de certification. La réglementation était suffisante. Il suffisait de l’appliquer normalement. Dire que la réglementation est défaillante est une insulte aux 400?000 victimes. »

 

 

TÜV, un des meilleurs

 

 

Depuis la directive du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, le fabricant a l’obligation de faire appel à un organisme notifié. Ce dernier certifie que le dispositif médical est conforme aux exigences essentielles de santé et de sécurité fixées par les directives européennes, puis délivre le marquage CE. Sans ce sésame, pas de mise sur le marché du dispositif médical. Et TÜV était un des meilleurs pour cela, le deuxième organisme notifié parmi les trois qui couvrent 60 % des nouveaux dispositifs médicaux de classe III (dont les implants mammaires).

 

Le 14?novembre 2013, le tribunal de commerce de Toulon, estimant que le certificateur a manqué à ses obligations de contrôle et de vigilance, condamne solidairement TÜV et sa filiale à verser trois mille euros à 1?694 femmes et à chacun des distributeurs. La cour d’appel d’Aix-en-Provence en a pourtant décidé autrement. Le 2 juillet 2015, elle infirme en totalité le jugement. En reconnaissant que l’existence d’une faute de la part de TÜV n’est pas démontrée, les juges aixois considèrent que le certificateur a exécuté sa mission en conformité avec la directive européenne, effectuant régulièrement des audits de suivi du système de qualité par le biais d’inspections et d’évaluations. « Cette décision n’est pas une surprise, selon Cécile Derycke, avocate de TÜV, elle correspond à toutes les autres qui ont été précédemment rendues au fond par les juridictions. »1

 

 

Aucune trace de la supercherie

 

 

Les fabricants ont le libre choix de l’organisme avec lequel ils concluent un contrat de prestation. Une relation qui laisse perplexe au regard des impératifs de santé publique qu’elle recouvre. Lors des audits, le personnel de TÜV n’a décelé aucune trace de la supercherie. Il faut dire que les dirigeants de PIP s’étaient donné les moyens de leur ambition?: double comptabilité, fausses factures, dossiers falsifiés quotidiennement, barils de gel frelaté portant les étiquettes du gel autorisé et personnel silencieux. « PIP était une entreprise organisée pour la fraude au point que personne n’a pu reconstituer une traçabilité de la production effectivement réalisée », souligne Cécile Derycke.

 

Mais le certificateur dispose d’un autre pouvoir en vertu de la directive?: celui de faire des « visites inopinées » au siège du fabricant et d’« effectuer ou de faire effectuer des essais pour vérifier le bon fonctionnement du système de qualité ». En d’autres termes, de tester la composition d’une prothèse choisie au hasard. Pour la cour d’appel, ces visites ne sont pas obligatoires et « la preuve n’est pas rapportée qu’elles auraient permis de découvrir la fraude ». Un point de vue que ne partagent pas les distributeurs qui reprochent à TÜV de ne pas avoir utilisé ce pouvoir, « alors que de nombreux indices auraient dû donner lieu à des visites inopinées », affirme Olivier Aumaître, leur avocat. En effet, déjà en 2000, l’institution américaine Food and Drug Administration (FDA) mène des investigations au siège de PIP et découvre plusieurs anomalies dans la fabrication des prothèses. La société PIP est bannie des États-Unis. Les faits, antérieurs à la certification délivrée en 2004 et à l’utilisation du gel de silicone Nusil par PIP, laissent subsister un doute quant au sérieux de la fabrication. D’autant plus qu’en 2000, dix ans avant le scandale PIP, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, alors Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, Afssaps) suspend la mise sur le marché et l’utilisation des prothèses mammaires préremplies d’hydrogel fabriquées par la société PIP car « il n’est pas possible d’exclure un risque grave pour la santé publique ».

 

Olivier Aumaître, qui a décidé de former un pourvoi en cassation, affirme que « l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’est qu’une décision d’étape faisant l’impasse sur une quantité de pièces et d’arguments juridiques. La cour a survolé ce dossier de dimension mondiale expédié en moins d’un an, sans mise en état avec le souci de rendre sa décision avant le procès correctionnel de novembre?: curieuse motivation. TÜV, qui certifie de grands groupes industriels allemands et français, est par ailleurs le dernier rempart avant l’engagement de la responsabilité d’entités de plus haut niveau. La thèse selon laquelle Jean-Claude Mas (dirigeant de PIP) serait le seul responsable arrange beaucoup de monde. » Si TÜV tombe, l’ANSM et l’État seront mis en cause.

 

 

Stratégies procédurales

 

 

En attendant, la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence doit être signifiée à 3?500 parties dans le monde. « Nous avons contacté les conseils de chaque partie pour évoquer le remboursement de cet argent », indique Cécile Derycke. Des victimes de PIP qui sont toujours en quête d’une indemnisation. Près de six mille d’entre elles ont perçu entre cinq cents et mille euros grâce à un dispositif indemnitaire mis en place par Allianz, plafonné à trois millions d’euros. « Ces quelque scentaines d’euros sont un début, selon Philippe Courtois, l’avocat de 2?916 femmes françaises porteuses de prothèses au pénal. La décision du 2 juillet ne marque absolument pas un coup d’arrêt à l’indemnisation. » Elle reste possible dans le cadre du procès pénal. La cour d’appel d’Aix-en-Provence se prononcera en novembre prochain sur le jugement du tribunal correctionnel de Marseille qui a condamné les cinq dirigeants de PIP2 à indemniser les victimes. « Si le jugement est confirmé, la décision est exécutoire de plein droit. Même si les cinq décideurs sont insolvables, la Sarvi3 et la Civi4 s’y substitueront. Je regrette toutefois qu’il n’y ait pas eu de geste de la part du gouvernement contrairement aux autres scandales sanitaires », conclut Philippe Courtois. Dans le scandale du Mediator, alors même que Servier est solvable, c’est bien l’Oniam5 qui paie à la place du laboratoire pour quelques victimes. Reste que d’autres responsabilités que celles de PIP et de TÜV, sur lesquelles les avocats planchent actuellement, peuvent être recherchées. Les stratégies procédurales ne sont pas à leur fin. « On explore toutes les pistes », confirme Philippe Courtois.

 

 

L’avenir de la réglementation

 

 

L’évolution de la réglementation européenne, quant à elle, n’en est qu’à ses débuts. TÜV a bien la réglementation de son côté. Lorsque les médicaments exigent une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par la Haute autorité de santé (HAS) puis un contrôle de la production par l’ANSM, les dispositifs médicaux ne sont soumis qu’au simple marquage CE, comme un trombone ou un clou. À la suite du scandale, les missions des organismes notifiés sont revues. Une réforme du contrôle des dispositifs médicaux est en cours au niveau européen. Elle renforce les obligations pesant sur le fabricant et confère des pouvoirs plus importants à l’organisme notifié afin d’accroître la sécurité des patients. Les certificateurs eux, mènent activement des réflexions aux côtés du Parlement européen et de la Commission.

 

 

1 Outre une décision du tribunal correctionnel de Marseille rendue en 2013 reconnaissant le certificateur allemand victime d’escroquerie de la part de PIP, TÜV Allemagne avait été dédouanée par plusieurs décisions allemandes et le TGI de Paris, le 29?septembre 2014, avait écarté la responsabilité de la société au motif que la faute n’était pas démontrée.
 
2 Jean-Claude Mas, fondateur?; Claude Couty, président du directoire?; Loïc Gossart, directeur de la production?; Thierry Brinon, directeur technique?; Hannelore Font, directrice qualité.
 
3 Service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions.
 
4 Commission d’indemnisation des victimes d’infractions.
 
5 Office national d’indemnisation des accidents médicaux.
 
 
 

 

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