Quel est le point commun entre BlackRock, Wendel, l’État français et Vivendi ? Ce sont tous des actionnaires actifs. Discrets, ils n’aiment pas faire la une des journaux. Pourtant, ils usent de leur pouvoir pour souffler le chaud et le froid sur les sociétés dont ils détiennent du capital. Qui sont-ils vraiment ? Quels sont leurs objectifs ? Tour d’horizon.

Depuis la crise financière de 2007, les marchés actions ont connu une volatilité record. À tel point que les petits porteurs ont fui les marchés boursiers. En France, le nombre de ces actionnaires n’a cessé de baisser, passant de 7,2 mil­lions en 2009 à 3,3 en 2015. Et l’Hexagone est loin d’être un cas isolé. Aux dernières estimations, il n’y aurait plus que 4,5?millions de petits porteurs en Allemagne et cinq millions outre-Manche.

 

Le «?big four?»

 

En revanche, les poids lourds du secteur ont accru sensiblement leur exposition au marché actions. Le «?big four?» américain, composé des fonds BlackRock, State Street, Vanguard Group et Fidelity, ont augmenté leurs allocations dans cet actif de 20?%, délaissant au passage les obligations, trop peu rémunératrices. Cette recherche de performance pousse les gérants à s’engager davantage dans la stratégie des entreprises. Ainsi, chez BlackRock, chacun d’entre eux s’implique dans les assemblées générales et contrôle les arrangements susceptibles d’être  conclus entre administrateurs.

Ces super fonds sont aussi à la recherche d’influence. Et pour en obtenir, ils n’hésitent pas à unir leur force. Chacun des «?big four?» détient des participations dans les six plus grandes banques mondiales?: Bank of America, JP Morgan, Citi­group, Wells Fargo, Goldman Sachs et Morgan Stanley. Une stratégie qui leur a permis de faire leur entrée dans le conseil représentant les acteurs bancaires à la Réserve fédérale américaine. Ils sont désormais capables de faire entendre leurs voix dans l’élaboration de la politique monétaire de la plus grande puissance économique mondiale. Cette influence s’étend également au niveau des entreprises. Ces investisseurs sont notamment actionnaires de grands groupes internationaux tels que Boeing, Coca-Cola, Exxon Mobil, McDonald’s, Microsoft, Pfizer ou encore Wal-Mart.

Des pratiques qui poussent les sociétés à analyser dans le détail la répartition de leur actionnariat. Objectif?: identifier les points faibles pour éviter une prise de contrôle hostile. Si toutes ont mis en place ce genre d’analyse, peu communiquent sur ses résultats tant ils sont stratégiques. La famille des investisseurs institutionnels, dont fait partie le «?big four?», arrive bien souvent en tête. Elle regroupe des intervenants très différents comme des fonds de pension, des assureurs ou des banques. Contrairement aux fonds américains, ces derniers se concentrent principalement sur des impératifs de rendement, délaissant de plus en plus la gestion de leurs actifs à des entités spécialisées .

 

Enjeux financiers et stratégiques

 

Autre acteur de taille, les holdings familiales. Héritées d’empires industriels, elles se comportent désormais de plus en plus comme de véritables fonds. C’est par exemple le cas de Wendel qui, détenue encore à 36?% par la famille, s’est reconvertie en société d’investissement. Elle développe désormais un portefeuille varié de grandes entreprises françaises comme Legrand (25?%), Bureau Veritas (52?%) ou Saint-Gobain (17,5?%).

Des actionnaires qui n’hésitent pas à faire jouer la carte des synergies entre les valeurs détenues en portefeuille. C’est notamment la politique de la holding Dassault qui détient pas moins de 28 sociétés dans son porte­feuille. D’autres encore, comme la famille Peugeot, se servent de leur holding pour s’assurer le contrôle de leur propre entreprise.

Enfin, certaines sociétés s’appuient sur l’actionnariat pour atteindre leurs objectifs stratégiques. Il est alors utilisé soit comme une confirmation d’alliance, soit comme un moyen de pression pour obtenir des droits de vote et entrer au conseil d’administration. Vincent Bolloré, avec Vivendi, est devenu un spécialiste de cette méthode. Au cours de ces deux dernières années, il est ainsi entré au capital de Dailymotion, Gameloft, Ubisoft et Mediaset.

Dernier actionnaire extérieur, l’État, qui joue un rôle majeur dans les secteurs publics comme l’énergie, le transport ou la défense. En France, l’Agence des participations de l’État (APE) gère pas moins de 90?milliards d’euros d’actifs. Acteur stratégique par excellence, elle accompagne les entreprises avec plus ou moins de succès dans leurs mutations.

 

Les salariés à la rescousse

 

Face à ces profils variés, les entreprises tentent d’assurer leur indépendance. Pour cela, elles favorisent en premier lieu l’actionnariat salarié. Apparue dès 1967, cette nouvelle forme d’investissement a réellement commencé à se développer dans les années 1980 avec les premières privatisations d’entreprises publiques. Depuis, la pratique s’est très largement démocratisée, à tel point que les entreprises françaises font figure d’avant-gardistes dans ce domaine. Ainsi, en 2014, 80?% des principales entreprises de l’Hexagone disposaient de plans d’actionnariat pour l’ensemble de leurs salariés, contre une moyenne européenne de 47?%, selon une étude réalisée par le cabinet Eres. En 2015, leur nombre a même dépassé celui des petits porteurs.

Pour autant, ces derniers n’ont pas dit leurs derniers mots. En 2016, les actionnaires des sociétés composant le CAC 40 ont été plus assidus aux assemblées générales qu’ils ne l’avaient été en 2015. Selon une étude de Proxinvest, ce sont en moyenne 14?675 actionnaires qui ont participé aux AG tenues en 2016, contre 13?299 en 2015. Et ils en profitent pour faire entendre leurs voix. Des associations ou ONG utilisent ces assemblées générales pour interpeller directement les dirigeants des grands groupes. Dernier exemple médiatique en date, la journaliste Élise Lucet qui questionne Christopher Viehbacher alors directeur général de Sanofi pour l’interroger sur sa hausse de salaire en contraste avec les licenciements récemment annoncés.

 

V. P.

 

 

La fuite Des petits porteurs?: le cas du CAC 40

 

Chat échaudé craint l’eau froide dit-on. Sur l’ensemble de la population, les Français ne sont ainsi plus que 2,5?% à déclarer détenir un fonds investi en actions1 en 2016, contre 7,5?% en 2008. Et pour nos petits porteurs hexagonaux, la crise de 2007 fut accompagnée du krach de trop. Ils représentent à peine 6,5?% de l’actionnariat du CAC 40. Leur nombre a ainsi été divisé par deux depuis 2009, passant de 7,2?millions à 3,3. Seul petit bémol à apporter à ce chiffre?: les sociétés cotées à l’indice phare de la place de Paris refusent bien souvent de communiquer la part exacte de leur participation dans le capital pour des raisons stratégiques, comme une éventuelle OPA. Mais les épargnants français sont dans leur ensemble connus pour leur aversion structurelle au risque. L’immobilier représente ainsi 61?% du patrimoine brut des Français. Sans même parler de l’assurance-vie ou des modalités d’épargne classiques, la part des liquidités disponibles directement sur leur compte courant est plus importante que celle investie en Bourse?!

 

1Base SoFia, TNS Sofres (12?000 Français de 15 ans et plus) en mars 2016.

 

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