À 30 kilomètres au sud de Paris, IncubAlliance a pour vocation de regrouper les entrepreneurs portant des projets à vocation technologique et de créer des ponts entre les start-up, les industriels et les laboratoires de recherche au sein de l’écosystème Paris-Saclay. Son Directeur général se confie à Décideurs.

Décideurs. Pouvez-vous nous présenter le mode de fonctionnement et les particularités d'IncubAlliance ?
Philippe Moreau.
Nous sommes l’incubateur technologique de Paris Saclay. C’est un incubateur de quinze ans d'âge et l'un des plus gros en termes de volume. Nous avons vocation à être le grand pôle de l'entrepreneuriat technologique du sud-francilien. Nos caractéristiques sont quadruples.
La première et que nous nous intéressons uniquement à des projets ayant un contenu technologique. Cela va des technologies de rupture qui sont directement issues de l'écosystème des laboratoires de Paris-Saclay (ordinateur quantique par exemple) jusqu'à des projets qui sont un peu moins technos mais qui contiennent du numérique (plateformes de services innovantes avec quelques algorithmes mais pas nécessairement dans des technologies de rupture).
La seconde caractéristique est que nous avons un accompagnement extrêmement dense. Nous assurons un véritable suivi au jour le jour des projets avec lesquels nous travaillons. Nous avons une équipe interne de conseillers qui travaille avec les entrepreneurs.
La troisième caractéristique est que nous sommes fortement adossés au monde de la recherche publique et aux industriels qui nous rejoignent nombreux.
Et enfin, la quatrième est que nous sommes le premier incubateur en France à avoir réfléchi à la notion d'échec. Il y a par définition des échecs dans le monde des start up. Nous avons donc réfléchi à comment valoriser le travail de ceux qui ont échoué malgré des mois et des années de préparation.  Nous sommes le seul incubateur à offrir une certification professionnelle aux entrepreneurs, que leur projet décolle ou non. Elle prouve que ces personnes se sont développées et ont acquis une véritable expérience professionnelle en matière de finances et de stratégie marketing. De plus, la certification est validée par l’État

Quelles sont les start-up que vous pourriez citer en exemple pour incarner le succès d'IncubAlliance ?
Je citerai Geoflex qui a été primée au CES de Las Vegas. C'est typiquement une start-up IncubAlliance, adossée à des brevets issus de travaux venant du CNES, spécialisée dans l'hyper-géolocalisation (vous positionne via votre GPS avec une marge d’erreur de quelques centimètres contre plusieurs mètres pour la plupart des outils de géolocalisation). Je peux également citer Quandela, issue des travaux du CNRS, qui émet des photons à l'unité pour alimenter les processeurs des futurs ordinateurs quantiques. Ce sont des start-up assez emblématiques du savoir-faire IncubAlliance.

Quelles sont les méthodes particulières pour travailler avec la recherche publique ?
Le chercheur issu de la recherche publique est quelqu'un qui a une programmation psychologique et intellectuelle très particulière. Nous avons un vrai travail à faire avec ces personnes-là qui consiste à changer les paradigmes psychologiques tel que le rapport à l’argent par exemple.

Avez-vous constaté ces dernières années une évolution dans le profil type des créateurs de start-up ?
Si la majorité reste des jeunes diplômés ayant un désir fort de création, d’autonomie et de liberté d'entreprendre, nous notons quand-même une évolution.
Il y a trois façon de répondre à cette question. Le premier, et il ne faut pas se leurrer, est que la création d’entreprise est une sorte de traitement social du chômage. Il s'agit plutôt d'un “chômage de luxe” pour ce qui nous concerne. Ce sont des cadres qui quittent leur entreprise dans le cadre d'un plan, touchent des indemnités et se lancent.  L’évolution du marché du travail fait que cette population-là est de plus en plus importante.
La seconde catégorie est un peu similaire. Ce sont des personnes de 30 à 55 ans qui le font mais dans un cadre plus réfléchi. Ils prennent la décision de démissionner et de créer leur entreprise.  
Les troisièmes profils sont les personnes qui ont déjà créé une ou des boîtes. Je les appelle les serial entrepreneurs. Dès que leur entreprise commence à grandir, à devenir un petit peu trop grosse, nécessite des schémas de gestion un peu trop rigoureux, ça ne les intéresse plus. Ce qui les fait vibrer est de partir de zéro, de créer et éventuellement de revendre. Ces personnes-là ont, me semble-t-il, la grande intelligence de se dire que ce n'est pas parce qu'ils ont créé deux, trois, quatre, ou cinq boîtes qu’ils savent tout. Ils intègrent donc des écosystèmes dans lesquels ils vont capter de l'information, capter de la vie, capter du support et capter de l'argent aussi bien entendu. Ils sont toujours preneurs d’avis et d'accompagnement dans un incubateur comme le nôtre.
Dans le même sujet, j'aimerais également aborder la question de l'entrepreneuriat technologique au féminin. Nous sommes habitués à naviguer dans un univers extrêmement masculin, La plupart des entrepreneurs sont des hommes, les équipes sont composées en grande majorité d’hommes également. Nous avons réfléchi à cela. Accompagné par les collectivités locales, nous avons monté avec un autre incubateur spécialisé dans l'entrepreneuriat au féminin, Willa, un programme réservé aux femmes au profil tech, aux chercheuses en technologies de rupture, sous la forme d'un stage intensif de trois jours pour essayer de comprendre les spécificités et les difficultés particulières des femmes qui veulent créer une entreprise à vocation technologique.

 

« Nous avons vocation à être le grand pôle de l'entrepreneuriat technologique du sud-francilien »

 

Comment accompagner les start-up ? Quelles sont leurs demandes ?
Chez nous, les entrepreneurs arrivent avec une idée et une technologie suffisamment mature, l’idée n'étant pas d'essayer de faire fonctionner une chose dont nous ne sommes pas sûrs qu’elle fonctionnera. Ils n'ont pas encore de produits ni de clients, iI n’y a dans la caisse que les quelques milliers d'euros que les fondateurs peuvent t'apporter et il n’y a pratiquement pas d'équipe.
Le principe est qu'au bout de deux ans maximums, nous arrivons autour d’une stratégie claire et d’un produit très structuré à avoir une société avec un premier produit et un premier client, une preuve de marché que l'on peut montrer à des investisseurs.
Ce qui les intéresse en priorité est le conseil. Ils ont besoin d'un effet miroir, c'est-à-dire d'être challengés sur toutes leurs options, leurs prises de décision afin de faire leur choix après que nous ayons travaillé avec eux toutes les options possibles. Ils ont également besoin d'un coaching sur le côté plus humain. C’est une aventure émotionnelle forte d’être créateur d’entreprise. Il passe par des hauts et des très bas, a besoin d’être aidé à garder une forme de sérénité, à se développer lui-même.
Et enfin, la dernière chose que nous leur apportons est de la mise en relation, les aider à trouver les bons interlocuteurs (expert-comptable, prototypeur, banque, etc..).

Où en est la structuration de l'écosystème de Saclay ?
Le béton coule à flot. Tous les instituts, toutes les écoles et toutes les universités rejoignent cet écosystème. Il faut qu'ils réussissent à s'entendre. Nous sommes au cœur de cela. Il va y avoir deux structures. D'un côté l’université Paris Saclay qui va regrouper une université fédérale autour de l'université de Saint-Quentin, de l'université d'Evry et de l'école centrale Supélec. De l'autre côté de la N118, il y aura un second pôle autour de l'École polytechnique.

Est-ce une volonté de l'École polytechnique que de s'isoler ?
Oui c'est une vieille histoire qu’a arbitrée Emmanuel Macron, alors qu'il était encore ministre constatant que les universités et écoles ne tomberaient pas d'accord, a décidé de créer deux structures distinctes. Personnellement, je le regrette car il y a des effets de mutualisation et de marques à l’international qui se perdent forcément. Au-delà de cela, ce que je constate au quotidien, c'est que les hommes et les femmes qui travaillent se rapprochent et c'est ce qui est intéressant. Aujourd'hui il n'est pas forcément nécessaire d'avoir une proximité géographique immédiate pour travailler ensemble grâce aux outils à notre disposition. Il n'empêche que rien ne peut remplacer la rencontre physique qui fait davantage avancer les choses. Même dans un milieu très scientifique et de nouvelles technologies, l'effet cluster commence à fonctionner. Il reste beaucoup de choses à faire mais cependant nous voyons beaucoup se mettre en place des plateformes d’échanges, des événements et des réunions s’organisent où les personnes d'horizons différents se rencontrent et échangent.

Êtes-vous à l'initiative de ces rencontres et événements ?
Cela fait évidemment partie du rôle de l'incubateur, cela correspond à la mise en contact dont je vous parlais précédemment. Nous organisons le dernier vendredi de chaque mois “the last friday”, un événement où nous nous retrouverons entrepreneurs chercheurs, financiers autour d'un repas très simple et échangeons. Ce sont des choses qui n'existent pas forcément dans les incubateurs parisiens qui cohabitent avec des sollicitations nombreuses, denses et riches

Propos recueillis par Philippe Labrunie (@PhilippeLabrun1)

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