À quelques jours des élections législatives anticipées organisées à la demande de Boris Johnson, Philippe Moreau-Defarges, politologue, chercheur et spécialiste du Royaume-Uni, revient sur les raisons qui les ont motivées avant d’évoquer leurs possibles effets.

Décideurs. Le 12 décembre se tiendront les élections législatives anticipées. Pourquoi était-il si important pour Boris Johnson que ce scrutin ait lieu ?

Philippe Moreau-Defarges. Pour deux raisons. D’abord parce que le gouvernement britannique doit sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve avec le Brexit, ensuite parce que Boris Johnson a besoin d’une majorité. Pour l’heure, il n’en a pas, ce qui, bien évidemment, l’affaiblit. Quant au parlement britannique, il a jusqu’à maintenant toujours rejeté les propositions qui lui étaient faites pour trouver une issue à la crise. Le seul moyen de le contraindre à se décider pour l’une ou l’autre consistait à provoquer des élections, en espérant qu’il en émergerait une majorité claire qui, dès lors, le ferait basculer en faveur d’une décision.

Quel peut en être l’enjeu ?

L’enjeu est considérable puisque ces élections pourraient permettre au Royaume-Uni de sortir enfin de l’impasse du Brexit. Tout dépendra bien entendu de leur issue mais, si une majorité claire s’en dégage et qu’elle est en faveur de Boris Johnson, cela permettra au Premier ministre d’organiser enfin la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Reste que, encore une fois, rien ne dit que c’est ce qui va se produire. La situation est tellement complexe que tout peut encore arriver.

Autrement dit, ces élections représentent une étape nécessaire mais pas forcément décisive ?

Exactement. Comme chaque vote se traduit par un rejet des propositions avancées, il fallait une élection pour sortir de l’impasse mais rien ne dit que celle du 12 décembre parviendra à produire cet effet, d’une part parce que la question de la sortie de l’Europe divise énormément le pays et que la fracture entre les pro et les anti Brexit semble irrémédiable. D’autre part parce que Boris Johnson lui-même est une personnalité très clivante qui, de ce fait, aura sans doute du mal à mobiliser les électeurs.

Ce scrutin représente donc un risque pour Boris Johnson ?

C’est indéniable, mais il n’a pas le choix. Il est arrivé au pouvoir de façon chaotique, sans majorité pour le soutenir et faire passer ses propositions. Il est premier ministre et, comme tout premier ministre, il veut laisser une trace dans l’histoire de son pays. Pour cela il n’a qu’une solution : il doit dissoudre le parlement et miser sur l’émergence d’une majorité, laquelle lui permettra de sortir de l’UE. Si ce n’est pas le cas, alors il sera certainement contraint d’organiser un nouveau référendum pour mettre fin à une situation qui a déjà trop duré : le statu quo ne peut pas perdurer éternellement. Viendra nécessairement un moment où l’Union européenne dira « stop » et exigera qu’une décision soit prise.

Quel est votre pronostic ?

Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays d’Europe à être divisé : à l’heure actuelle, toutes les démocraties vont mal. C’est pourquoi je pense qu’il s’y passera la même chose qui se produit toujours chez ses voisins européens lorsqu’on y provoque des élections dans le but d’obtenir une situation clarifiée : chaque fois il en résulte un gouvernement encore plus embrouillé que le précédent. Je pense que le Royaume-Uni n’échappera pas à la règle et qu’il émergera de cette élection un nouveau parlement aussi indécis que l’actuel, lequel créera une situation aussi ingérable que celle à laquelle le pays est confronté aujourd’hui. Raison pour laquelle je pense qu’en réalité le Brexit n’aura jamais lieu.

Propos recueillis par Caroline Castets

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