Créé en 2005, l'ERAFP (Établissement de Retraite Aditionnelle de la Fonction Publique) est une exception française. Premier fonds de pension à voir le jour dans l'Hexagone, il compte à ce jour près de 30 milliards d'euros d'actifs sous gestion. Investisseur ISR de long-terme, il assure la mise en oeuvre d'un pacte entre les générations. Philippe Desfossés, CEO de l'ERAFP revient pour nous sur les spécificités du régime.

Décideurs. Vous êtes le seul fonds de pension public français. Pouvez-vous nous présenter plus en détail l’ERAFP ?

Ph. Desfossés. L’ERAFP est un régime de retraite géré en répartition intégralement provisionné. Les fonctionnaires qui y cotisent (sur leurs primes et autres revenus non statutaires) achètent des points. Ces points leur permettent de connaître le montant de la prestation à laquelle ils peuvent prétendre puisqu’il leur suffit alors de multiplier le nombre de points qu’ils ont accumulés par la valeur de service du point au moment du calcul.

Chaque année le conseil d’administration de l’ERAFP détermine le prix auquel est acheté le point et fixe aussi la valeur de service de ce même point (i.e. à quel montant en euro il donne droit en termes de prestation). C’est une responsabilité éminente que le conseil d’administration exerce avec un très grand sens des responsabilités. En effet, cette double décision n’est pas sans conséquence sur l’équité intergénérationnelle du Régime. Depuis sa création, le conseil a veillé à préserver cette équité et cela se traduit en particulier par le fait que le rendement technique du Régime est cohérent avec l’espérance de vie une fois à la retraite de ses bénéficiaires.

La particularité de la gestion d’un fonds comme l’ERAFP tient aussi au fait que les cotisations sont investies dans des actifs qui constituent la garantie des droits des cotisants. Dans la mesure où ce régime a été créé récemment (en 2005), il est en phase de montée en charge. La première génération qui aurait cotiser une carrière complète au Régime partira à la retraite dans une trentaine d’années. Structurellement, c’est donc un régime qui va dégager des excédents pendant encore une trentaine d’années. Aujourd’hui, l’ERAFP a 2,5 Md€ à investir par an. Cela signifie que sur le quinquennat actuel, l’ERAFP pourra investir 12,5 milliards d’euros à long terme (voire très long terme), ce qui est assez rare au regard des horizons de gestion actuels de la plupart des investisseurs qui sont extrêmement courts. Par ses caractéristiques, l’ERAFP peut échapper à ce que le gouverneur de la Banque d’Angleterre dénonçait comme « la tragédie des horizons ».

Vous êtes également un investisseur 100 % ISR. Depuis quand avez-vous mis en place cette démarche ?

Depuis l’origine, et c’est très lié au fait que, justement, l’ERAFP soit un fonds de pension. Les régimes en répartition perçoivent des cotisations qui sont immédiatement redistribuées sous forme de prestations dans le cadre d’un pacte entre les générations. Comme le Président Macron l’a récemment rappelé ce sont les actifs du moment qui payent pour ceux qui ne travaillent plus.[1] Les réserves que ces régimes peuvent constituer servent à lisser les écarts qui peuvent apparaître le produit des cotisations et le total des prestations à verser.

Dans le cas d’un fonds de pension, les cotisations sont directement investies dans des actifs. La principale responsabilité de la direction d’un fonds de pension est par conséquent d’investir en respectant des principes de diversification et de prudence qui permettent sur un horizon de temps cohérent avec celui des engagements du fonds de parvenir au meilleur couple rendement \ risque possible. Au moment de la création du Régime, les syndicats de la fonction publique ont clairement exprimé leur volonté de voir le Régime inscrire sa politique dans une logique d’investisseur 100 % ISR. Cette politique 100% ISR est au cœur de l’identité du Régime. Elle inspire la gouvernance de l’ERAFP tout comme sa volonté de préserver l’équité entre les générations.

Quels moyens mettez-vous en œuvre en termes d’allocation pour atteindre vos objectifs ?

Notre allocation a évolué. Au départ, les investissements en obligations devraient représenter au minimum 75 % de l’actif. Par déduction, les actifs à revenu variable étaient plafonnés à 25 % du bilan. Fin 2010, nous avons eu l’autorisation de commencer à investir jusqu’à une limite de 10 % dans l’immobilier, et depuis 2015, suite à une évolution de notre règlementation, nous avons désormais la possibilité d’investir jusqu’à 40 % du portefeuille en actions.

Aujourd’hui notre portefeuille d’actions s’élève à 27 %, et l’immobilier pèse environ 10 %. Nous avons aussi utilisé le doit qui nous a été reconnue d’investir en direct dans des fonds de titres cotés ou non cotés à hauteur de 3 % de notre bilan. Le solde est placé sur de l’obligataire, qui peut être souverain ou corporate

L’allocation d’actifs de l’ERAFP est mise en œuvre dans le respect de sa politique ISR best in class. Elle consiste à privilégier l’investissement dans les meilleures entreprises de chaque secteur de l’économie en évitant les plus mauvaises en termes ISR (le dernier quartile). Cette mise en œuvre pragmatique de notre politique ISR vise à encourager les moins bons de l’univers investissable (le troisième quartile en particulier) à améliorer leur performance. Par définition ce sont les entreprises de ce troisième quartile qui peuvent délivrer la plus forte amélioration de leur performance. Aujourd’hui, les gestionnaires d’actifs qui gèrent des mandats pour l’ERAFP sont tenus contractuellement de mettre en œuvre nos principes d’engagement. En outre, l’équipe ISR de l’ERAFP suit plus particulièrement chaque année 60 entreprises, dont 40 sont françaises. Leurs propositions de résolution sont étudiées et le cas échéant, ces études peuvent déboucher sur des échanges avec les gestionnaires.   Ces actions d’engagement trouvent aussi un prolongement avec la participation de l’ERAFP aux initiatives lancées par des groupes tels qu’IIGCC (Institutional Investor Group on Climate Change dont j’assume la vice-présidence) ou Climate Action 100+.

Comme évoqué précédemment, votre seuil d’investissement dans l’immobilier a très récemment été réhaussé de 10 % à 12,5 %. Pouvez-vous nous décrire la stratégie d’investissement de l’ERAFP sur cette classe d’actifs ?

Nos premiers mandats étaient des mandats sur l’immobilier « en général ». Nous avions sélectionné 4 gestionnaires par appel d’offres : deux pour l’investissement en France (AEW et La Française), et deux pour l’investissement en Europe (Axa et LaSalle). Au départ, les gestionnaires ont principalement investi en bureau du fait de la profondeur de ce marché et la facilité d’accès. Peu à peu un rééquilibrage s’est opéré vers le logement. À la demande du conseil d’administration, nous avons récemment lancé un nouvel appel d’offres pour sélectionner un gestionnaire qui investira dans le logement. Ampère Gestion a obtenu le mandat actif, et Amundi et SwissLife les deux mandats stand-by. Les premières opérations devraient commencer dans les mois à venir. Ces investissements représentent l’une des préoccupations majeures du conseil d’administration qui souhaite qu’une partie des cotisations des fonctionnaires puisse contribuer à améliorer les conditions de logement de certains d’entre eux. 

L’ERAFP est par définition un investisseur de long terme. Comment gérer une telle stratégie d’investissement face à des sous-performances passagères ?

De manière liminaire, je souhaite rappeler qu’il ne faut jamais confondre les moins-values latentes et les pertes. En tant qu’investisseur de long terme buy and hold, l’ERAFP ne prend pas en compte les plus-values latentes sur obligations dans la mesure où cela représente de la capitalisation de baisse de taux. Logiquement, nous ne tenons pas compte non plus des moins-values latentes liés au risque de marché (hausse des taux). Toutefois, nous considérons qu’il faut provisionner une moins-value latente en cas de risque de crédit, comme ce fut le cas de la Grèce quand la perspective de son défaut se précisait.

Il convient donc de prendre en compte le bon indicateur de risque. S’agissant des actions, si l’on a des engagements à très court-terme, la volatilité de la valorisation des portefeuilles actions (ou autres actifs à revenu variable) est effectivement un facteur de risque. Néanmoins, lorsque l’on est un fonds de pension qui gère sur un horizon de plus de 40 ans avec des cash flows positifs, la volatilité n’est plus un bon indicateur de risque.

Propos recueillis par Yacine Kadri

[1]  "Si vous regardez le système français tel qu'on l'a, vous avez travaillé toute votre vie pour payer la retraite de vos aînés (...) votre retraite c'est les jeunes qui vont la financer, c'est les actifs actuels

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