La croissance (rentable) est le seul levier de création de valeur à long terme. Il est difficile de croître économiquement sans émission de CO2, en particulier dans des industries de production ou de distribution de produits. L’environnement devient un enjeu critique pour les entreprises. Pourquoi et comment concilier la croissance et la création de valeur économique tout en réduisant l’empreinte environnementale ?

Il existe aujourd’hui un consensus de l’impact de la croissance économique sur certains dysfonctionnements environnementaux, notamment climatiques. Le plus emblématique est l’émission de CO2 sur le réchauffement climatique. En 50 ans, la concentration atmosphérique de CO2 est passée de 320 parties par million à plus de 400 parties par million. Elle a crû de près de 30 % et la température a augmenté de 1,5 °C.

Pourquoi réduire l’empreinte environnementale ?

Il y a donc une urgence à réduire cette empreinte environnementale et notamment les émissions de CO2 pour limiter l’augmentation de la température. C’est l’ambition de la Cop 21 de Paris signée en 2015. Cette prise de conscience s’est accélérée récemment, portée par un fort courant sociétal provenant des jeunes générations. Au-delà de raisons citoyennes, trois raisons économiques principales devraient inciter les entreprises à réduire leur empreinte environnementale.

D’une part, une valeur accrue pour les clients. Les clients, que ce soit dans les métiers BtoC mais également dans les métiers BtoB, donnent de plus en plus de valeur à l’environnement. Ils commencent à arbitrer leur choix de consommation en renonçant aux produits et aux entreprises n’ayant pas engagé de transition environnementale. Ils sont prêts à payer davantage pour des produits éco-conçus et limitant leur impact environnemental. Cette évolution est récente. Elle est encore émergente et surtout très segmentée entre les catégories de produits, les géographies et les niveaux de gamme. L’industrie du luxe connaît cette évolution. Tous les acteurs ont initié des mouvements forts au niveau environnemental et ont souvent financé ces approches par des augmentations de prix. Cette valeur devrait s’amplifier au cours des prochaines années tout en restant très différenciée par segment.

" Les entreprises doivent combiner leur ambition de création de valeur économique avec une réduction de leur impact environnemental"

D’autre part, une valeur accrue pour les investisseurs. Les investisseurs valorisent de plus en plus les entreprises ayant initié des transitions environnementales soit pour des raisons de convictions citoyennes, généralement parce que leurs souscripteurs privilégient ce type d’investissement, soit pour des raisons d’opportunismes, soit parce qu’ils sont convaincus que des mécanismes de taxation seront mis en place rapidement. Les conditions des financements verts sont plus avantageuses que les autres. Les multiples de valorisation des sociétés les plus respectueuses de l’environnement sont 1 point supérieur aux autres (cf. Tableau). Ce mouvement devrait se poursuivre.

Enfin, une amplification de la taxation. Il existe déjà aujourd’hui de nombreuses taxes visant à sanctionner les activités avec un fort impact environnemental. En France, la taxe carbone d’un montant de 45 € /t CO2, depuis 2014, s’applique à la consommation de toutes les énergies fossiles et concerne en particulier le transport, l’industrie et la construction. Au niveau européen, le système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne (SEQE-UE) limite les émissions de plus de 11 000 installations grandes consommatrices d’énergie (centrales électriques et industries) et des compagnies aériennes reliant les 31 pays participants. Ursula von der Leyen veut aller plus loin et mettre en place une taxe carbone aux frontières qui appliquerait un prix du carbone pour chaque produit en fonction de son émission de CO2 sur l’ensemble des composants de ce produit. Un iPhone serait taxé 3,75 euros et un T-shirt Nike 0,40 €. Par conséquent, les entreprises doivent combiner leur ambition de création de valeur économique avec une réduction de leur impact environnemental.

Deux risques à éviter

Dans ce contexte, les entreprises doivent éviter deux risques. D’une part, un mépris de la dimension environnementale dans la conduite des affaires. Cette dimension s’accroît et il est nécessaire de fixer une vision, un cadre, une ambition, des actions et des mécanismes d’incitation. Dans le cas contraire, le risque est de subir les impacts d’un manque de vision vis-à-vis des clients, vis-à-vis des investisseurs et visà-vis des collaborateurs, en particulier des nouvelles générations. L’environnement devient alors un puits sans fond où toute avancée est perçue comme une contrainte et insuffisante par rapport aux enjeux.

D’autre part, une conversion récente à la cause environnementale avec une annonce de cibles très ambitieuses sans prendre la mesure de l’ampleur de ces annonces. Le risque est alors de perdre en crédibilité en interne et en externe parce que l’ambition se trouvera en décalage avec les moyens financiers et avec les priorités opérationnelles de l’entreprise.

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Une approche environnementale connectée à la création économique

La mise en œuvre d’une stratégie environnementale doit être connectée à la création de valeur et s’articuler autour de six étapes itératives :

1. Définition d’une ambition stratégique et opérationnelle

2. Définition des actions à mettre  en œuvre

3. Quantification des coûts et gains  de ces actions

4. Priorisation des actions, revue éventuelle des objectifs et lien avec la création de valeur

5. Mise en place de mécanismes  de financement des actions

6. Mise en place de mécanismes d’incitation et de pilotage

L’enjeu est de définir une approche cohérente et intégrée de l’amont à l’aval : une vision stratégique claire, articulée et alignée entre les actionnaires, les dirigeants et les équipes ; une définition, une quantification et une hiérarchisation des actions prioritaires en privilégiant celles qui permettent de créer des avantages concurrentiels soutenables comme l’éco-conception, la maîtrise des filières de matière première, le recyclage… ; des mécanismes d’incitation pour passer de l’intention à l’exécution comme la mise en place d’une animation systématique par entité opérationnelle avec définition d’une trajectoire, suivi régulier de cette trajectoire, animation régulière par les directeurs financiers, mise en place d’un système d’incitation sur la rémunération et d’un système d’intégration de la dimension environnementale pour les décisions d’investissements et de dépenses.

Qu’en conclure ?

La transition environnementale est un mouvement structurel de fond pour les entreprises qui va avoir un impact significatif sur leur stratégie, leur finance, leur organisation et leurs modes de fonctionnement au cours des dix à vingt prochaines années. Elle va nécessiter des investissements, des coûts de mise en œuvre et donc des baisses de rentabilité. Les entreprises qui auront pris la mesure de cet enjeu pourront développer des avantages compétitifs soutenables. Les autres seront toujours à la traîne et ne profiteront pas de la valeur au premier entrant (leader) et de la valeur à la résilience de leurs opérations. Comme pour toute rupture, elle doit être traitée par une approche structurée, en lien avec la création de valeur économique et au plus haut niveau de l’entreprise.

Jean Berg, executive vice-president, Estin & Co

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