Dans le secteur très concurrentiel des services informatiques, Capgemini affiche une croissance insolente. Son P-DG, Paul Hermelin, ne compte pas pour autant se reposer sur ses lauriers. Après l’acquisition historique d’Igate, il garde les yeux rivés sur l’avenir, sa recette pour ne pas être distancé.

Décideurs. Au troisième trimestre, la croissance du chiffre d’affaires de Capgemini dépasse 17 %. Allez-vous réaliser une année record ?

Paul Hermelin. Cette année, nous bénéficions d’un effet de change très favorable, d’une demande en hausse et d’une acquisition. Mais ce qui importe vraiment derrière ces 17 %, c’est notre croissance organique (1,5 %), la valeur que nous créons avec nos propres forces. Et pour l’instant, elle n’est pas suffisante. Nous visons une progression annuelle de 5 % à 7 %. Cela n’exclut pas les acquisitions, comme celle d’Igate, mais elles ne sont pertinentes que si elles permettent de créer de la valeur supplémentaire.

 

Décideurs. Vous évoquez Igate, que change cette acquisition pour le groupe ?

P. H. Grâce à Igate, nous prenons de l’importance dans deux pays stratégiques : les États-Unis et l’Inde. En Amérique du Nord, nos revenus progressent ainsi de 35 % et nous nous hissons à la douzième place du secteur. En Inde, nous allons dépasser les 100 000 collaborateurs, un chiffre symbolique dans ce pays qui forme 400 000 ingénieurs par an. Nous n’acquérons pas Igate pour faire des synergies de coûts mais parce que nous sommes parfaitement complémentaire. Sur ses 275 clients, seuls trois étaient aussi clients de Capgemini. 

 

Décideurs. Envisagez-vous d’autres acquisitions de ce type dans un futur proche ?

P. H. Nous gardons les yeux ouverts en particulier sur les entreprises qui pourraient nous apporter une technologie dans des domaines où notre offre est encore limitée comme ceux du marketing digital ou de la cybersécurité.

 

Décideurs. Dans un secteur qui évolue très rapidement, comment maintient-on son leadership ?

P. H. Il y a deux recettes principales. L’une est de toujours regarder vers l’avant, d’interroger l’avenir. Nous avons installé des centres de recherche partout dans le monde à cette fin. La seconde est d’oser faire de vrais choix. Une entreprise ne peut pas tout faire ou elle risque de faire tout moyennement.

 

Décideurs. Cela suffit-il à expliquer votre insolente bonne santé par rapport à certains de vos concurrents ?

P. H. La question fondamentale est celle du business model. Nous avons parié sur le cloud alors que nombre de nos concurrents sont encore lestés par des contrats importants d’infogérance hérités des années 1990 et très coûteux en hardware aujourd’hui. Or l’approche de nos clients a changé. Ce qui compte désormais c’est le service et donc l’usage. Les entreprises veulent voir tout de suite des « résultats business ». Signe de ce changement : 35 % à 40 % des investissements informatiques des entreprises ne se font plus dans les directions SI.

 

Décideurs. Vous répétez que l’informatique est passé d’un « mode défensif » à un « mode offensif », qu’entendez-vous par là ?

P. H. Initialement, les entreprises ont surtout utilisé l’informatique pour réduire leurs coûts et gagner en compétitivité. Depuis 2011 aux États-Unis, un autre usage se développe. L’informatique est devenue un instrument de conquête. Il n’y a qu’à voir Uber. Aujourd’hui, ce mouvement s’accélère en Europe avec le développement des véhicules connectés ou des logiciels de cartographie.

 

Décideurs. Le phénomène d’uberisation vous inquiète-t-il ?

P. H. Nous vivons une période où plusieurs ruptures se produisent en même temps : dans le cloud, la mobilité et le big data. Dans ce contexte, une personne qui connaît les données et sait les exploiter peut s’imposer dans un secteur et le bouleverser. L’uberisation en fait partie. Le phénomène consiste à acheter l’usage d’un bien plutôt que d’en être propriétaire. Et pour optimiser les usages, rien ne vaut l’informatique. Pour nous, c’est plutôt une bonne nouvelle.

 

Propos recueillis par Jean-Hippolyte Feildel

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