Figure de l’industrie immobilière, Philippe Zivkovic, cofondateur et codirigeant avec Guillaume Poitrinal du groupe WO2 – Woodeum, partage ses réflexions sur l’impact de la crise sanitaire et du confinement pour la fabrique de la ville. Interview prospective.

Décideurs. Quels premiers enseignements tirez-vous de la crise sanitaire et du confinement ?

Philippe Zivkovic. J’ai vécu cinq crises immobilières depuis le début de ma carrière mais celle que nous vivons actuellement, la sixième pour moi, est inédite car elle a conduit à un arrêt total de l’économie pour des raisons sanitaires. Cette situation est angoissante mais j’observe malgré tout quelques aspects positifs. Un besoin de retour à la nature s’exprime depuis le début du confinement et les liens sociaux se sont renforcés au sein de la cellule familiale nucléaire. A contrario, la fonction de lieu d’échanges et de rencontres de la cité a été annihilée, ce qui est frustrant. 

Quel regard portez-vous sur l’action du gouvernement ?

Personne n’avait anticipé l’ampleur et la brutalité de cette pandémie. Les moyens dont nous disposions pour y faire face étaient réduits. Le gouvernement a logiquement décrété un confinement total. Il a également cherché à faire preuve de transparence pendant cette période. Mais le plus dur reste à venir : réussir le déconfinement. Le télétravail ne peut pas être permanent car les échanges en direct sont indispensables, travailler dans des tours de bureaux qui comportent différents espaces confinés comme les ascenseurs sera contraignant, le flex-office sera difficile à maintenir tant qu’un traitement ou un vaccin efficace contre le virus n’aura pas été trouvé… Des tendances qui étaient considérées comme acquises dans l’immobilier vont être bouleversées.

Quel pourrait être le rôle de l'industrie immobilière dans la relance économique ?

Elle aura un rôle clé à jouer car elle touche à la fois au lieu de résidence et à celui de travail.  N’oublions pas non plus son poids économique important car elle fait travailler 2 millions de personnes. Par ailleurs, le plan de relance devra inclure l’industrie immobilière car ce secteur va souffrir. Dans le résidentiel, entre les chantiers qui ont été arrêtés, ceux qui reprennent progressivement et les reports des autorisations administratives, 80 000 à 100 000 logements seront perdus cette année. En immobilier d’entreprise, une crise du marché locatif est inévitable car de nombreuses entreprises préféreront renégocier leurs baux actuels plutôt que de déménager.

Dans quelle mesure cette crise sanitaire pourrait-elle faire évoluer à moyen terme les grands principes de fonctionnement du secteur de la fabrique de la ville selon vous ?

Le rôle des élus locaux est redevenu central pendant cette crise sanitaire. Ce mouvement doit être durable car la France souffre d’un excès de centralisme qui crée beaucoup de lourdeurs. Un effort important devra également être consenti pour que chacun puisse avoir accès à une bonne connexion internet où qu’il vive en France. En parallèle, les professionnels devront se doter d’outils qui permettent de simplifier les processus. Les notaires devront par exemple tous être en mesure de réaliser des actes de manière dématérialisée à l’avenir. Les moyens de mobilité douce ont quant à eux retrouvé leurs lettres de noblesse pendant cette crise sanitaire. Cette tendance va s’inscrire dans le temps.

Les produits immobiliers doivent pour leur part évoluer, d’autant plus que le parc ancien est important. Nous devrons accorder une place encore plus grande aux terrasses, aux balcons, aux jardins privatifs et autres espaces extérieurs en dédensifiant les constructions, aussi bien dans le résidentiel que dans le tertiaire. Le projet Arboretum que WO2 va développer à Nanterre est le prototype même du produit post-Covid. Ce campus disposera d’un parc de 6 hectares, lui-même mitoyen d’un parc départemental de 15 hectares.  Nous avons également prévu de réaliser 12 000 m² de balcons et terrasses ainsi que 15 000 m² de services (restaurants, fitness, auditorium) dans ce programme qui développera 120 000 m² de bureaux. Tout ceci va dans le sens du retour à la nature. Par ailleurs, les constructeurs et promoteurs devront répondre aux préoccupations des utilisateurs en matière de santé et de bien-être. Cela passera notamment par des fenêtres de grandes tailles et ouvrables qui donnent sur la végétation pour créer un phénomène anti-stress et apportent de la clarté qui est bénéfique pour le moral. La qualité de l’air nécessitera elle-aussi un traitement renforcé. La construction bois offre de nombreux avantages pour relever ces défis car des études ont démontré ses bienfaits sur la santé. Enfin, cette crise sanitaire a remis au premier plan les sujets écologiques sur lesquels WO2 - Woodeum est très engagé, notamment sur l'empreinte carbone particulièrement limitée par la construction en bois massif CLT de ses opérations.

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

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