Avec la fusion entre les commissaires-priseurs et les huissiers, la profession d’huissier de justice est en passe de connaître un renouveau. Dans le même temps, l’installation de nouvelles études prévue par la loi Macron fait débat : pour Patrick Sannino, le président de la Chambre nationale, la révision de la carte des installations élaborées par l’Autorité de la concurrence demeure incomplète. Deuxième partie de son interview.

L’Autorité de la concurrence a récemment fait preuve de prudence dans l’élaboration de sa proposition de carte pour l’installation de nouveaux notaires et de révision des propositions qu’elle avait émises en décembre 2019 pour les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires. Elle recommande ainsi l’installation libérale, d’ici 2023, de 50 nouveaux huissiers de justice et d’aucun commissaire-priseur judiciaire en estimant que cette dernière profession a été la plus sévèrement affectée par la crise sanitaire. A-t-elle selon vous vu juste ?

Patrick Sannino C’est une question sensible pour la profession et il s’agit de voir le verre soit à moitié plein, soit à moitié vide. Si je vois le verre à moitié plein, je constate que nous sommes passés de 100 créations nouvelles, et ce en sus du reliquat de la première carte qui était alors de 49, donc 159 créations préconisées dans l’avis du 2 décembre 2019, à 50 créations dans l’avis modifié du 28 avril 2021. De même, de 32 zones concernées par la libre installation, nous sommes passés à 22. Et je ne parle ici que des huissiers, puisque les trois créations nouvelles prévues pour les commissaires-priseurs ont été abandonnées. In fine, si je raisonne en commissaires de justice, nous passons donc de 152 créations préconisées par l’Autorité, à 50. Difficile de considérer que l’Autorité soit restée sourde à nos inquiétudes !

Et le verre à moitié vide ?

Je ne peux m’empêcher de constater que le compte n’y est pas. Nous demandions un moratoire sur les créations jusqu’à la fin de l’année 2022 afin de laisser le temps aux études de se remettre de la crise et cela n’a pas été pris en compte. De même, nous avions demandé un gel de la révision tarifaire et nous avons tout de même eu une baisse de -0,8 de notre tarif au 1er janvier. D’aucuns argueraient que ce ne sont pas 50 créations ni une baisse du tarif inférieure à 1 % qui vont mettre à terre la profession, certes, mais qu’en est-il du symbole ? Car c’est bien un signal qui est envoyé à la profession et celui-ci n’est pas bon !

"Nous demandions un moratoire sur les créations jusqu’à la fin de l’année 2022 afin de laisser le temps aux études de se remettre de la crise et cela n’a pas été pris en compte"

Et puis il y aurait aussi à redire sur la définition des zones de libre installation : quel est le but poursuivi ? N’est-ce pas le maintien du maillage territorial, afin de faciliter l’accès aux professionnels du droit pour les justiciables ? Pourtant, parmi les 50 créations, 2 départements sur 22 représentent plus de 20 % des créations : Paris et la Gironde, des départements dans lesquels les justiciables n’ont aucune difficulté à recourir à un huissier… En résumé, la révision de l’avis a certes été un soulagement pour nous, mais pour autant, je ne suis pas satisfait.

Actuellement, à quel stade en est-on du projet de fusion de la profession d’huissier et de celle de commissaire-priseur ? Cette réforme marque-t-elle un renouveau de la profession ?

P. S. Cette fusion est un chantier pharaonique et je suis convaincu que le résultat sera à la hauteur des attentes. Nous avons énormément progressé depuis les débuts, et surtout depuis la création d’une structure faitière, la Chambre nationale des commissaires de justice, composée de deux sections distinctes surmontées d’un bureau national où siègent trois huissiers et trois commissaires-priseurs judiciaires. Les premiers temps n’ont pas toujours été faciles, mais tout cela est derrière nous et heureusement ! Nous avons appris à nous connaître, à travailler et à avancer ensemble. Désormais, il n’y a plus de sujet tabou entre nous et c’est essentiel. Pour construire cette profession, ce qui suppose que l’on réponde à de nombreuses questions et que l’on prenne un grand nombre d’arbitrages, il faut que l’on puisse se parler sans fausse pudeur et c’est aujourd’hui le cas.

"Il faut que les jeunes huissiers soient créatifs et inventent de nouvelles manières de travailler, y compris avec les autres professions du droit"

Ce que je trouve assez remarquable et me donne beaucoup d’espoir, c’est que nous sommes arrivés au départ, et bien sûr je le déplore, mais il s’agissait je pense d’un réflexe pavlovien, chacun dans l’optique de défendre les intérêts de notre profession d’origine, et cela a pu créer des tensions. Mais petit à petit, cet état d’esprit initial a évolué, et maintenant, à l’approche du terme de notre travail commun, nous réalisons que ce que nous avons fait, nous l’avons fait pour les générations futures, celles qui n’auront pas connu les deux professions et pour qui cette histoire de rapprochement ne sera guère plus qu’une page dans un cours d’université. Vous me demandez si cela marque un renouveau, et je vous réponds un oui massif ! Nous sommes en train d’inventer quelque chose de nouveau sur le fondement de deux professions pluriséculaires, et c’est tout à fait excitant !

Qui est le futur commissaire de justice ?

P. S. Le commissaire de justice sera à la fois un tiers de confiance à la parole probante, un spécialiste de la preuve, un auxiliaire de justice chargé de la signification, le grand spécialiste de l’exécution, de l’expertise et de la vente judiciaire. Et il sera aussi, s’il le souhaite, opérateur de ventes volontaires, médiateur, administrateur d’immeubles. Ce sera une profession aux compétences variées et qui va s’affirmer comme incontournable dans l’univers du droit ! Charge désormais à nos successeurs, aux futurs commissaires de justice de donner à cette profession son identité propre, que la pratique et le temps seuls forgeront.

En votre qualité de président, quelles améliorations souhaiteriez-vous pour la profession ?

P. S. J’approche du terme de mon troisième mandat à la tête de la Chambre nationale. Lorsque je la quitterai – et en même temps la profession – cela fera quarante-trois ans que je suis huissier, quatorze ans que je siège au bureau et huit ans que je dirige la Chambre. Vous n’imaginez pas à quel point j’ai vu évoluer ma profession ! Je suis très heureux de voir qu’elle est aujourd’hui dynamique, consciente des changements qu’impose le temps présent, mais jamais oublieuse de ses racines ni de son identité propre, qui ne disparaîtra pas avec la nouvelle profession, soyez-en sûrs !

Alors si je devais donner un conseil aux jeunes, je leur dirais d’explorer toutes les activités qu’offre notre métier, de ne pas se limiter à l’une ou l’autre. Bien sûr, la spécialisation c’est important, mais nous avons construit une profession multi-facette et il faut profiter de cela. Nous vivons une époque qui promeut l’interdisciplinarité, la pluralité des compétences : les jeunes savent que, contrairement à leurs parents ou grands-parents, ils ne vont pas rester toute leur vie dans la même entreprise, faire le même métier, ils veulent du changement et des expériences variées ! C’est exactement dans cette optique que nous avons construit la nouvelle profession. Alors je souhaite leur dire qu’il ne faut pas avoir peur, au contraire ! Il faut qu’ils prennent la balle au bond et qu’ils soient créatifs pour inventer de nouvelles manières de travailler, y compris avec les autres professions du droit.

Propos recueillis par Marine Calvo

Retrouvez la première partie de l'interview de Patrick Sannino ici.

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