Pierre Loustric, président de Scentys, partage son expérience managériale des dernières semaines. Le chef d'entreprise revient également sur sa stratégie Made in France, qui s'est révélée payante.

Décideurs. Comment à titre personnel, vous êtes vous organisé pour réagir d'une part, et anticiper d'autre part, les conséquences du Covid 19 sur votre entreprise? 

Pierre Loustric. En m’appuyant sur mon réseau (membre de croissance Plus) et mes actionnaires (observateurs de leurs participations), j’ai pu bénéficier d’un partage de l’information (officielle et off) et du retour d’expérience d’autrui. Et puis, j’y mets mes tripes et mon intuition. Je prends aussi des risques pour rebondir plus vite : maintien de dépenses stratégiques, mais économies sur du non essentiel.

Nous avons également vite mobilisé les dispositifs du gouvernement (PGE, chômage partiel, report de charges sociales…) afin de sauvegarder la trésorerie. Enfin, la communication a été essentielle : externe/à nos clients (email sur notre Plan de Continuité de l’Activité (usine ouverte et fonctionnante), interne (rassurance sur le maintien à flot de la société, avec quand même une prise de conscience nécessaire).

Comment affronter la solitude ?

Un leader est toujours seul. En fait, il faut être Janus : un côté rationnel, dans l’action, rassurant, qui prend des décisions dures pour maintenir sa boîte à flot et sauver les emplois de ses collaborateurs. Et une autre face plus « maternelle », plus entourante qu’à l’accoutumée avec ses équipiers. Un appel juste pour le plaisir de leur parler et pour leur demander comment ils vont, sans parler d’aspects professionnels.

Partager ses doutes est une forme d’humanité. Les gens clairvoyants y décèlent plutôt de l‘empathie que de la faiblesse. Pour autant, qu’ils voient aussi qu’on reste rationne dans la tempête, et pas submergé par l’émotion. Donc, guerrier et maternel à la fois.

Comment manager ses émotions, et celles des autres ?

Par l’action. Des décisions claires suivies d’actions concrètes. L’acte apaise et rassure. Moi, et mes employés, qui sont acteurs dans les débats et les décisions prises, faisons en sorte de beaucoup nous parler. C’est plus difficile pour certains que d’autres. Ceux qui sont confinés seuls, dans un 30m2 à Paris sous les toits ont besoin de plus d’attention et de dialogue. Il faut que j’en sois conscient, et que je passe l’appel de plus à ceux- là. Je note aussi que le poids des habitudes nous rassure. Cela confère aussi une forme de normalité, de routine, qui nous rapproche de l’ex quotidien, physiquement au travail.

Toutes les solidarités sont challengées ou décuplées. Comment les encourager ? Les créer ?

Chacun dans l’entreprise a fait un petit clip pour dévoiler son environnement de travail à la maison. Sans pudeur, cela a permis de découvrir de nouvelles facettes des individus qui n’auraient pas été révélées dans la routine du travail habituel. Un ton plus léger aussi, que l’on ne s’autorise pas toujours dans un univers de bureau, plus professionnel. Donner ainsi la parole et l’image à nos collaborateurs nous a mis dans le partage, sans brider la créativité des individus, qui on pu s’exprimer avec leur fond et forme.

Notre stratégie Made in France s’est révélée payante, puisque nous n’avons pas souffert d’approvisionnements de Chine et avons pu fabriquer/facturer

Business modèle & Operating modèle : Ils sont challengés, opérationnellement, juridiquement & financièrement : quelle résilience du portefeuille de commande et modèle de contrats (solidité des clauses, leçon solvabilité clients & délai de paiement...) ?

Nous sommes une société (diffusion de parfum) diversifiée (produits + service) qui a des clients globaux, dans le secteur du Luxe. Notre risque est ainsi diversifié, et nous aide à nous en sortir. De plus, nous sommes un produit MAISON (parfumage de votre intérieur) qui se prête à ce confinement longue durée, rendu agréable par des parfums d’ambiance. Surtout, notre stratégie Made in France s’est révélée payante, puisque nous n’avons pas souffert d’approvisionnements de Chine et avons pu fabriquer/facturer.

Cette résilience rassure nos clients, et nous permettra de rester à flot. Opérant dans le secteur du Luxe, j’ai la chance d’avoir des clients qui sont des gens « décents », conscients de leur responsabilité de payer des petites entreprises. Même pour ceux qui souffrent, ils se comportent comme des gentlemen. C’est une belle surprise. Personne n’a évoqué (pour le moment) de force majeure ou de pseudo prétextes. De mon côté, je paye aussi mes fournisseurs, ou, au pire, essaye de négocier une rallonge de paiement. Mais je respecte nos engagements.

Comment survivre ? 

Surtout, ne pas tout arrêter ! Certes, couper les dépenses non essentielles, bénéficier des dispositifs d’aide gouvernementaux, mais surtout, continuer la R&D, le lancement du nouveau produit, et continuer un peu de publicité. Pour ceux qui le peuvent, ils en sortiront plus fort. Même pour l’interne, il est rassurant de voir que le Management est dans une forme de » business as usual », qui se projette avec positivisme dans l’après. C’est donc aussi un acte de communication.

Quel cap pour 2022/25 ?

Pour ma part, à ce stade, je ne vais pas changer notre feuille de route. Je maintiens mes piliers stratégiques et ma R&D.

Il est trop tôt au bout de deux mois pour paniquer. Personne n’a de boule de cristal. Qui s’arrête repartira mois vite. Je m’inscris dans le positivisme, avec forcément une prise de risque vis-à-vis de mes actionnaires. Mais je l’assume.

Propos recueillis en avril 2020

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