Par Louis de Gaulle, avocat associé, et Xavier Près, docteur en droit, avocat. De Gaulle Fleurance & Associés
Depuis la loi Novelli du 22 juillet 2009 relative au développement et à la modernisation des services touristiques, les opérateurs de voyages sont désormais placés sous un régime unique simplifié d’immatriculation qui se substitue aux quatre précédents régimes. La qualification d’opérateur de voyages emportant d’importantes conséquences pratiques, elle mérite d’être précisément circonscrite.

Atout France, l’autorité chargée de la politique du tourisme en France, a rendu le 24 avril 2012 un avis important sur la notion d’opérateurs de voyages définis à l’art. L. 211-1 du Code du tourisme comme les « personnes physiques ou morales qui se livrent ou apportent leur concours, quelles que soient les modalités de leur rémunération, aux opérations consistant en l’organisation ou la vente » de prestations touristiques limitativement énumérées. Cette définition étant large, la question se pose de savoir si les intermédiaires, qui interviennent entre les opérateurs et les clients pour favoriser l’achat d’une prestation touristique, doivent ou non être qualifiés d’opérateur de voyages et s’ils sont donc tenus de s’immatriculer.

La question n’est pas neutre. Concrètement elle concerne toutes les personnes qui gravitent autour d’une prestation touristique, sans pour autant la fournir, i.e l’« opérer ». Ainsi par exemple des courtiers, mandataires, apporteurs d’affaires, agents commerciaux, comités d’entreprise, sites ou centrales de réservation en ligne. Pour ces derniers, les enjeux de la qualification ne sont donc pas sans conséquences car l’opérateur de voyages est soumis à des obligations d’immatriculation et à un régime juridique spécifique, dont le non-respect est pénalement sanctionné. Bon nombre d’acteurs pourraient donc être contraints de revoir leur business model si une approche extensive de la notion venait à être consacrée.

La position d’Atout France
Sa position est claire : « Au regard des art. L. 211-1, L. 211-3 et L. 211-18 III du Code du tourisme les agents de voyages ou les opérateurs de voyages et de séjours se définissent exclusivement par l’activité qu’ils exercent. Leur qualité d’opérateur de voyage ne dépend ni de leur statut, ni encore d’obligations particulières qui leur seraient imposées ou non par une autre réglementation. Ainsi, lorsqu’ils interviennent à titre onéreux pour faciliter la conclusion d’un contrat « touristique », les apporteurs d’affaires, les agents commerciaux, les comités d’entreprise, les mutuelles, les sites ou centrales de réservation en ligne d’hébergements ou d’autres produits touristiques, les courtiers ou encore toute autre personne physique ou morale exerçant un type d’activité similaire sont soumis à l’obligation d’être immatriculés pour pouvoir exercer légalement cette activité professionnelle »(1). Il est précisé que sa position « est celle de l’inclusion des intermédiaires de tourisme dans le champ du Code du tourisme et donc de l’obligation qui leur est faite par la loi de s’immatriculer »(2). À suivre Atout France, tous les intermédiaires, dès lors qu’ils interviennent à titre onéreux, devraient donc être considérés comme des opérateurs de voyages. Est-ce si sûr ?

Une approche trop large incompatible avec la qualité de certains intermédiaires de voyages
Aux termes de l’art. L. 211-1 du Code du tourisme, le législateur a souhaité embrasser l’ensemble des opérateurs de voyages, qu’ils produisent ou vendent le voyage. Les travaux parlementaires précisent à cet égard que la loi place sur «le même plan les agents distributeurs, qui ont un rôle intermédiaire (ils revendent des voyages conçus par d’autres) et les agents voyagistes (les tours opérateurs), qui conçoivent des produits touristiques et organisent un voyage »(3). De là à soutenir que le texte engloberait l’ensemble des acteurs qui n’opèrent pas pour autant le voyage, nous semble un pas difficile à franchir. Ce d’autant que le texte est imprécis et la jurisprudence, ancienne, contradictoire(4). C’est si vrai que la doctrine reconnaît que la question de l’inclusion des intermédiaires « reste posée »(5).
De fait, la locution «?apporter son concours?» est imparfaite. Si elle explique la position d’Atout France, elle ne saurait la justifier. D’abord parce que cette notion vague ne renvoie à aucune qualification juridique. Ensuite parce que l’acception d’opérateur de voyages – fût-elle largement définie au sein d’un texte spécial – doit nécessairement tenir compte d’autres dispositions légales tout aussi spéciales. Ainsi dans le cas où l’intermédiaire se limiterait à proposer sur internet ses services en facilitant la mise en relation technique entre l’acheteur et le vendeur d’une prestation touristique, il sera soumis, selon le rôle exact qu’il joue – actif ou passif –, soit aux dispositions du Code du tourisme (rôle actif), soit à celles de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) applicables à l’hébergeur (rôle passif). Or les deux régimes ne sauraient se cumuler : l’opérateur de voyages est responsable de plein droit (art. L. 211-16 du Code du tourisme), alors que l’hébergeur bénéficie d’une responsabilité aménagée, ne pouvant être engagée que s’il est démontré qu’il avait connaissance de l’illicéité du contenu stocké, ou que, en en ayant eu connaissance, il n’a pas agi promptement pour le retirer (art. 6 LCEN). Un troisième argument milite en faveur d’une interprétation stricte de la notion d’opérateur de voyages : c’est celui du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, corollaire du principe à valeur constitutionnelle de légalité des délits et des peines. Le non-respect des conditions visées par l’art. L.211-1 du Code du tourisme étant pénalement sanctionné, il paraît difficile de souscrire à une approche extensive.
Au final, il nous semble qu’Atout France a raison lorsqu’elle écrit que les opérateurs de voyages « se définissent exclusivement par l’activité qu’ils exercent »(6). Reste que tout dépend de leur rôle exact. Seules les personnes qui s’immiscent dans la vente, qui participent à son exécution, devraient être soumises au Code du tourisme et non pas toutes celles qui en facilitent la conclusion. C’est en ce sens que vient de se prononcer la Cour de cassation. Dans un arrêt du 19 février 2013, elle a écarté l’application des dispositions du Code du tourisme à un comité d’entreprise aux motifs que ce dernier n’intervient pas « en qualité de vendeur », mais en qualité d’intermédiaire entre les salariés de l’entreprise et l’agence de voyage. Ainsi, selon la Cour de cassation, seule la personne qui agit « en qualité de vendeur » doit être soumise au régime applicable à l’opérateur de voyage et, partant, aux dispositions du Code du tourisme. Cet arrêt infirme l’analyse d’Atout France et confirme la pratique des intermédiaires, ces derniers étant rarement immatriculés.

1- « Rapport d’activité » de la commission d’immatriculation des opérateurs de voyages ou de séjours et des exploitants de voitures de tourisme avec chauffeur, Atout France, 24 avril 2012, p.22.
2- Ibidem, p. 21.
3- Rapport, Sénat, n° 304 (2008-2009).
4- Cour de cassation, crim., 23 octobre 2001, JCP E, 2001, IV, p. 1986 ; Cour de cassation, 1ère ch. civile, 16 mars 1994, Bull 1994, I, n° 101, 77 – Contra,
CA de Versailles, 28 septembre 2001, JCP E, n° 1, 10. – V. également l’arrêt récent de la Cour de cassation,
19 février 2013, cité ci-après.
5- L. Jégouzo, Le droit du Tourisme, Lextenso, éditions, 2012, n°?443.
6- « Rapport d’activité » précité, Atout France, 24?avril 2012, p.?22.


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