À la suite d’une période fortement marquée par la crise sanitaire, le nombre de managers se lançant dans la reprise de leur entreprise s’est accru. Anne-France Grumel et Olivier Larrat, associés de Signadile, ont échangé avec Fabrice Fleury, associé chez Capital Croissance et Nicolas Prévost, CEO de Collin, sur ce phénomène grandissant et les enjeux qui l’entourent.

Décideurs. Décideurs. Avec un marché des MBO et MBI très actifs, comment peut-on accompagner efficacement ces reprises ?

Fabrice Fleury. Nous sommes extrêmement sensibles à l’engagement du manager dans sa prise en main du sujet et de la société. Qu’il s’agisse de sa projection, son analyse, la façon dont il a analysé ses réseaux et les a employés pour mieux connaitre l’entreprise. Ces éléments sont importants pour nous et nous permette de déterminer si le candidat est fait pour ce projet.

Anne-France Grumel. Il est important que les repreneurs travaillent bien leur projet de reprise, surtout avant de rencontrer les fonds. Notamment ceux francophones qui ont tendances à mettre des étiquettes aux dirigeants sur leur secteur et refusent l’idée qu’un changement puisse être opéré. Quand nous travaillons avec les repreneurs nous souhaitons établir un projet établi avant qu’ils ne se dirigent vers les fonds.

F. F. Bien que l’on ait chez Capital Croissance un ADN très entrepreneurial, avec 75 % de nos investisseurs qui sont des entrepreneurs, il faut admettre que c’est une vérité. Il est important d’être le plus préparé possible avant de se présenter devant un fonds.

Nicolas Prévost. L’accompagnement en amont est l’une des plus-values de Signadile qui va au-delà de la recherche de cible. Reprendre une entreprise est très engageant, c’est minmum pour sept ou huit ans et ce sont des années intenses où l’on embarque tout le monde dans le projet, dans et autour de l’entreprise. Il ne faut y aller à la première cible qui se présente, il faut réfléchir et préparer cette opération.

À quel moment peut-on se dire qu’il est temps de sauter le pas ?

N. P. Je pense qu’il faut tomber amoureux, surtout lorsque l’on reste sur son domaine car on perçoit vite si les choses nous correspondent ou non. L’intuition est très importante. Pour que la greffe prenne, il faut que l’entreprise corresponde à notre identité, elle ne doit pas s’adapter à nous. En arrivant en tant que repreneur vous êtes le nouveaux « locataire » de l’entreprise. Elle a été dirigée un certain temps avant vous par vos prédécesseurs et vous l’accompagnerez jusqu’au prochain. Le choix ne doit donc pas être purement rationnel, il s’agit d’un engagement pour le meilleur et pour le pire, à l’image d’un mariage. En tombant amoureux de l’entreprise, vous tombez amoureux des gens qui font cette entreprise, votre démarche est sincère et cela se ressent.

Olivier Larrat. La reprise d’une entreprise est ambivalente en ça qu’elle survient après une opération d’acquisition mais qu’elle ne constitue pas l’appropriation de la société. Comme le soulignais Nicolas Prévost, le repreneur s’engage pour une période où il va apporter à l’entreprise, le respect, par le dirigeant, de l’entreprise et de ses employés est donc essentiel. Cette divergence entre la propriété et l’apport ainsi que la volonté d’amener l’entreprise plus loin permet de préparer l’après, de penser plus loin que la simple reprise.

"L’intuition est très importante. Pour que la greffe prenne, il faut que l’entreprise corresponde à notre identité, elle ne doit pas s’adapter à nous." - Nicolas Prévost 

Quel est le point du vu des fonds d’investissement sur cet accompagnement du repreneur ?

F. F. Nous essayons d’être un tiers objectif de la situation et souhaitons que le dirigeant réussisse. Nous apportons donc notre grille d’analyse à la réflexion pour étudier les compétences nécessaires à la réalisation du projet, vérifier son adéquation avec la société cible et réalisons un travail d’échange important sur ces sujets avec le dirigeant. Cet accompagnement commence souvent en amont mais persiste notamment dans cette période critique des premiers mois suivant la reprise.

Un autre point sur lequel nous pouvons modestement aider le dirigeant c’est notre réseau d’entrepreneurs. Il s’agit d’une co-construction, dans laquelle nous restons à notre place, le projet est avant tout celui du dirigeant mais nous tentons de l’aider ou de limiter les risques en mettant à sa disposition les outils à notre disposition.

N. P. Les fonds sont extrêmement professionnels et possèdent une grande expertise de par le nombre important de reprises auxquelles ils assistent. Cela leur permet parfois de créer des ponts entre deux situations voire deux secteurs et de nous accompagner avec des conseils avisés.

A. – F. G. C’est la culture du small-cap, très différente de celle du mid-cap. Ici les repreneurs individuels ont souvent peur des fonds à cause de cette vision mid market. Dans cet univers small, la culture est très différente, il s’agit de partenaires qui travaillent ensemble dans un rapprochement d’intérêts.

"On peut voir de belles entreprises mais qui ne correspondent pas au repreneur. C’est notre travail de leur expliquer, et surtout, de les aider à le comprendre." - Olivier Larrat

Au-delà de l’expertise M&A, Signadile réalise ce qu’aucun autre acteur de la place ne propose sur ce segment, un accompagnement en leadership. Quelle plus-value cela apporte-t-il aux nouveaux dirigeants ?

A. – F. G. Cette double expertise que nous avons, en M&A et en coaching est importante pour nous dans ce segment small-cap car les relations humaines y sont prépondérantes. Il existe beaucoup d’outils à destination des dirigeants pour les accompagnements financiers mais finalement assez peu sur la partie humaine. Le dirigeant est seul et c’est notre rôle de lui sortir la tête du guidon, sur le plan financier évidemment mais également et c’est tout aussi important, sur le plan managérial. Au sein d’une PME, si les équipes ne suivent pas cela peut engendre des frictions dans la machine.

N. P. C’est en effet cet accompagnement humain qui vous distingue largement des autres acteurs. D’autant plus que celui-ci intervient très en amont et nous permet, plus que de trouver une cible, de se préparer sur le plan humain, d’affiner le projet et de se projeter sereinement. Anne-France, qui fait un travail de coaching très exigeant mais bienveillant, nous fait nous poser les bonnes questions.

F. F. C’est d’ailleurs un travail préparatoire très important pour nous en tant que fonds. Il est important qu’un dirigeant sache qui il est et quelles sont ses forces mais aussi ses faiblesses avant d’aller chercher une entreprise. Il s’agit également d’un gain de temps dans le cadre du choix de la cible, le profil étant déjà déterminé.

N. P. Cette période de réflexion est fondamentale et je pense qu’il est préférable de la réaliser en amont de la reprise. Une fois que cela est fait nous ne sommes plus là pour nous poser des questions mais plutôt pour apporter des réponses et avancer.

O. L. On peut voir de belles entreprises mais qui ne correspondent pas au repreneur. C’est notre travail de leur expliquer, et surtout, de les aider à le comprendre. Notre plus grande frustration peut parfois résider dans le fait de croiser ces beaux sujets mais qu’ils ne correspondent à aucun de nos candidats, cela arrive parfois mais permet d’assurer la réussite des projets des dirigeants en s’assurant de cette adéquation.

Aujourd’hui, le marché de l’acquisition est extrêmement complexe, la difficulté ne réside, pour les fonds pas à lever de l’argent mais à trouver les bonnes cibles et surtout les gagner. Choisir le bon profil permet-il de garantir le succès du projet ?

F. F. Il y a plusieurs cas. Dans le cadre d’un MBI je reste intimement convaincu que l’actionnaire historique veut céder son entreprise au manager interne, il s’agit pour lui de la personne la plus adaptée pour porter le projet, c’est la clé du succès. Dans le contexte d’un MBO, le succès réside dans la compréhension des enjeux du repreneur tout en prenant en compte les domaines où il est à l’aise et ceux où il l’est moins. Les leviers ne sont pas exactement les mêmes pour apprécier les situations mais les aventures restent essentiellement humaines dans ce segment small-cap.

N. P. Au cours d’un MBI ce match avec les cédants est fondamental. Si l’on tombe amoureux de la société, d’une certaine façon c’est que l’on est tombé amoureux de ses prédécesseurs. Retrouver en eux des valeurs communes est un gage de succès. Ils ont recruté des personnes avec qui ils ont apprécié travailler au fil des années et la greffe prendra donc logiquement. À titre personnel, je ne me voyais pas reprendre une société des mains d’un dirigeant avec qui je ne me sentais pas aligné.

O. L. Il faut bien entendu trouver le bon dirigeant mais sans oublier cet aspect de compétition que l’on retrouve sur les plus beaux actifs. Le cédant a, au moment de céder son entreprise, une idée du prix qu’il désire. Une fois que ce problème est réglé, il choisira son successeur afin qu’il soit à même de poursuivre le projet et de l’amener plus loin.

A. – F. G. Chez Signadile nous avons tendance à dire au dirigeant de se concentrer sur l’humain, sur sa relation avec le cédant. De notre côté nous nous occupons de la négociation pendant que le dirigeant crée cette relation.

N. P. En s’entendant bien avec le cédant, cela permet de développer de l’empathie. C’est un moment difficile même s’il est prêt à passer la main, ce sont des années de travail sur lesquelles le dirigeant s’apprête à tourner la page. Établir une bonne relation, en tant que repreneur, avec le cédant permet de l’aider et de le rassurer sur la continuité du projet dans lequel il s’est investi et permet, en retour, de s’assurer de son soutien sur la phase de transition. Cela permet notamment de donner aux équipes l’image d’une passation douce et, surtout, voulue afin d’obtenir leur confiance. Le changement reste évidemment majeur pour eux mais en réalisant ce travail humain, le risque de turbulences est réduit. Au moins les employés se questionnent sur la transition et au plus ils sont à même de poursuivre leur apport au développement de la société, il est donc capital que ce timing soit bien géré.

O. L. Il arrive aussi que le dirigeant transmette son entreprise tout simplement car il décide d’arrêter, sans penser à la suite de l’entreprise. C’est alors notre travail d’aider la nouvelle génération à trouver les axes de développement de valeur, au-delà du simple développement de la société.

F. F. L’idée reste d’aider le dirigeant à créer un actif stratégique avec une singularité dans son marché qui lui permettra de devenir pérenne. Nous l’accompagnons donc dans la construction de son projet et dans sa mise en place.

"Les leviers ne sont pas exactement les mêmes pour apprécier les situations mais les aventures restent essentiellement humaines dans ce segment small-cap." - Fabrice Fleury

Cela nous mène au post-acquisition, la prise de contrôle effective et les premières décisions. Quels conseils donneriez-vous aux nouveaux candidats pour cette phase cruciale des cent premiers jours ?

N. P. Le premier point est d’être extrêmement sincère au moment de se présenter soi-même ainsi que son projet. Ensuite, il est important d’être humble, le premier challenge est de continuer, a minima, de faire vivre l’entreprise aussi bien que ce que les prédécesseurs ont pu faire. Si, dans les premiers mois, on arrive à sécuriser le bateau et maintenir le cap, c’est déjà un bon résultat. Il ne faut pas oublier également que, lors de votre arrivée, il vous revient de vous adapter aux personnes qui travaillent dans l’entreprise et non l’inverse. La clé de voute de la réussite réside donc dans l’humilité.

A. – F. G. Ainsi qu’une grande observation ! Se mettre dans les pantoufles du dirigeant sans rien faire et en prenant le temps d’observer et essentiel. Cela permet de solidifier les fondations pour pouvoir donner le coup d’accélérateur le moment venu et ne pas le donner trop tôt, ce qui peut mener à une catastrophe.

O. L. Il faut effectivement prendre la température des assets que l’on n’a pas encore pu étudier auparavant, à savoir les équipes. Sans elle, rien n’est possible, il est donc essentiel de les comprendre et de voir en elle le rôle moteur qu’elles opèrent pour l’entreprise.

F. F. Je nuancerais certains propos en opérant une distinction entre le MBO et le MBI. Concernant ces derniers, je suis d’accord avec vous sur la prise de température et son importance, cependant lorsque ces cent jours sont bien préparés, il est important de montrer sa verticalité en présentant son projet. Il faut le confronter pour s’assurer qu’une alchimie sera possible avec les équipes. Pour le MBO il est évident que nous pouvons aller plus vite. Et à l’inverse, je dirais qu’il faut assez vite changer les choses. Le nouveau dirigeant change de statut, il doit désormais porter ce nouveau costume dès la reprise. Notre rôle est de l’accompagner pour que sa position soit clairement établie en interne. Le changement de style permet de démarquer un réel changement de position.

Les portefeuilles ont tendances à tourner de plus en plus vite. Les MBO et MBI ont-ils tendance à rester plus longtemps qu’un LBO classique ?

F. F. Il n’y a pas de règle établie. Bien souvent pour les fonds et, toujours dans notre portefeuille, c’est le dirigeant qui a décidé de sortir du portefeuille. Qu’il s’agisse d’un industriel qui fait une offre qu’il ne peut pas refuser ou bien car il souhaitait s’adosser pour développer le projet. C’est encore une histoire de dirigeant et de momentum. Les belles sociétés sont très observées et courtisées et c’est donc naturellement que surviennent ces opérations.

N. P. Il faut, en tant que dirigeant, analyser ce qui sera le plus bénéfique pour l’entreprise lors de la prise de décision. Dans le cas de Collin, avec la fabrication de matériel médical, nous réfléchissons à ce qui sera le mieux pour le patient. L’objectif est de soigner au mieux tous les patients, ainsi si une décision nous permet d’accélérer le développement d’une technologie qui pourra être mise au service du patient, cela revient à une bonne décision pour nous. Cet état des lieux est valable pour toutes les entreprises, avec des motivations qui leur sont propres et qui guident les choix du dirigeant, notamment vers une sortie potentielle du portefeuille d’un partenaire financier.

Propos recueillis par David Glaser

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