Les banques centrales, et notamment la Réserve fédérale américaine (FED) sont intervenues massivement depuis le début de la crise. Cette politique porte t-elle ses fruits ? Les investisseurs peuvent-ils reprendre un peu plus de risque sur les marchés financiers ? Olivier de Berranger, Directeur Général Délégué en charge de la gestion d'actifs de La Financière de l'Echiquier, rappelle l'importance de demeurer "assez mobile".

Décideurs. Que vous inspire la période que nous traversons ?

Olivier de Berranger. Soulignons la réactivité extrême des banques centrales et des gouvernements. Nous n’avions jamais vu dans l’histoire une telle vitesse d’intervention. Mais nous n’avions jamais connu non plus une absence de concertation aussi nette. Donald Trump préside le G7 tandis que le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed Ben Salman dirige le G20. Tout est dit. La BCE et la FED mènent également leur politique chacune de leur coté. On ne peut que le regretter.

La crise sanitaire mondiale a provoqué un effondrement des bourses mondiales. Jusqu'où peut aller cette baisse ? Existe-t-il un seuil plancher ?

Ce n’est pas la crise sanitaire qui a provoqué la baisse des marchés mais les mesures prises par les gouvernements pour enrayer cette épidémie. Les marchés financiers essayent tout simplement de prévoir l’impact sur la dynamique de résultats des entreprises. Des secteurs comme ceux de la restauration, des transports aériens et des voyages sont à l’arrêt. Pour d’autres, il est aujourd’hui délicat de faire des anticipations sur les résultats ou les bénéfices. Certaines activités ou sociétés qui ne sont pas au cœur de la tempête seront tout de même impactées par la baisse du PIB. La chute du PIB sera bien supérieure à celle évoquée en début de crise. Pour le second trimestre, les estimations portent sur une chute allant de 20 à 50 %. Il n’y aura pas de rebond durable des bourses tant que l’on n’aura pas une idée précise de la stabilisation de la pandémie et des prévisions plus solides sur les résultats des entreprises. 

"Le secteur bancaire a été injustement sanctionné"

Quelles sont à votre sens les clés d’un éventuel rebond ? Quels sont les éléments qui peuvent faire infléchir les investisseurs ? Les annonces de la FED sur les rachats illimités des créances publiques sont-elles le signal tant attendu ?

Ces annonces de la Réserve fédérale américaine sont un game changer concernant la volatilité. Les marchés doivent revenir à une forme de stabilité. La FED n’apporte pas de garantie sur les investissements, mais se porte garante de la maîtrise de la volatilité. Une crainte exacerbée par le fait que tous les actifs, sans exception, ont baissé la semaine précédente. Les actions, le pétrole, l’or et même les emprunts d’Etat américain à 10 ans, pourtant considérés comme une valeur refuge, avaient chuté. Les investisseurs vendaient tout ce qu’il était possible de céder pour récupérer des liquidités. Même en 2008, au cœur de la tempête, nous n’avions pas vu de tels comportements. La politique de la BCE s’inscrit dans cette logique. Elle a souhaité éviter une fragmentation au sein de la zone euro.

Cette stratégie va-t-elle porter ses fruits ?

Je le pense. La FED va, pour la première fois, se porter acquéreur d’obligations corporate. Chose qu’elle avait refusé de faire après la crise de 2008. Nous sommes cependant en train de payer les décisions prises à l’époque en matière de liquidité. Tout avait été fait pour que les établissements bancaires n’aient plus à fournir de liquidité sur les marchés. C’est un retour de manivelle très fort sur le fonctionnement des marchés, notamment les contraintes bilancielles et de fonds propres imposées aux établissements bancaires. Les acquéreurs en dernier ressort sont désormais les banques centrales. En une semaine, la FED avait utilisé la moitié de son programme de 750 milliards de dollars d’achats d’actifs. Cela donne une idée de la masse d’actifs à vendre. Cette situation doit nous faire réfléchir pour les années à venir. Lorsque les marchés chutent lourdement, il n’y a plus d’acheteurs qui se repositionnent sur des périodes de long terme.

Faites-vous partie de ceux qui estiment qu'il est préférable de fermer les bourses mondiales ?

Cela n’a pas de sens de fermer une bourse et pas les autres. En 2001, les États-Unis pouvaient encore se le permettre. Aujourd’hui, soit on ferme toutes les bourses, soit aucune. Aux Philippines, le gouvernement a ordonné la fermeture de la bourse locale. Résultat, lors de sa réouverture, l’indice phare a perdu près de 30 % ! Il me semble aussi très compliqué de fermer les marchés actions sans toucher aux marchés obligataires. Les suspensions de séances me semblent plus efficaces. Il y a des systèmes de coupe-circuits intéressants aux États-Unis que nous n’avons pas en Europe.

"Il peut être intéressant de se repositionner sur les marchés financiers mais il ne s’agit pas de faire all in"

Quelles sont les valeurs (ou les secteurs) qui résistent le mieux ? Les télécoms ? La santé ?

Les secteurs des télécoms, de la santé mais aussi les entreprises proposant des matériels médicaux ont mieux résisté. A contrario, certaines valeurs ont été particulièrement impactées par la chute des marchés. C’est notamment le cas des entreprises du secteur des voyages, de l’automobile et de la restauration. Le secteur bancaire a, quant à lui, été injustement sanctionné. Il n’y a pas de raison fondamentale pour que ces titres soient aussi durement touchés. Le modèle économique des établissements bancaires repose notamment sur la marge prise sur les lignes de crédit. Or de nombreuses entreprises les sollicitent dans ce but. Certes la question de leur remboursement futur se pose, mais le gouvernement a mis en place des garanties supplémentaires qui devraient favoriser la protection des intérêts des banques.

Est-il pertinent de revenir dès à présent sur les marchés ? Quelle stratégie faut-il alors adopter ?

Tout d’abord, si vous êtes investis sur les marchés, il est désormais trop tard pour vendre. Nous sommes entrés en récession, cela ne fait aucun doute. Nous en sortirons quand la crise sanitaire sera terminée. La durée de la récession est donc l’une des plus prévisibles de l’histoire. Si vous n’êtes pas investis, il peut être intéressant de se repositionner sur les marchés financiers. Il ne s’agit pas cependant de faire « all in », comme au poker. Je conseille de le faire par le biais de versements réguliers. Il faut garder son calme et être assez mobile. Je privilégie les thématiques à long terme, avec un horizon d’investissement de 5 à 10 ans.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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