Le Grenelle contre les violences conjugales s’est clôturé le 25 novembre dernier. Dans ce dossier, la Chancellerie est en première ligne pour définir un arsenal légal de protection des victimes de violences. Nicole Belloubet s’attache à mettre en place un dispositif plus fluide et sans failles. Explications.

Décideurs Juridiques. Les mesures annoncées par Édouard Philippe semblent toutes déjà exister (permettre au juge pénal de statuer sur l'exercice de l’autorité parentale en cas de condamnation pour violence conjugale, suspension de l'autorité parentale du conjoint mis en examen pour homicide volontaire sur l’autre parent, mesures d'éloignement, suppression des « absurdités juridiques » comme l’obligation pour les enfants de subvenir aux besoins des parents, interdiction de la médiation devant le JAF en cas de violences conjugales...). Quelles sont les nouveautés juridiques en matière de lutte contre les violences conjugales ?

Nicole Belloubet. Il est vrai qu’une partie du dispositif juridique existe déjà. Mais reste cependant à nous assurer d’une mise en œuvre plus fluide et sans failles. La difficulté, dans cette lutte, est la place fondamentale de l’appréciation par celui qui prend la plainte, qui peut être subjective pour un contentieux aussi complexe. C’est la raison pour laquelle nous mettons en place une grille de lecture unifiée entre tous les commissariats et toutes les gendarmeries de France. Cette grille, élaborée avec des experts de la question, permettra d’aider l’enquêteur à apprécier la nature des faits.

La seconde difficulté réside dans le traitement sans failles des violences dès qu’elles sont repérées. Il faut qu’il n’y ait plus aucun interstice entre le moment où les plaintes sont recueillies par les policiers ou les gendarmes et  les suites qui leur sont données par les magistrats. Nous allons donc resserrer les mailles grâce aux projets de juridiction. Nous nous sommes rendus avec Emmanuel Macron à Créteil où les chambres de l’urgence ont été créées : quand une victime arrive, cette dernière est prise en charge de manière proactive grâce à un parcours d’accompagnement qui, plus jamais, n’est laissée seule. De même les plaintes de ces victimes font l’objet d’un suivi spécifique. Il s’agit d’un système efficace de circulation de l’information. Ce type de projet sera dupliqué et adapté à la taille de chaque juridiction. Ainsi, procureur, juge pénal, juge aux affaires familiales et juge des enfants communiqueront de manière systématique en cas de violences sur l’enfant ou le conjoint afin de permettre  la mise en œuvre rapide des mesures appropriées.

"Le budget général de la justice est en augmentation, 100 postes supplémentaires de magistrats et 380 de greffiers sont d’ores et déjà prévus"

De nombreuses juridictions sont engagées depuis longtemps sur ces sujets. Il convient qu’elles le soient désormais toutes. C’est pourquoi dès le 9 mai dernier j’ai signé une circulaire dont l’objet est le traitement organisationnel de la chaîne pénale. Elle recense les outils juridiques dont nous disposons et incite les magistrats à les utiliser.

Et sur le plan législatif ?

En effet, l’organisation judiciaire n’est pas l’unique réponse. Nous avons besoin d’une réponse législative. Deux propositions de loi sont dédiées au sujet. La première a été déposée par le député Les Républicains, Aurélien Pradié. Elle a reçu le soutien du groupe LREM. Elle propose trois nouveautés.

La première est le bracelet anti-rapprochement (BAR) : il n’existait pas auparavant. Nous avons pris exemple sur l’Espagne. Concrètement, la victime et le conjoint violent disposent tous les deux d’un BAR. Et en cas de dépassement de la distance autorisée, un surveillant du système situe le conjoint violent qui est rappelé à l’ordre et, en cas de refus, les forces de police interviennent. Opérationnel en 2020, ce bracelet sera produit en 1 000 exemplaires.

La seconde mesure est le téléphone grave danger (TGD) : la victime appuie sur un seul bouton pour alerter les forces de l’ordre qui interviennent immédiatement. La réponse est très rapide. Ce dispositif existe déjà mais la nouveauté réside dans l’assouplissement des critères d’attribution du TGD et dans l’augmentation de leur nombre, de 800 actuellement à 1 100 en 2020. Nous nous sommes en effet rendu compte que les parquets hésitaient parfois à en délivrer, à cause du cadre juridique ou pour en conserver en réserve en cas de situations plus grave. Ils en délivrent aujourd’hui davantage.

"Sans bouleverser l’organisation de nos tribunaux, nous espérons parvenir aux mêmes résultats qu’en Espagne"

La dernière nouveauté de cette proposition de loi concerne l’ordonnance de protection. C’est une mesure civile délivrée par le JAF, mais jusqu’à présent en trop petit nombre : plus de 10 000 en Espagne contre moins de 3 000 en France. Le texte incite les juges à délivrer les ordonnances de protection en rappelant que le JAF n’a pas à chercher la preuve du danger. Il n’est pas un juge pénal. Par ailleurs, les magistrats nous ont confié que les certificats médicaux des victimes ne sont pas toujours explicites. Nous travaillons donc avec le conseil de l’ordre des médecins pour en améliorer la clarté.

Quel planning pour ce texte ?

Cette proposition de loi devrait être adoptée avant la fin de l’année. L’idée est de développer le contenu des ordonnances de protection. Nous voulons y adjoindre le maximum de dispositifs de protection des victimes : le bracelet anti-rapprochement, l’interdiction d’accès au domicile, la suspension de l’autorité parentale….

La seconde proposition de loi concerne d’autres mesures juridiques. Lesquelles ?

Nous travaillons à la création de la circonstance aggravante de suicide forcé, qui serait puni d’une peine de 10 ans d’emprisonnement. En réalité, c’est l’instauration de la répression du harcèlement ayant conduit au suicide. Par ailleurs, nous travaillons sur des points non juridiques comme le secret médical et la création de 200 centres de prise en charge pour les auteurs de violences conjugales.

Le Code pénal prévoit déjà une circonstance aggravante en cas d’homicide d’un conjoint. Pensez-vous que l’infraction de féminicide doive être créée ?

Le féminicide n’existe pas dans le Code pénal, de même que l’infanticide. Leur introduction en droit français demanderait un important travail de réécriture des textes qui me semble inutile. L’infraction d’homicide inclut déjà la circonstance aggravante que vous citez. En revanche, j’utilise très fréquemment le terme féminicide dans le langage courant. Le terme féminicide reflète une réalité criminelle : tout doit être déployé pour que ce ne soit plus une fatalité.

Si les parlementaires s’emparent de ce sujet, j’attire leur attention sur le risque d’inconstitutionnalité d’un texte introduisant une discrimination entre les genres.

Des moyens supplémentaires aux forces de police ont été annoncés. Lesquels ?

Une hausse des moyens. Sur le milliard d’euros attribué à la lutte contre les violences conjugales, 360 millions seront débloqués cette année et 220 millions seront octroyés au ministère de l’Intérieur. Dans les commissariats et les gendarmeries, 80 postes supplémentaires d’intervenants sociaux seront créés. Un budget est également nécessaire pour les formations initiales et continues à l’accueil des victimes conjugales pour les policiers et les gendarmes.

Et pour la justice ? Des postes de magistrats seront-ils créés ?

Le budget général de la justice est en augmentation, 100 postes supplémentaires de magistrats et 380 de greffiers sont d’ores et déjà prévus. Les présidents de juridictions décideront de la répartition adaptée au cas par cas. Pour le sujet qui nous intéresse, un budget supplémentaire de 10 millions d’euros a été annoncé mais en réalité ce sera plus. 5,5 millions d’euros seront déjà engagés pour développer les bracelets anti-rapprochement. Ce à quoi s’ajoute le financement des ressources humaines dédiées à la réponse téléphonique pour les victimes, la multiplication des espaces médiatisés de rencontre…

L'Espagne semble avoir été une source d’inspiration de certaines mesures à adopter. Mais pas l’instauration d’un tribunal spécial. Pourquoi ?

C’est un système différent. En France, nous séparons le juge civil du juge pénal. Mais finalement, nos chambres de l’urgence, qui donnent la priorité au traitement de ce type de dossiers, se rapprochent de l’esprit espagnol en réunissant les différents maillons de la chaîne judiciaire. Sans bouleverser l’organisation de nos tribunaux, nous espérons parvenir aux mêmes résultats.

Propos recueillis par Pascale D’Amore et Marine Calvo

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