Neja Lanouar rejoint les services de la Mairie de Paris en 2002. Elle assure tour à tour des fonctions de maîtrise d’œuvre et de maîtrise d’ouvrage, puis prend la charge de projets de réformes au secrétariat général avant d'accepter le challenge de pilote de la DSI fin 2012.

Décideurs. Vous travaillez en tant que DSI de la ville de Paris depuis 2013, quelle était votre feuille de route à votre arrivée ? 

Neja Lanouar.Nous commençons chaque mandature par un bilan et les perspectives validées par l’exécutif municipal. Cela nous permet de fixer un cap, une feuille de route à suivre pour les six années à venir. Depuis le début du mandat d’Anne Hidalgo, notre énergie a été principalement focalisée sur le développement des services numériques pour les usagers. L’objectif est d’amener petit à petit toutes les démarches et les relations à l’usager à se dématérialiser. 

La particularité d’une collectivité est la diversité des métiers avec des secteurs très variés, bien plus que dans le privé : état civil, sport, culture, scolaire, espace public, voirie, propreté, social, espaces verts, santé… etc. Notre parc logiciel est donc colossal, puisqu’il regroupe 800 applications métiers différentes ! Opérer la transformation digitale de tous ces services est un véritable enjeu et un travail de long terme qui s’étale sur plusieurs années. Le processus est bien enclenché, nous avons déjà développé des dizaines de services. Notamment, en service depuis avril, la dématérialisation de bout en bout des demandes de permis de construire, qui permet de faciliter et d’optimiser les délais de traitement est en service. C’est une première en France !

Tout ce travail s’inscrit dans un ensemble de projets dans lequel la relation à l’usager est centrale, mais pas exclusive. Métiers SI, information géographiques et infrastructures résilientes représentent aussi des défis auxquels nous devons répondre.

Quels nouveaux horizons offrent la transition numérique aux services publics de la ville de Paris ?

 Globalement, la digitalisation permet un contact plus rapide et plus étroit avec le citoyen. Grâce au site internet Paris.fr, au compte personnel « parisien », aux services en ligne, mais également aux réseaux sociaux, le Parisien, qu’il soit de passage ou qu’il vive à Paris est plus proche de sa mairie. Il n’y a plus autant de paperasse, ni de temps de passage des demandes des usagers entre les différents services. De plus en plus, le numérique permet d’effectuer ses démarches en continu même lorsque la Mairie est fermée, ce qui facilite le quotidien du citoyen. Ce dernier peut ainsi avoir accès aux informations et aux services partout et tout le temps !

L’application « Paris dans ma rue » est emblématique de ce rapprochement entre l’usager et l’administration. Chacun peut signaler en temps réel une anomalie sur l’espace public (graffitis, encombrants sauvages,etc.) Le digital apporte également un retour direct des Parisiens, ce qui nous aide à améliorer de manière continue la qualité de nos services et des réponses apportées.

Nous essayons d’aller davantage vers ce que l’on appelle le « dites-le nous une fois ». C’est-à-dire que l’usager ne nous communique qu’une seule fois les papiers nécessaires pour traiter une demande, plutôt que de le solliciter à plusieurs reprises pour différents services.

Quelle est d’après vous la place et l’avenir de la DSI au sein des collectivités ?

Dans le public ou le privé, la DSI est souvent considérée comme une direction « support », au même titre qu’un service financier ou comptable. Si nous le sommes toujours un peu, le métier s’est transformé. Nous avons même changé de nom. Nous étions la DSTI, Direction des systèmes et technologies de l’information, nous sommes depuis l’an dernier, la DSIN, Direction des systèmes d’information et du numérique. Ce changement atteste de cette transformation et de l’évolution du rôle de la DSI vers le numérique. C’est d’ailleurs une tendance de fond, dans le public comme dans le privé.

En revanche, ce qui est particulier à la collectivité, c’est que notre DSI est véritablement devenue une direction au service des usagers et plus seulement une direction support. Nous sommes directement au service de l’usager, des missions de l’espace public et du territoire via les systèmes d’informations et le numérique, ce qui n’était pas le cas quand je suis arrivée en 2013.

Comment parvenez-vous à apporter votre vision technologique aux métiers avec lesquels vous travaillez ?

 J’évite au maximum de parler « techno » aux métiers. Prendre un sujet par la technologie rebute et ne suscite pas la curiosité au sein des directions métiers. Je pense qu’il faut arriver à se mettre à leur place, à parler leur langage et à abandonner le jargon trop compliqué pour collaborer efficacement. J’essaye de faire comprendre qu’il existe de nouvelles manières de faire et que de nouvelles technologies permettent de répondre aux questions métiers, sans trop détailler. Pour la Blockchain par exemple, je demande plutôt à mes collègues s’ils ont des besoins de traçabilité de registres. Si tel est le cas, j’explique le concept, sans trop rentrer dans la technologie au risque de perdre tout le monde !

" Notre parc logiciel est colossal. Il regroupe 800 applications métiers différentes "

Comment intervenez-vous auprès de vos collègues au quotidien ?

Nous fonctionnons de manière très encadrée, à l’aide de contrats de partenariats. Une fois par an, je rencontre les directeurs des différents secteurs de la Mairie de Paris. C’est un entretien important qui me permet d’avoir une vision de leur SI métier, de leurs équipements. À cette occasion, ils réfléchissent également à ce que l’IT peut leur apporter dans leurs missions. Ainsi, nous déclinons avec eux l’avancement de la feuille de route globale de la mandature sur l’année à venir et faisons aussi le bilan de l’année passée. Nous nous mettons d’accord sur les points à améliorer et sur les besoins du métier. Ensuite, nos équipes concernées prennent le relais pour mener à bien les différents projets.

Concernant les problèmes informatiques du quotidien, nous avons un outil de sollicitation en ligne. Avec 30 000 agents qui disposent d’un poste de travail, il faut que tout soit bien organisé car nous traitons plus de 150 000 sollicitations par an.

La mairie est-elle en concurrence avec des acteurs privés pour proposer de nouveaux services numériques ?

Il ne s’agit pas réellement de concurrence. La Mairie a une mission de service public, c’est un service proposé qui ne produit pas de bénéfices, il n’y a donc pas de concurrence dans ce secteur. Les applications fabriquées par le privé peuvent ressembler aux services que nous proposons, mais elles sont généralement complémentaires à celles que nous développons. Certaines peuvent même utiliser des données que nous partageons en Open Data, dans l’objectif que des développeurs privés puissent s’en emparer pour créer de nouveaux outils utiles aux parisiens. C’est quelque chose que nous essayons de favoriser et qui nous satisfait puisque cela reste dans l’intérêt de l’usager ! Par ailleurs, nous souhaitons même prochainement faire labelliser par la Mairie de Paris certaines applications développées par l’écosystème extérieur pour encourager cette complémentarité.

De quelle manière la ville de Paris parvient à traiter et protéger les données personnelles des citoyens ?

Nous suivons très strictement le RGPD et les recommandations de la CNIL.  Nous avons choisi l’hébergement dans un datacenter souverain pour renforcer la sécurité des données de nos citoyens. L’infrastructure des systèmes d’information est ainsi complètement sécurisée et nous ne dépendons pas de fournisseurs externes pour l’exploiter. Cette politique est adaptée à une inscription dans le long terme de nos investissements et la nécessité d’en garantir la pérennité. Elle est également économique. Elle place la municipalité en situation de maîtriser pleinement les choix technologiques concernant le stockage et l’exploitation de ses données ; et last but not least, elle contribue à la démarche de développement durable portée par la ville, l’énergie calorifique générée devant être réemployée pour chauffer des bâtiments avoisinants. De plus, nous veillons à séparer les domaines métier. C’est-à-dire que si un usager transmet des informations sur sa situation dans le secteur scolaire, nous nous engageons à ne pas réutiliser les données pour un domaine hors de cette sphère.

Par ailleurs, nous avons sollicité des experts et la CNIL pour une étude sur la gestion de l’identité afin de nous assurer que tout était bien en ordre. Ces questions de sécurité des données sont au cœur de nos préoccupations et respecter le contrat tacite de confiance qui existe entre le Parisien et son administration est fondamental pour la collectivité parisienne.

Propros recueillis par Laura Breut (@laurabreut)

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