La récente loi du 22/05/2019 visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants a modifié l’organisation des normes juridiques par une nouvelle rédaction de l’article L 3142-26 qui rend supplétif l’accord d’entreprise. C’est donc la convention de branche qui prime, contrairement aux dispositions de la loi Travail du 8/08/2016 et de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22/09/2017. C’est étonnant et pose la question de savoir si ce n’est qu’un texte de circonstance, ou si alors existe une volonté (peu probable) de modifier l’ordonnancement né des textes précités.

Dans le grand chambardement des relations entre les normes juridiques entreprises depuis 1982 amplifié par la loi Travail du 08/08/2016, et achevé par l’ordonnance n° 2017-1385 du 22/09/2017, on aurait pu penser que chacune de ces normes avait fini par trouver sa place.

Même s’il existe encore quelques scories (cf M. Morand : L’étrange section VI – SSL 2016, n° 1735, ou encore « les forfaits enfouis » JCPS 5/03/2019) globalement le cadre général paraissait tracé faisant de l’accord d’entreprise (sauf exception) le lieu privilégié de fabrication de la norme sociale.

Le niveau de l’inter-branches « activé »

Mais voilà, le niveau de « l’inter-branches » consacré par la loi du 05/09/2018 relative à la liberté de choisir son avenir professionnel, a perturbé ce nouvel ordonnancement du fait de ce nouveau niveau de négociation légalement institué lors de la création des OPCO. Ainsi par exemple le mécanisme de l’abondement ciblé dans le cadre de l’article L 6323-14 du Code du travail qui concerne la définition de certaines formations qui en seraient éligibles, et les salariés pouvant en bénéficier, suppose « un accord d’entreprise ou de groupe, un accord de branche, ou un accord conclu par les organisations syndicales de salariés et d’employeurs gestionnaires d’un opérateur de compétences ». Nulle part le texte donne priorité à un quelconque de ces niveaux de négociation qui concerne aussi bien l’entreprise que l’inter-branches par la référence aux gestionnaires de l’OPCO. Espérons qu’aucune concurrence n’existera entre ces différents niveaux de négociation et si tel était le cas alors peut-être que cette rédaction instaure une résurgence du « bon vieux principe de faveur ».

On peut penser que c’est plutôt le manque de réflexion qui a pu créer, dans ce texte de septembre 2017, un brouillage de l’image fixé par le législateur de 2016 et 2017.

Cependant, nul hasard ou précipitation dans la loi n° 2019-485 du 22/05/2019 visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants. Qu’en est-il ?

Dans l’organisation à trois étages du Code du travail relative à la durée du travail et aux congés telle que confectionnée par la loi Travail du 08/08/2016, les modalités de mise en œuvre du congé proche aidant (durée maximale du congé, nombre de renouvellements possibles et autres modalités relatives à ce congé) pouvaient faire partie du champ de la négociation (2e étage). Conformément au principe général contenu dans le texte de 2016, la branche n’avait qu’un rôle supplétif en l’absence d’accord d’entreprise selon la célèbre formule : « Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche détermine… » (formulation reprise par l’article L 3142-26 pour le congé proche aidant).

Le niveau de la branche « réactivé »

Mais alors, et peut-être pour favoriser la reconnaissance des proches aidants selon l’intitulé de la loi de mai 2019, l’article 1er de cette loi renverse la table des négociateurs, modifie l’article L 3142-26 en indiquant cette fois « une convention ou un accord de branche, ou à défaut une convention ou un accord d’entreprise détermine… ». La « hiérarchie » est renversée, ou plutôt l’ordonnancement des normes est modifié en faisant de l’accord d’entreprise la norme susceptible de s’appliquer à défaut d’accord de branche, ce qui induit nécessairement dans ce nouveau rapport que l’accord de branche s’impose, quel que soit son contenu à l’accord d’entreprise. Ce qui peut induire aussi que l’accord d’entreprise antérieur, postérieur à l’accord de branche « disparaît » même s’il est plus favorable quand l’accord de branche apparaît.

La rédaction du nouvel article L 3142-26 du Code du travail est intentionnelle. Selon le rapporteur de la proposition de loi qui constatait que l’architecture du Code du travail n’imposait pas à la branche de se saisir du dispositif proche aidant puisque l’article L 3142-26 du Code du travail ne lui donnait qu’une compétence supplétive en l’absence d’accord d’entreprise, il y avait là une incohérence qu’il fallait rectifier estimant logique « que les modalités de mise en œuvre du congé de proche aidant figurent à la convention de branche à titre principal et non à titre subsidiaire » (Rapport n° 26 de O. Henno au nom de la commission des affaires sociales).

Certes on peut comprendre, mais rien ne justifie véritablement le retour en force de la branche dans le cadre de ce dispositif sauf à réécrire toutes les dispositions du Code du travail pour lesquelles il y a autant de raisons de penser que la branche est à tort reléguée à n’avoir qu’un rôle supplétif.

Le procès de complexité fait au Code du travail risque de s’alourdir de circonstances aggravantes, si au fil des interventions législatives, de manière volontaire ou par inadvertance, les options prises sont remises en cause affectant nécessairement la cohérence d’ensemble.

Michel Morand, avocat associé et président du conseil scientifique, Barthélémy Avocats

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