La France renoue avec les joies de la victoire de son équipe nationale en coupe du monde et le football démontre sa capacité à fédérer et enthousiasmer nos compatriotes dans leur ensemble. Quelques semaines auparavant, le montant des droits de diffusion de la Ligue 1 à la télévision s'était envolé. Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue professionnelle et première femme a occupé de si hautes fonctions au sein des instances du sport le plus populaire de France revient sur ce succès mais aussi sur sa vision du football professionnel hexagonal.

Décideurs. La manne des droits télé de la Ligue 1 se chiffre à plus de 1,153 milliard d’euros par an pour la période 2020-2024. Quels ont été les facteurs de succès de cette vente record ?

Nathalie Boy de la Tour.
Tout d’abord, j’aimerais souligner qu’il s’agit d’une augmentation de plus de 60 % du prix des droits de retransmission télévisuelle par rapport à la période précédente. Ce succès nous replace au centre de l’échiquier européen. Il va nous permettre d’accélérer la mise en place du cercle vertueux initié il y a deux ans. Depuis 2011, de nouveaux investisseurs ont généré des revenus supplémentaires et ont également contribué à améliorer la qualité du spectacle proposé en recrutant des joueurs emblématiques. Je ne pense pas uniquement à Neymar en disant cela, même si son arrivée a bien-sûr contribué à accélérer la mise en place de cette dynamique. L’idée est d’améliorer le niveau du spectacle en donnant les moyens aux clubs de se développer.

L’arrivée de ces investisseurs étrangers a pu être ressentie comme un risque de perte d’identité locale des clubs. Quelle est votre perception ?

En se mondialisant, le football ne peut échapper aux règles de l’économie internationale. L’intérêt des investisseurs étrangers est un signe à interpréter de façon positive. Le football français est économiquement attractif. Nous sommes donc heureux de les voir arriver. Nous aimerions également attirer davantage d’investisseurs français. Les grandes entreprises françaises sont au nombre de deux à l’heure actuelle, avec Kering à Rennes et M6 à Bordeaux. Les autres entreprises françaises présentes dans notre sport sont souvent des ETI ou des PME. Ceci n’a évidemment rien de péjoratif puisqu’elles constituent un tissu économique local extrêmement important et essentiel à l’économie française. Mais, à l’instar du football professionnel allemand, nous souhaitons être rejoints par de grandes entreprises du CAC 40 qui, en regardant d’un autre œil le football français, auraient envie d’y investir.

Comment s’explique leur réserve ?

Le frein est essentiellement culturel. Le football renvoie une image populaire que ne véhiculent ni le rugby, ni le tennis, ni la voile ou le golf. D’où, sans doute, une certaine réticence. Il faut aussi avouer que le football français, et la LFP en particulier, ont été déficitaires dans leur travail de communication auprès d’investisseurs potentiels. Cet effort est entrepris à la Ligue depuis deux ans. Dans notre plan stratégique défini l’an dernier, nous avons privilégié un travail d’approche et de sensibilisation des grandes entreprises en montrant que le football est un secteur économique présentant un réel intérêt. Avec 800 matchs et 11 millions de spectateurs dans nos stades par an, le football professionnel est la plus importante industrie de spectacle vivant en France.

Vous avez souligné récemment les actions citoyennes et sociales des clubs professionnels français. Pouvez-vous nous les décrire ?

En matière de responsabilité sociétale et environnementale (RSE), le football fait déjà beaucoup. La ligue souhaite donc valoriser, en les médiatisant, les actions mises en place par les clubs professionnels pour inspirer les clubs entre eux, mais également pour rayonner au-delà du monde du football. Pour la deuxième année consécutive, nous avons publié le livret « Jouons-la collectif ! » qui répertorie les actions sociétales et environnementales produites par 39 des 40 clubs professionnels français. En tout, pas moins de 3 000 actions et plus d’un million de personnes concernées sur une saison. 

En quoi consistent ces actions ?

Elles se déploient principalement autour de trois axes. Le premier concerne le football amateur. Il s’agit d’aider les équipes amateures ou les associations qui œuvrent dans cet écosystème en offrant par exemple aux jeunes licenciés des équipements ou des invitations. Le second, très important pour nous, est lié à l’éducation. Comment s’appuyer sur le football pour faire passer des messages d’intérêt général qui contribuent à créer une société meilleure ? Le dernier axe est humanitaire :  les clubs s’engagent directement dans une ou plusieurs causes caritatives (Les Restos du cœur, La Croix-Rouge française, Les Banques alimentaires, les aides aux hôpitaux…). Il me paraît important de souligner le budget global que cela représente. Plus de 72 millions d’euros sont reversés chaque année à des actions sociales, soit 4 % du chiffre d’affaires du football professionnel. À titre de comparaison, celui des entreprises du CAC 40 est inférieur à 1 %.  Cela témoigne du véritable rôle social du football. C’est un vrai engagement sociétal et financier, pas de la communication. C’est intrinsèque au monde du football, qui ne s’en rend même plus forcément compte, et ne sait pas le mettre en valeur. C’est dans cette optique que la Ligue a lancé un programme national, intitulé « Révélons nos talents ». À chaque but marqué en Ligue 1 ou en Ligue 2, cent euros sont reversés à la fondation Simplon qui forme des jeunes éloignés de l’emploi aux métiers de la programmation numérique pour leur permettre de trouver un travail.

L’image du football auprès du grand public générant toujours plus d’argent et des footballeurs professionnels individualistes ne semble toutefois pas en adéquation avec ces actions. Comment l’expliquez-vous ? 

Cette image est à combattre. Elle ne correspond pas à la réalité. Nous devons progresser en la matière pour que le grand public et les médias perçoivent cette réalité. Nous n’avons ni à rougir ni à recevoir de leçons en la matière. Les 4 % des revenus du football professionnel reversés en matière de RSE ne correspondent qu’à ce que donnent les clubs. À titre individuel, les joueurs contribuent aussi directement à des actions sociales sans que cela se sache et sans que nous soyons donc en mesure de les évaluer.

La Ligue 1  aura, dès la saison prochaine, une exposition sur une grande chaîne de télé chinoise, soit une audience potentielle de 800 millions de personnes

Quel bilan tirez-vous de votre action à la tête de la LFP après dix-huit mois de mandat ?

Nous sortions d’une crise de gouvernance. Le premier objectif consistait donc à stabiliser et à apaiser la LFP. Nous sommes sur la bonne voie. Le second était de transformer la Ligue pour qu’elle devienne une entreprise au service des clubs et du développement du football professionnel. Dans ce cadre, nous avons établi un plan stratégique qui fixe un certain nombre d’objectifs ambitieux mais réalistes en matière financière, économique et d’image. Ce plan arrivera à échéance en 2022. Nous tirerons le bilan en 2022 mais, d’ores et déjà, il y a des progressions significatives sur un certain nombre d’indicateurs, l’appel d’offres des droits télé étant l’un des indicateurs les plus parlants.

Quels sont les prochains chantiers du football professionnel français ?

Le chantier prioritaire est de rattraper notre retard en matière de droits télé internationaux. Un contrat avec beIN Sports court jusqu’en 2024. Nous travaillons avec beIN, pays par pays, pour optimiser ce contrat. En février 2017, l’ouverture de notre premier bureau à l’étranger, en Chine, avec la fédération française de football a été un événement important. Pour la première fois, la Ligue 1 Conforama aura, dès la saison prochaine, une exposition sur une grande chaîne de télé locale CCTV5 - un peu l’équivalent de France Télévision, soit une audience potentielle de 800 millions de personnes. Par ailleurs, le travail de fond a été d’expliquer l’écosystème et le fonctionnement de notre football aux investisseurs pour leur permettre d’en évaluer la rentabilité. Et enfin, un autre enjeu stratégique pour nous est d’attirer de nouveaux publics, plus familiaux, plus féminins dans les stades, en améliorant notre image. Il faut donner des garanties concernant la sécurité dans les stades. Celle-ci est perçue de manière très paradoxale. Le public habitué déclare s’y sentir en sécurité alors que les personnes qui n’en n’ont pas l’habitude expriment leur crainte sur le sujet. Il y a une réelle distorsion entre le vécu et l’image véhiculée.

Certains critiquent justement le décalage des horaires des matchs pour le public chinois. Que leur répondez-vous ?

Je ne partage pas du tout cette analyse. Au contraire, il est intéressant et important de changer les habitudes. Pour le match Nice-PSG, cette saison, qui a été programmé à 13 heures, j’étais présente au stade. Il était plein. Avec un public, certes différent, plus familial, plus féminin, mais c’est justement ce que nous voulons : donner à tout le monde la possibilité de venir. Les enfants ne vont pas au stade le soir parce qu’ils doivent aller à l’école le lendemain matin. Il faut donc proposer des affiches attrayantes à d’autres moments que le dimanche soir. En programmant ces matchs à 13 heures, l’idée est de faire vivre les stades, d’attirer des spectateurs qui ne viennent pas que pour le match. S’il est important d’augmenter nos recettes, il s’agit aussi de réussir à créer des lieux qui dépassent le simple cadre du match.

Quelles autres activités imaginez-vous ?

Le principal point faible qui ressort de nos différentes études sur « l’expérience client » dans les stades porte sur la restauration. Nous sommes encore très loin de ce que l’Allemagne offre, où le public arrive bien avant le match, y déjeune ou y dîne. Ses animations sont mises en place par les clubs sur les parvis. Cela permet une expérience plus globale que celle d’être simplement assis dans le stade à regarder le match qui, bien entendu, doit rester le point d’orgue, mais pas l’unique distraction.

Plus spécifiquement, d’aucuns soutiennent que l’horaire du dimanche midi serait proposé au détriment de la pratique du football amateur. Comment réagissez-vous à cela ?

Les matchs de football amateur se jouent tout au long du weekend. Selon les catégories, certains sont programmés le samedi comme le dimanche, le matin, l’après-midi ou le soir. Si l’on ne s’attache qu’à la pratique du football amateur, plus aucun match ne serait diffusé le weekend.

Concernant les débordements dans les stades, l’utilisation des fumigènes mais aussi la place des groupes de supporters dans les tribunes, quelles sont vos positions ?

Les supporters ont plus que toute leur place dans les stades. Cependant, nous ne pouvons absolument pas transiger avec la sécurité.  Je suis tout à fait favorable à l’animation mais dans le respect absolu des règles de sécurité. Les fumigènes, dangereux, dont la température peut atteindre 2 000 degrés sont interdits et leur usage est puni pénalement. En tant que responsable de la sécurité du public, la Ligue ne peut pas accepter ce que la loi interdit.  Ce point est effectivement le plus saillant de nos difficultés relationnelles avec les groupes de supporters. Il est de notre responsabilité pour garantir l’intégrité physique des acteurs du jeu et des spectateurs de demander la disparition de ces fumigènes.

Au-delà des fumigènes, les groupes de supporters, avec leurs chants, leurs tifos, leurs animations, participent au spectacle que vous appelez de vos vœux dans les stades. Comment envisagez-vous votre relation avec eux ?

Je suis une adepte du dialogue et très heureuse de représenter les ligues de sports professionnels à l’instance nationale du supportérisme, l’entité mise en place par la ministre des Sports. Elle est destinée à permettre l’échange entre les associations de supporters et les différents acteurs concernés. Un exemple concret de ce dialogue : la Ligue soutient l’expérimentation du retour des tribunes debout revendiquées par les supporters. Il faut donc écouter les associations de supporters, faire preuve de pédagogie, tester de nouvelles expériences sans jamais transiger sur la sécurité.

Propos recueillis par Philippe Labrunie

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