Pénaliste de renom et ardent défenseur des libertés, Henri Leclerc redoute qu’en permettant de cibler non plus uniquement les coupables mais les suspects, en restreignant les libertés et en alimentant les suspicions, la nouvelle loi antiterroriste s’apparente davantage à une menace pour nos fondamentaux démocratiques qu’à un outil de sécurité collective. Explications.

Décideurs.  À plusieurs reprises vous vous êtes exprimé contre la prolongation de l’état d’urgence ; pourquoi ?

Henri Leclerc. Tout d’abord parce que cette législation d’exception n’a pas suffi à éradiquer la menace terroriste. On le voit avec l’actualité terrible des derniers jours : les attaques se poursuivent. Bien sûr plusieurs attentats ont été déjoués, mais par des méthodes de police et de renseignement classiques, indépendantes de l’état d’urgence. Ensuite parce que je ne pense pas qu’il soit nécessaire de restreindre les libertés pour lutter avec efficacité contre le terrorisme.

Au-delà de considérer l’état d’urgence inefficace, diriez-vous qu’il comporte des risques ?

C’est ce que je crois en effet. Selon moi, le choix de reconduire l’état d’urgence affaiblit la société démocratique. Par cette décision, le politique envoie au citoyen un message : la restriction des libertés est nécessaire à la garantie de votre sécurité. Or cette corrélation n’est pas établie.

Que pensez-vous de la loi antiterroriste ?

Je pense que le principal souci se trouve dans des mesures sécuritaires comme l’assignation à résidence, la surveillance électronique et les opérations de contrôle d’identité aux frontières qui consistent à restreindre les libertés de ceux que l’on juge suspects. Pour moi cette loi incite à la suspicion vis-à-vis d’une certaine catégorie de la population, composée de gens qui, quoi qu’on en dise, ont toujours le même profil et la même religion. L’idée n’est absolument pas de condamner toute forme de vigilance citoyenne – il y a quelques jours, c’est ce type de vigilance qui a permis de détecter la présence de bombonnes de gaz dans le 16ᵉ arrondissement de Paris ; être en alerte face à des situations anormales est parfaitement légitime. Ce qui me paraît inquiétant, c’est l’incitation implicite à dénoncer son voisin véhiculée par cette loi. Cela rappelle les périodes sombres de l’Occupation mais aussi de l’épuration, lorsque les dénonciations anonymes affluaient dans un flot répugnant.

Lorsque la loi s’abat sur des suspects et non plus seulement sur des coupables, on est face à un glissement du droit pénal

Vous dites voir dans cette loi un « glissement » du droit pénal. Qu’entendez-vous par là ?

Lorsque la loi s’abat sur des suspects et non plus seulement sur des coupables, on est face à un glissement du droit pénal, en effet, dans le sens où l’on ne punit plus seulement les infractions mais où l’on restreint les libertés de ceux que l’on estime susceptibles de commettre ces infractions.

Cela fait-il de la loi antiterroriste une loi antidémocratique ?

Non, la loi antiterroriste a été votée par le Parlement, elle est donc démocratique, bien évidemment, mais elle comporte des risques. Convaincre les gens qu’en réduisant les libertés de certains on augmentera la sécurité de tous peut porter atteinte aux fondements même de la société démocratique et faire reculer la confiance que l’on a en elle, ce qui est dangereux. L’objectif des terroristes est précisément de s’en prendre à notre société démocratique. Si, dans la réponse qu’elle apporte à cette menace, la société démocratique restreint son propre espace, alors l’objectif de ceux qui nous attaquent se trouve en partie atteint.

Pourquoi ce choix du gouvernement selon vous ?

Le souci du gouvernement consiste à rassurer la population, à lui donner un sentiment de sécurité. Car tout gouvernement craint de se voir un jour reprocher de ne pas avoir tout fait pour empêcher un drame. C’est pourquoi chaque gouvernement répond à la menace par des mesures supplémentaires  et que l’on aboutit à une forme de surenchère sécuritaire.

Quelle réponse souhaiteriez-vous voir privilégiée par le politique ?

Le sujet est évidemment extrêmement difficile, mais pour commencer je dirais qu’il faut cesser de restreindre le budget accordé à la police et lui redonner des moyens et des hommes supplémentaires. Ensuite, je pense qu’il est urgent de repenser l’état de nos prisons qui, pour l’heure, sont des lieux de pourrissement. Des lieux où les petits délinquants s’endurcissent et même, depuis quelques années, se radicalisent. Il s’agit là d’un problème majeur qui requiert une réflexion nationale. Pour ma part je n’ai pas de réelle proposition à formuler, uniquement une certitude : il faut traiter humainement les gens que l’on réprime.

Propos recueillis par Caroline Castets

 

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