Catastrophes naturelles, blackouts et des centaines de millions de personnes n’ayant pas accès à l’électricité mettent en exergue les failles des réseaux électriques actuels. Des micro-réseaux intelligents se placent comme alternative, ou comme complément au réseau électrique centralisé, en sécurisant l’accès à l’énergie : les microgrids.

Les microgrids, ou micro-réseaux en français, permettent de fournir de l’électricité à petite échelle, de l’écoquartier à la base militaire, en passant par les hôpitaux et les supermarchés. Ils sont pour l’heure relativement peu répandus mais ont prouvé à de nombreuses reprises leur utilité. Quelle différence avec un simple réseau électrique autonome ou un groupe électrogène ?  L’îlotage ou la synchronisation. De fait, les microgrids ajoutent une dimension "intelligente" au dispositif, offrant ainsi la possibilité à l’installation de fonctionner de façon synchrone avec le réseau national, ou de manière isolée, en cas de panne de courant par exemple. Ils gagnent de cette façon l’estampillage de "smart grid", c’est à dire de réseau pilotable. De ce fait, nous dirigeons-nous vers une électrification en "silos" ?

Un outil de résilience

S’il y a bien une chose que la crise sanitaire de 2020 a mis en avant, c’est l’importance de la résilience des infrastructures et des systèmes. Parallèlement à cela, les conséquences anticipées du changement climatique laissent entrevoir un monde instable, ponctué de chocs dont il faudra bien se relever. Ainsi, "les risques suivants sont identifiés avec une grande certitude : […] les risques systémiques dus à des phénomènes météorologiques extrêmes menant à la rupture des réseaux d’infrastructure et des services essentiels tels que l’électricité, l’approvisionnement en eau, et les services de santé et d’urgence ; […] le risque d’insécurité alimentaire et de rupture des systèmes alimentaires", d’après le cinquième rapport du Giec de 2014. De plus, "Sans investissements massifs pour améliorer la résistance des infrastructures [énergétiques], des millions d’individus seront durablement privés de services essentiels dans les pays vulnérables avec, à la clé, des pertes humaines et financières", s’alarmait la Banque mondiale en 2017.

"Les épisodes de blackout se multiplient et coûtent chaque année environ 100 milliards de dollars, selon le département de l’énergie américain"

Il devient alors évident que la prise en compte de tels événements n’est plus optionnelle pour construire la résilience des systèmes, des États et des villes. Pour répondre à cette problématique d’un genre nouveau, les microgrids, petits systèmes énergétiques autonomes, se placent en véritable "roue de secours". Adaptés à l’usage de grands complexes industriels, ces "micro-réseaux" offrent l’avantage non négligeable de s’isoler automatiquement en cas de défaut du "macro-réseau". Aux États-Unis, ces réseaux intelligents deviennent chaque jour plus crédibles, à mesure que les épisodes de blackout se multiplient et coûtent chaque année environ 100 milliards de dollars, selon le département de l’énergie américain. À l’automne 2017, durant les ouragans Harvey et Irma, les quelques microgrids du Texas alimentés au gaz ou à l’énergie solaire ont été utilisés avec succès et ont permis de maintenir ouverts de nombreux supermarchés et stations-essence locaux. Les réseaux et infrastructures vieillissant, il est attendu une intensification de la fréquence de ces coupures de courant dans le futur.

Dans cette optique de résilience, les mini-réseaux intelligents deviennent indispensables pour les complexes industriels et militaires. De fait, ces derniers ne peuvent se permettre de dépendre exclusivement des réseaux nationaux et se doivent de pouvoir fonctionner, même en cas de crise majeure. C’est dans cette logique que s’inscrit le projet Smart Power Infrastructure Demonstration for Energy Reliability and Security (Spiders) visant à installer des microgrids sur la base aérienne de Pearl Harbor Hickam à Hawaï, sur le Fort Carson dans le Colorado et sur le camp H. M. Smith à Hawaï.

Un système adapté aux pays en développement

Les micro-réseaux, en plus d’offrir une certaine résilience lorsqu’utilisés à bon escient, pourraient bien avoir une utilisation toute autre, cette fois d’ordre social. En effet, d’après l’Agence française de développement (AFD), "800 millions de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’électricité et 50 % d’entre elles vivent en Afrique subsaharienne. Pour cuisiner et se chauffer, 2,8 milliards de personnes ont recours aux combustibles traditionnels (bois, charbon de bois, déjections animales…). Des usages qui provoquent une pollution de l’air intérieur, responsable de la mort prématurée de 4 millions de personnes par an, et représentent la moitié des émissions annuelles de CO2 de l’Afrique". "On estimait, en 2013, à 17 % de la population mondiale, soit environ 1,2 milliard d’êtres humains, le nombre de personnes n’ayant pas l’accès à l’électricité, par manque d’infrastructures appropriées", renchérit l’Encyclopédie des énergies.

"La complexité de la fonction d’îlotage amène des coûts additionnels qui ne doivent pas être négligés"

Pour résoudre ce problème, l’AFD travaille actuellement, en partenariat avec les autorités locales, à l’installation de microgrids utilisant des énergies renouvelables, ou de kits solaires. L’agence travaille par exemple, en partenariat avec Kenya Power, à démocratiser l’utilisation d’énergies renouvelables dans de mini-réseaux publiques au Kenya, qui fonctionnaient auparavant quasiment exclusivement au diesel. Ces réseaux autonomes ont la particularité de fonctionner "off-grid" : ils ne sont pas reliés au réseau national, car trop éloignés. Ils ont pour unique but de fournir en électricité une population qui en était auparavant privée. Ces zones géographiques dépourvues d’un maillage électrique dense, pourraient voir fleurir les réseaux autonomes de petite taille, progressivement connectés entre eux, puis reliés au réseau national.

Une solution économique ?

En plus d’offrir une alternative sécuritaire et sanitaire intéressante, les microgrids peuvent également constituer un moyen de réduire le montant des factures énergétiques. Si les réseaux électriques des pays développés sont particulièrement fiables et font rarement défaut, l’utilisation de micro-réseaux intelligents peut toutefois se justifier et s’intégrer à l’espace urbain. De fait, certains écoquartiers ont recours à ce genre d’installation, les habitants se regroupant pour se doter d’infrastructures productrices d’énergies renouvelables, et ainsi créer un système d’autoconsommation en parallèle du réseau traditionnel. Ainsi, des particuliers ayant installé des panneaux solaires ont l’opportunité de choisir à tout moment de consommer de l’électricité en provenance du réseau national ou de leur réseau local. L’arbitrage ainsi fait, peut être à leur avantage, comme lorsque la production de sources renouvelables est intense. Ils ont donc théoriquement la capacité de décider à tout moment s’ils souhaitent s’approvisionner en électricité à partir du réseau national ou du réseau autonome, en fonction du prix de l’électricité.

Cependant, cette fonctionnalité d’îlotage, bien qu’avantageuse, est à double tranchant, car elle participe à l’augmentation des coûts de ce type de réseaux. D’un point de vue local, les microgrids sont donc plus onéreux que d’autres systèmes, car ils n’ont pas la capacité de fonctionner en silos. "La complexité de la fonction d’îlotage amène des coûts additionnels qui ne doivent pas être négligés ; ils sont particulièrement élevés quand le microgrid est alimenté par des sources d’électricité renouvelables intermittentes et est équipé d’un système de stockage", d’après l’étude "Urban Microgrids" d’Enea Consulting, datant de 2017. Le cabinet de conseil, en conclusion de cette étude, estime que les microgrids sont dans l’ensemble très coûteux, encore plus lorsqu’ils ont recours à des énergies renouvelables. Dans certains cas, ils peuvent être économiquement viables, par exemple pour un complexe industriel à forte demande d’énergies fossiles.

"il n’existe pas de standards internationaux permettant de vérifier que l’électricité injectée dans le réseau par les microgrids répond aux exigences de qualité requises"

Enfin, les microgrids pourraient remplacer les mini-réseaux autonomes non-intelligents. Typiquement, les bases militaires ou hôpitaux qui connaissent des pannes de courant sont à ce jour alimentés par des systèmes de secours composés de générateurs diesel. Toutefois, il apparaît que ces groupes électrogènes présentent des risques de défaillance. De plus, ils sont souvent trop puissants, proportionnellement aux besoins énergétiques réels des bâtiments, et fonctionnent donc la plupart du temps en sous capacité "ce qui n’est pas le fonctionnement optimal en matière économique et écologique", d’après le think tank virtuel Smart Grids, créé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Des barrières au déploiement

Certaines zones d’ombre entourent ces réseaux indépendants de taille réduite. En effet, ces infrastructures énergétiques doivent-elles être considérées comme privées, ou au contraire, comme dépendantes de la sphère publique et de la responsabilité de l’État, contraint d’assurer un droit d’accès à une énergie fiable à tous ?  La distinction des responsabilités publiques et privées vient s’ajouter à la dissociation des activités de production, transmission, distribution et fourniture d’énergie, en vigueur dans de nombreux pays, et ralentissant le déploiement à grande échelle de microgrids, qui réunissent plusieurs de ces fonctions.

D’autre part, "il n’existe pas de standards internationaux permettant de vérifier que l’électricité injectée dans le réseau par les microgrids répond aux exigences de qualité requises", selon Enea Consulting, or, pour que l’électricité produite puisse être distribuée sur le réseau, la tension, la fréquence et la puissance doivent être contrôlées, afin de garantir la qualité de l’électricité. Par ailleurs, il est nécessaire d’intégrer aux micros-réseaux intelligents un système de stockage digne de ce nom, afin de réaliser leur plein potentiel. Toutefois, ces solutions restent encore très chères et font grimper significativement les coûts de maintenance. Solutions optimales en matière de résilience, la question de la rentabilité économique de ces installations se pose toutefois. Les efforts seront sans doute à poursuivre pour en faire de véritables instruments de promotion des énergies renouvelables.

 

Thomas Gutperle

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