Fondateur du cabinet de conseil en transformation et retournement Prospheres, Michel Rességuier témoigne des mesures qui ont été mises en place auprès des entreprises durant la crise sanitaire. Il rappelle aussi, sans détour, la prépondérance du capital humain dans la faculté de résilience des sociétés.

Décideurs. La période actuelle reste propice aux incertitudes. Pensez-vous que les entreprises ont su s’adapter à la situation ?

Michel Rességuier : Il fallait trouver des solutions pour que les entreprises encore opérationnelles puissent le rester avec la mise en place de tous les moyens de protection sanitaire. Mais il fallait aller plus loin, en considérant la dimension relationnelle fondamentale existant dans les entreprises et absolument nécessaire à son fonctionnement. Comment en effet maintenir la relation entre tous les salariés, alors que certains se trouvent sur le site, d’autres en télétravail, et les derniers en arrêt pour des raisons bien légitimes ? Une entreprise a besoin de relations et ces relations sont avant tout humaines. Il était inimaginable de briser ce lien d’autant qu’il est la clé du succès d’un retour à la normalité lorsque nous sortirons de cette crise. Ainsi nos équipes ont veillé à maintenir des relations quotidiennes entre elles ainsi que des rituels à heure fixe, et ces moments d’échanges se révèlent au moins aussi précieux que ce qui est échangé.

Le monde du travail a-t-il été impacté de manière homogène ?

M. R. : Dans ce contexte où chaque dirigeant fait au mieux, on a rapidement vu poindre une difficulté qui ne pouvait rester en l’état : les cols blancs avaient pour consigne de rester confinés et de s’organiser en télétravail, tandis que les cols bleus devaient au contraire se présenter sur site quotidiennement, menacés donc bien davantage par la propagation du virus. On a dû rectifier cette organisation en demandant aux salariés affectés dans les bureaux de maintenir une présence physique partielle sur les sites de production, souvent envisagée par roulements.

"Une entreprise a besoin de relations et ces relations sont avant tout humaines"

Puis est venu le sujet du financement. Le dispositif de financement mis en place par l’État avec le concours de Bpifrance, devrait permettre aux sociétés d’envisager sans inquiétude l’année 2020. Cependant, des problèmes apparaissent car les banques se révèlent timorées. Certaines entreprises redressées et assainies en clôture de comptes fin 2019, connaissent en ce moment des problèmes de trésorerie en raison du COVID 19 et se voient refuser de l’aide, alors même qu’elles pourraient légitimement y prétendre, au regard des critères de la Commission européenne énoncés expressément dans le cadre de cette crise. Il est certes impossible de contraindre une banque à consentir un prêt mais il existe des leviers institutionnels mobilisables afin d’infléchir les décisions bancaires.

Infléchir les décisions bancaires ? Comment y parvenez-vous ?

M. R. : Nous nous y employons actuellement, dans le cadre de notre accompagnement des entreprises en redressement et dont les ratios sont désormais solides. Il est évidemment possible de mobiliser des réseaux d’influences pour qu’ils encouragent les banques à remplir leur office. D’autre part, si l’on peut penser que les différents prêts permettront aux entreprises de passer à gué, il faudra envisager ensuite le remboursement de ceux-ci. S’il peut s’effectuer dans un délai de cinq ans, il peut être supporté de façon très variable par les entreprises en fonction de leur rentabilité. Je propose un étalement de ces remboursements.

Ces dispositifs pèsent lourdement sur l’endettement de la France. Jusqu’où doit-on les maintenir ?

M. R. : La réouverture de toutes les entreprises est évidemment une urgence économique. Il s’agit d’une décision politique mais aussi civique. Notre État-Providence français tourne à plein, comme toujours, et maintient à peu près notre niveau de vie. Mais il faudra produire de la richesse pour rembourser la dette que nous tous, citoyens, contractons en ce moment pour amortir la crise. Pensons seulement que la prise en charge du chômage partiel bénéficie à 50% des salariés du privé ; autrement dit, la production de richesses est temporairement divisée par deux, tandis que notre niveau de vie est à peu près stable et que l'épargne même s'accroît !

Si nous ne voulons pas que la France de demain soit la Grèce d'hier, outre l'effort que nous devrons consentir pour rembourser ces "salaires sans travail" d'un grand nombre d'entre nous, il est manifeste que notre pays devra promouvoir une nouvelle solidarité européenne. Solidarité des pays prêteurs, bien sûr ; mais aussi solidarité de l'Allemagne sans le sérieux de laquelle les emprunts d'État français en euros seraient ruineux.

Et demain ? Qui en sortira gagnant ?

M. R. : Au-delà de notre rôle civique, la responsabilité de chacun est d'adapter son entreprise aux nouveaux équilibres auxquels cette crise nous contraindra. Une crise provoque irrémédiablement un effet darwinien. Par un effet de sélection naturelle liée à la violence des changements, elle accélérera des processus qui se seraient sans doute produits inévitablement mais progressivement. Pour un dirigeant, comment placer son entreprise du côté des survivants ? J’ai la conviction profonde que nos modèles économiques n’en sortiront pas indemnes mais que nous ne pourrons proposer aucune solution globale : secteur par secteur, entreprise par entreprise, il faudra repenser en profondeur ce monde nouveau dont nous attendons l’aube. Une équipe comme Prospheres est rompue à cet exercice puisqu’elle propose aux entreprises qui la sollicitent, des transformations structurelles profondes. Les changements identitaires sont donc possibles. Le monde de l’entreprise doit déjà envisager cette nouvelle aventure qui pourrait aussi se révéler enthousiasmante. J'espère de tout mon cœur que chaque Français, à commencer par moi-même, saura puiser en lui-même la ressource nécessaire pour renoncer à toute nostalgie et se tourner avec force et confiance vers l'avenir.

Propos recueillis par Alexis Valero.

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