Alors que l’Allemagne affronte une crise de gouvernance inédite, les interrogations se multiplient. Sur la capacité d’Angela Merkel, désormais politiquement affaiblie, à y survivre et sur celle de l’Europe à poursuivre son plan de relance avec, à sa tête, un binôme franco-allemand amputé d’une partie de sa dynamique. Chercheur au Cerfa – Centre d’études des relations franco-allemandes –, Michel Drain revient sur les raisons de cet échec et évoque ses conséquences, nationales et européennes.

Décideurs. Pouvait-on prévoir une telle rupture des négociations entre CDU, FDP et Verts ?

Michel Drain. Les choses s’annonçaient délicates puisqu’il s’agissait de parvenir à un contrat de coalition avec des partis dotés de priorités très différentes et qui, par conséquent, auraient dû consentir à d’importants compromis avec, à l’arrivée, le risque de parvenir à un accord dépourvu de cohérence globale. Rappelons que le résultat des négociations engageait le gouvernement pour toute la durée de la législature – quatre ans – et qu’il aurait dû être soumis à l’accord des adhérents. Cela s’annonçait très compliqué.

Que signifie cet échec pour Angela Merkel ?

Il représente un sérieux revers politique. La chancelière n’est pas parvenue à rassembler autour d’un projet commun et il est difficile de ne pas y voir un signal de défiance. D’autant que, sur le plan international, elle a déjà mené nombre de négociations avec succès et est reconnue pour être très efficace dans ce domaine.

Comment expliquer alors qu’elle n’ait pu faire aboutir ce processus sur le plan national ?

Le problème est qu’elle devait concilier des partis qui l’étaient difficilement sur le plan des idées d’une part et qui, se trouvant politiquement affaiblis, étaient peu désireux de se retrouver dilués dans un gouvernement de coalition, d’autre part. Le FDP sort d’une période durant laquelle il s’est trouvé exclu du Bundestag et son président, Christian Lindner, ne voulait pas prendre le risque de perdre à nouveau en influence. Quant aux Verts, accepter un accord aurait impliqué trop de renoncements.

Quels ont été les principaux points d’achoppement ?

La crise s’est formée sur deux points principaux : la question de l’immigration et, plus précisément, du durcissement des conditions du regroupement familial pour certaines catégories de réfugiés, et celle de la transition énergétique, les Verts étant particulièrement soucieux de voir le recours aux énergies fossiles limité au profit de l’électrique. À cela se sont ajoutés, dans une moindre mesure, des points de politique étrangère, tels que les relations avec la Russie dont le FDP était prêt à se rapprocher au nom de certains intérêts nationaux.

Quelles peuvent être les conséquences de cette crise pour la chancelière ?

Il est clair qu’elle en sort affaiblie. Cette crise révèle une usure du pouvoir qu’elle incarne depuis trois mandats. Elle apparaît sanctionnée pour avoir sans doute manqué de positions franches sur un certain nombre de sujets et, aussi, pour avoir donné l’impression générale qu’elle se contentait de suivre les événements sans parvenir à les anticiper. Impression qui résulte d’une succession de crises et notamment de la crise des réfugiés qui a donné d’elle l’image d’un leader dépourvu de vision. Voilà pourquoi, pour Angela Merkel, la crise actuelle a aussi valeur de sanction. 

Aujourd’hui, quelles sont les options envisageables ?

Il y en a plusieurs et aucune ne semble satisfaisante. D’abord, on peut imaginer que la CDU cherche à conclure un accord avec un autre partenaire, ce qui semble très compliqué. Ensuite, Angela Merkel peut rester à la tête d’un gouvernement minoritaire, ce qui réduirait considérablement sa marge de manœuvre en l’obligeant à tout négocier. Son leadership politique s’en trouverait affaibli, d’autant qu’il s’agirait là d’une situation à laquelle le pays n’est absolument pas habitué. L’Allemagne est un régime parlementaire, ce qui signifie que le gouvernement doit avoir la confiance de l’Assemblée. Un gouvernement minoritaire n’obtiendrait qu’une confiance partielle, ce qui, en termes de gouvernance, le placerait dans une position très inconfortable.

Une autre option envisagée consisterait à organiser de nouvelles élections…

Effectivement mais là encore, cette solution n’est pas sans risque. D’abord parce que rien ne dit que de nouvelles élections aboutiraient à un résultat différent de celles de septembre. Ensuite parce que le parti d’extrême droite AFD, qui a déjà fait son entrée au Parlement, pourrait en sortir renforcé compte tenu du climat général. Or même une légère progression suffirait à envoyer un signal extrêmement négatif au pays et au reste de l’Europe.

Quel impact cette crise allemande peut-elle avoir sur l’Europe ?

Une crise prolongée freinerait la relance européenne en raison de la perte de leadership qu’elle occasionnerait au sein du binôme franco-allemand lequel, comme chacun sait, est moteur dans ce projet. Dépourvu de majorité, le gouvernement allemand n’aurait pas les coudées franches pour agir sur les différents dossiers qui s’imposent : consolider la zone euro, définir une politique d’immigration commune, penser l’Europe de la défense… Un gouvernement minoritaire constamment menacé d’un vote négatif au Bundestag ne serait pas en capacité de mener ces dossiers majeurs sans lesquels il ne peut y avoir de véritable relance européenne.

Propos recueillis par caroline Castets

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