Dans le petit monde des chasseurs d’avocats, Mélanie Tremblay fait des étincelles. C’est elle qui, depuis Londres, réalise certains des mouvements d’associés et d’équipes les plus importants. Celle qui affiche fièrement ses origines québécoises cultive autant sa singularité qu’elle détecte celle des autres.

Encourager la confidence sans jamais rompre la confidentialité. Être dans le secret des dieux jusqu’à percevoir ce qu’ils dissimulent à eux-mêmes. Maîtriser les rouages du pouvoir pour évaluer la crédibilité d’une opinion, ouvrir le champ des possibles, convaincre. Il ne s’agit pas là de la recette d’une potion magique, mais de la liste de quelques-uns des atouts du jeu de Mélanie Tremblay. La chasseuse de têtes ne gagne pas à tous les coups, mais lorsqu’elle sort victorieuse d’un deal, c’est à chaque fois le gros lot.

"La papesse du recrutement des avocats"

Ce fut le cas, on s’en souvient, lorsque Kirkland & Ellis cherchait depuis des mois (des années !) à s’implanter à Paris. Le premier cabinet au monde en chiffre d’affaires avait même renoncé à son projet pour un moment, faute de trouver chaussure à son pied. Jusqu’à ce que Mélanie Tremblay présente Vincent Ponsonnaille et Laurent Victor-Michel aux associés londoniens. Fin 2018, la plaque du bureau parisien est posée. Depuis, celle qui dirige le bureau français de Shilton Sharpe Quarry (SSQ) a renouvelé sa performance en allant chercher l’avocate fiscaliste Nadine Gelli en provenance de chez De Pardieu Brocas Maffei pour renforcer l’équipe.

Grâce à son accent, elle aurait favorisé la bienveillance, une certaine dose de tolérance face aux maladresses inhérentes à un début de carrière

Cette opération n’était pas son premier essai. Il lui aura fallu plusieurs années pour convaincre Maxence Bloch et ses associés Christophe Digoy, Jérôme Jouhanneaud et Thomas Maitrejean de répondre à l’appel de Goodwin (à l’époque Goodwin Procter) en 2016. Depuis, c’est encore elle qui accompagne sa croissance : le bureau de Paris réunit aujourd’hui seize associés. Et si plusieurs mouvements d’ampleur à son actif sont encore confidentiels, celui de l’équipe d’un des meilleurs avocats en restructuring, Philippe Druon, chez Hogan Lovells, est un autre exemple illustrant le talent de Mélanie Tremblay. "Elle est tout simplement la papesse du recrutement des avocats", commente sans détour celui qui a aujourd’hui recours à ses services en qualité de mandant après avoir bénéficié de son accompagnement lors de son changement de maison.

Son lac

Comment cette jeune femme née il y a 42 ans sur les bords du lac Saint-Jean, à deux heures de route de la ville de Québec, est-elle parvenue à faire la pluie et le beau temps du mercato des avocats d’affaires parisiens ?

Cela n’aura échappé à aucun de ses interlocuteurs, Mélanie Tremblay s’exprime avec un fort accent étranger, qui trahit ses origines québécoises. Pour elle, il est en partie la raison de son succès, du moins la source de cette proximité qu’elle parvient à créer avec chacun de ses contacts. Grâce à son accent, elle aurait favorisé la bienveillance, une certaine dose de tolérance face aux maladresses inhérentes à un début de carrière. Ce constat l’a incitée à ne pas y renoncer. "Pas un dîner sans qu’elle parle de son lac", s’amuse Philippe Druon qu’elle a placé chez Hogan Lovells. Persuadée que pour convaincre, il faut se montrer soi-même, elle n’hésite pas à citer comme référence sa compatriote du show business Céline Dion, avec un attendrissement particulier en repensant à ses propres cours de chant. Cultiver la différence est sa ligne de conduite, elle qui avait, à l’école, pas moins de six homonymes. Elle a mis toute son énergie pour que le nom de code universitaire "Mélanie Trembaly-06" ne l’empêche pas de devenir unique, cherchant dorénavant parmi les avocats celles et ceux qui se distinguent.

Au-delà de son identité, ses origines étrangères ont forgé son positionnement singulier sur le marché des chasseurs de têtes français : celui d’une Canadienne habitant à Londres et exerçant en France. Elle a grandi au Québec, y a exercé quelques années le métier d’avocate en droit des assurances, y a gagné un concours d’éloquence, y a basculé du côté des recruteurs et a même songé, un temps, ouvrir une agence matrimoniale. "Mon souhait à l’époque était déjà de faire matcher les gens", se souvient celle qui, alors, n’avait jamais pris l’avion. Sa première fois sera pour l’Australie, où elle s’installe toute une année pour perfectionner son anglais. À peine rentrée à Montréal en 2004, elle repart, pour Londres cette fois, et se relance dans le recrutement, mais des avocats, cette fois. Et ça marche. À 29 ans, elle commence sa carrière en Europe et perçoit l’avantage de se doter d’une vision transfrontalière. D’abord chez GRS Recruitment, où elle exerce trois ans, elle vise déjà le marché français. "Je n’avais pas de marque à Paris, il fallait que les candidats que je sélectionnais soient excellents pour que je forge ma réputation." Pour s’adosser à une enseigne qui lui ressemble, elle frappe à la porte de SSQ où elle est embauchée en janvier 2009. Et c’est au sein de ce cabinet de conseil en recrutement juridique de dimension internationale qu’elle fera des étincelles.

Dire la vérité

Depuis Londres toujours, elle ouvre le bureau de Paris. Très vite, elle devient incontournable grâce à sa mentalité britannique. Celle qui avait déjà innové dès 2005 en proposant une rémunération au résultat ajoute dans ses méthodes de travail sa fine connaissance des chaînes de pouvoir. Pour la jeune femme, l’efficacité réside dans la globalisation des missions de recrutement : "C’est un tort de considérer que le marché français doit se travailler localement : le managing partner du bureau parisien n’est pas forcément décisionnaire, il vaut mieux parfois s’adresser directement à la maison-mère en Angleterre ou aux États-Unis. À l'inverse, il est hors de question de parachuter un candidat uniquement pour faire plaisir au board mondial." C’est pour trouver ce juste milieu que le réseau SSQ prend toute sa valeur avec ses différents bureaux en Europe et en Asie.

Aussi difficile que cela puisse être, un bon recruteur doit tout autant assumer ses positions que sonder les âmes, entendre les non-dits et se montrer hermétique aux mensonges

Autre élément de méthode : faire preuve de psychologie. "Elle m’a contactée de façon très directe, rapporte Nadine Gelli. Un simple texto pour me dire qu’elle participait au développement de Kirkland & Ellis. Une démarche qui assure efficacité et proximité appréciable chez un chasseur de têtes." Aussi difficile que cela puisse être, un bon recruteur doit tout autant assumer ses positions que sonder les âmes, entendre les non-dits et se montrer hermétique aux mensonges. Quitte à rentrer dans l’intimité des gens, détenir les clés de leur mode de pensée et comprendre que les confidences seront faites entre minuit et trois heures du matin. "Par chance, le dernier gros dossier que j’ai conclu, c’était durant un déplacement à l’autre bout du monde, ce qui fait que le décalage horaire me permettait de discuter des heures entières avec mon client insomniaque", raconte la Canadienne, qui se souvient d’avoir finalisé un autre important mouvement lors d’un séjour à Dubaï où elle s’était isolée. "Je devrais tout le temps être en vacances parce que c’est dans ces moments que je réalise les plus gros deals", ironise-t-elle. Au-delà de ce paramètre technique, la méthode SSQ est aussi parfois de créer de la concurrence lorsque la mission est périlleuse. Autrement dit, Mélanie Tremblay va organiser un cheminement, des points d’étape, dans la réflexion de son client pour parvenir au but qu’elle s’est fixé et, enfin, seulement au moment opportun, présenter le bon candidat, celui qu’elle pressent comme être celui ou celle qu’il faut. Être capable de dire la vérité est une chose, savoir emporter l’adhésion en est une autre. Et cela a toute son importance aussi bien pour mener à bien ses missions que pour conserver sa crédibilité sur le marché, ne coller son nom qu’à des projets en lesquels elle croit. "Si on se bat contre moi, j’ai gagné", résume celle qui préfère passer à côté du candidat idéal plutôt que de se tromper. Pour ensuite mieux gagner la confiance de son interlocuteur : "Je lui ai demandé de m’aider dans mon mouvement alors même qu’elle travaille pour la maison que je quittais, résume Philippe Druon. Je savais qu’elle ne laisserait la place à aucune forme de porosité."

Hors cadre

Une posture qui va de pair avec sa ténacité, qu’elle a prouvée dès les premiers jours du bureau de Paris de SSQ, positionnée immédiatement sur les mouvements d’associés. Son premier dossier : l’arrivée en France du Canadien Fasken Martineau (un cabinet aujourd’hui dissous). Ce qui la conduit aujourd’hui à faire plus que de l’accompagnement d’avocats souhaitant changer de maison ou du recrutement d’équipes pour les enseignes qui la missionnent : elle est entrée dans la stratégie de gestion des ressources humaines de ses clients les plus prestigieux. Ainsi, Mélanie Tremblay est consultée lors des décisions de cooptation et, plus épineux encore, lors des décisions de non-cooptation. Un tel niveau d’intimité qui lui permet d’avoir une vue précise de ce qui se passe sur le marché, étant même au courant des projets d’arrivée de nouveaux associés avant même que l’information ne soit diffusée au sein du partnership. Sa démarche visant à s’assurer de la bonne intégration des candidats qu’elle a placés amplifie le phénomène. C’est généralement au cours d’un dîner ou d’un déjeuner organisé quelques semaines après l’installation qu’elle prolonge son écoute et son conseil. Ce qui lui permet de faire passer des messages en cas de difficulté. "Je suis les mouvements parfois des années après, mon métier est sans cesse hors cadre", résume-t-elle, avant de concéder que ses factures sont elles aussi hors cadre et que cela implique de ne pas compter ses heures. Cela correspond d’ailleurs au mode de fonctionnement de cette grosse bosseuse à qui il suffit de pouvoir faire de la natation pour enchaîner les heures et les nuits de travail. Sans jamais perdre une miette des conversations qu’elle a suivies ni oublier les mouvements qu’elle a accompagnés. Des qualités repérées outre-Atlantique par une chaîne de télévision, Radio Canada, qui a décidé de la suivre de Londres à Paris, de Montréal à Dubaï, elle et sa famille, proposant à ses téléspectateurs un modèle de réussite dans le cadre d’un documentaire. C’est un peu gênée que cette grande timide a accepté de se laisser filmer entre décembre et mars, elle qui d’habitude évite les cocktails et réunions publiques pour préférer les tête-à-tête. La raison ? "La productrice m’a convaincue que les jeunes filles canadiennes ne peuvent pas devenir ce qu’elles ne voient pas." Mélanie Tremblay est déjà un exemple, elle qui s’est faite toute seule, qui n’a copié personne.

Au quotidien, la promotion des femmes fait partie de ses engagements, constatant par elle-même que la parité est un élément de performance des organisations, et le faisant entendre à ses clients. Dorénavant, ses efforts se concentrent aussi vers la nouvelle génération d’avocats, tissant très tôt avec ces talents une relation de proximité. Détecter les futures stars et s’éloigner des divas font aussi partie de son métier. Presque comme si elle s’ôtait tout droit à l’erreur.

Pascale D'Amore

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