L’heure est aux privatisations. À l’occasion de la présentation du projet de loi Pacte, le gouvernement a confirmé son intention de céder ses participations dans ADP, la Française des jeux (FDJ) ou Engie. À la tête de l’Agence des participations de l’État (APE), Martin Vial détaille la nouvelle doctrine d’investissement public et répond aux critiques formulées à l’encontre de la gestion étatique des participations.

Décideurs. Avant l’élection présidentielle, vous appeliez de vos vœux la fixation d’un cap et d’une stratégie pluriannuelle pour l’APE. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Martin Vial. À l’occasion de la présentation par Bruno Le Maire du projet Pacte, la doctrine d’investissement de l’APE a été clarifiée et simplifiée. Notre feuille de route est donc fixée. L’agence est amenée à rester actionnaire ou prendre des participations dans trois catégories de sociétés. La première concerne les entreprises relevant de la souveraineté, dans le domaine de la défense et du nucléaire civil, la deuxième vise celles exerçant une mission de service public telles que La Poste, la SNCF ou la RATP. Enfin, l’APE soutient les sociétés exposées à des risques systémiques ou susceptibles de se trouver en situation de faillite, comme ont pu l’être PSA ou Dexia. Cette nouvelle doctrine d’investissement définie, nous pouvons faire évoluer la composition du portefeuille de l’APE en le faisant respirer. Outre la privatisation du groupe ADP et de la FDJ, le projet de loi Pacte prévoit notamment la suppression du seuil minimal de détention par l’État du tiers des droits de vote ou du capital d’Engie.

 

Que va-t-il advenir des entreprises du portefeuille qui n’entrent dans aucune de ces catégories ?

Pour ces sociétés, nous n’avons pas de projet de sortie du capital dans l’immédiat. Nous allons toutefois nous assurer que, si nous devions faire évoluer nos participations, l’ancrage français dans leur capital demeure significatif. Des champions nationaux comme Air France ou Engie doivent conserver un « noyau » d’actionnaires français de long terme. Nous ne pouvons pas céder leur contrôle à des acteurs qui ne maintiendraient pas les centres de décision, de recherche et de développement, et l’emploi en France.

« L’État n’est pas un actionnaire banal mais il a banalisé son intervention dans ses participations »

Quelle est, selon vous, la définition d’un État actionnaire bon gestionnaire ?

De manière très simple, l’État est un bon actionnaire quand il optimise la gestion économique de son portefeuille. De ce point de vue, nous n’avons pas à rougir. Le portefeuille coté de l’APE a largement surperformé le CAC 40 en 2017, sa valeur a augmenté de 16 % contre 9 % en moyenne pour les quarante premières capitalisations françaises. Cependant, il n’est pas pertinent de ne se référer qu’au profit pour mesurer l’action de l’État actionnaire. L’APE est l’un des acteurs de la politique industrielle et économique du pays. À ce titre, elle a notamment piloté la restructuration de la filière nucléaire ou contribué au renforcement de la filière spatiale avec la création de la joint-venture Airbus/Safran. Ce statut engendre aussi des devoirs : nous nous devons d’être un actionnaire exemplaire en matière d’éthique, de transparence, de gouvernance ou de responsabilité sociale et sociétale. Nos participations ont aussi un devoir d’exemplarité dans le domaine de la compliance fiscale. De même, les dirigeants des sociétés contrôlées majoritairement par l’État voient leur rémunération plafonnée à 450 000 euros et, dans les sociétés où l’État est minoritaire, il leur est demandé de faire un effort de modération par rapport au reste du marché.

 

Pourtant, la gestion des participations de l’État est souvent pointée du doigt par la Cour des comptes…

C’est la performance des participations de l’APE sur la durée que la Cour des comptes a mise en cause. Depuis 2006, il est vrai qu’elle est inférieure pour l’ensemble du portefeuille à celle du CAC 40. Mais cette situation s’explique par le poids de l’activité énergie au sein du portefeuille. Or, le secteur a beaucoup souffert après la crise avec la baisse de la demande mondiale. Aucun investisseur privé ne prendrait le risque de surexposer son portefeuille de la sorte. Mais l’État n’est pas un actionnaire comme un autre, sa politique d’investissement obéit à la doctrine qu’il a définie et s’inscrit dans des horizons de temps bien plus longs que n’importe quel fonds de private equity. Hors énergie le portefeuille a surperformé le CAC 40 depuis 2006. Ce sont ces aspects qui ne sont pas repris dans la publication de l’analyse de la Cour des comptes.

« La doctrine d’investissement de l’APE a été clarifiée et simplifiée »

Quelles sont les dernières évolutions de cette doctrine ?

L’État n’est pas un actionnaire banal mais nous avons banalisé notre intervention dans ses participations. Depuis 2014, les membres des conseils d’administration représentant l’APE dans nos participations ne sont plus désignés par le ministre mais proposés en assemblée générale. Par ailleurs, l’obligation imposant que les administrateurs du contingent de l’État soient des fonctionnaires ou des agents de l’État a été supprimée. Dans les faits, ils proviennent quasiment tous du monde de l’entreprise, y compris dans les établissements publics industriels et commerciaux. Nous avons également fait évoluer notre politique en matière de dividendes. En la matière, nous fixons le taux de distribution en fonction d’un benchmark du marché, de la capacité de la société à générer du dividende sans s’endetter et de la soutenabilité du taux de distribution dans la durée.

 

Quels sont les liens et la répartition des rôles entre les trois actionnaires publics que sont Bpifrance, la Caisse des dépôts et l’APE ?

La Caisse des dépôts n’est pas sous contrôle de l’État. C’est une entité publique autonome qui développe dans la gestion d’actifs financiers deux activités distinctes : la gestion d’un portefeuille d’épargne, c’est-à-dire le placement en actions et en obligations, et la gestion d’un portefeuille de participations stratégiques correspondant à sa politique d’aménagement et de cohésion du territoire. Bpifrance a pour mission notamment de soutenir les TPE, les PME et les ETI en y investissant de façon minoritaire, en co-investissement, généralement par apport de fonds propres, sur des horizons de temps de moyen terme, même s’ils sont plus longs que ceux pratiqués par les fonds de private equity. Enfin, l’APE intervient en qualité d’actionnaire de référence, majoritaire ou minoritaire, ses « tickets » sont très importants et l’horizon d’investissement très long. Les échanges de participations sont d’ailleurs tout à fait possibles s’ils correspondent à nos doctrines d’investissement respectives. Ainsi, l’APE a racheté la participation minoritaire dans Eramet à Bpifrance avec l’intention de rester actionnaire dans la durée alors que cette dernière a repris la participation de l’Agence dans PSA, une société qui s’est redressée de façon spectaculaire et qui complète le portefeuille d’intervention  de Bpifrance dans la filière automobile. 

« Nous ne pouvons pas céder le contrôle d’Air France ou d’Engie à des acteurs qui ne maintiendraient pas les centres de décision en France »

Êtes-vous favorable à l’évolution du statut de l’APE en une agence autonome ?

Cette idée a été évoquée par la Cour des comptes et par le Parlement et doit faire l’objet d’un rapport du Gouvernement cet été. Ce n’est clairement pas une priorité pour le gouvernement.

 

La loi Pacte devrait permettre à l’État de céder des parts d’entreprises dans lesquelles il est majoritaire. Est-ce une évolution nécessaire pour rationnaliser les participations de l’État ?

Nous sommes dans un environnement de finances publiques où toute mobilisation d’un euro public doit correspondre à une absolue nécessité de politique publique. La priorité de l’APE est donc d’être le plus sélectif possible dans le niveau de mobilisation des fonds publics pour contribuer au désendettement. Le projet de loi Pacte relève pleinement de cette doctrine. Comme l’a rappelé le Ministre, quand la régulation est suffisante pour que des sociétés, exerçant une mission de service public ou une activité monopolistique, puissent l’assurer de façon optimale, le plein actionnariat public n’est plus nécessaire. En renforçant la réglementation et en fixant un cadre régulatoire strict, la loi Pacte garantit qu’une société, même privatisée, s’inscrit dans la politique publique.

Propos recueillis par Sybille Vié

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