Femme politique danoise, aujourd'hui commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager n’hésite pas à faire face aux plus grandes firmes mondiales pour faire respecter le droit européen. Gazprom, Google ou encore Apple peuvent ainsi témoigner de sa forte personnalité.

Décideurs. Vous avez succédé, en novembre 2014, à Joaquín Almunia à la tête du portefeuille stratégique de la Concurrence. Quel bilan tirez-vous de votre première année à ce poste ?

Margrethe Vestager. Ce fut une année chargée, rythmée par  les affaires des cartels, celles sur les accords fiscaux préalables consentis à des sociétés par certains États et des échanges avec Gazprom sur d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles. Des dossiers qui se révèlent essentiels pour la perception qu’ont les citoyens de l’Union européenne. Les institutions doivent en effet leur montrer qu’ils œuvrent pour bâtir un environnement juste favorisant l’innovation et la concurrence. S’agissant de mon action, il me paraît difficile d’établir une comparaison avec celle de mon prédécesseur. Évidemment, nous avons des personnalités et des approches différentes, mais nous avons les mêmes objectifs : organiser l’environnement concurrentiel le plus efficient possible.

 

Décideurs. Une enquête formelle sur Google a été ouverte. La multinationale est soupçonnée de mettre systématiquement en avant son propre service Google Shopping dans l’affichage des résultats. Le Parlement européen pourrait lancer un appel à la Commission européenne demandant la dissociation des activités de recherche et des autres services. Que pouvez-vous nous dire sur cette procédure ?

M. V. C’est l’exemple type de la nécessaire division des compétences. Le Parlement européen a toute légitimité à disposer de ses propres opinions, idéologies ou croyances. Le devoir de la Commission européen est, quant à lui, de faire appliquer le droit de la concurrence, et ce de manière impartiale et rigoureuse. Nous nous en tenons donc à des données factuelles. Nous sommes en train de vérifier s’il y a eu des fautes de la part de Google. Je ne souhaite pas spéculer sur de possibles solutions miracles. Le Parlement européen effectue son travail et nous, nous défendons les valeurs européennes. Pour l’instant, je peux seulement vous dire que des investigations sont en cours. Nous avons envoyé notre déclaration d’objection au mois d’avril et Google nous a adressé sa réponse le 1er septembre dernier. Nous prenons le temps de les analyser.

 

Décideurs. Dans un grand nombre de pays européens (Danemark, Italie), le marché des opérateurs télécoms est en pleine réorganisation et tend à une réduction du nombre d’acteurs. Vous avez à cet égard appelé de vos vœux à l’émergence d’un marché numérique paneuropéen. Pensez-vous que cela soit possible à moyen terme ?

M. V. Le secteur des télécommunications est un marché très concentré où les quatre plus grands opérateurs fournissent 60 % des abonnés européens. Malgré cela, la perception de ce marché par les consommateurs demeure nationale. Même si les tarifs lui paraissaient plus intéressants, un Danois ne pourrait pas se tourner vers un opérateur en Allemagne et ce, en raison d’une réglementation trop restrictive et de frais d’itinérance prohibitifs. Dans ces conditions, il convient d’examiner la concurrence sur chaque marché national. Certains, comme celui du Danemark sont très matures tandis que d’autres comme l’Espagne voire en Allemagne le sont moins. Il est par conséquent primordial d’assurer un niveau de concurrence adéquate au niveau national avant de songer à un marché paneuropéen à plus long terme. Une question qui est par ailleurs mise en avant dans l’agenda numérique européen.

 

Décideurs. Autres dossiers brûlants, les enquêtes sur de possibles accords fiscaux préalables, consentis à des sociétés par certains États. Sont ainsi visés Starbucks aux Pays-Bas, Amazon et Fiat au Luxembourg et Apple en Irlande. Ne craignez-vous pas de provoquer une crise diplomatique avec la Russie ou les États-Unis par exemple.

M. V. Peu importe le contexte, notre unique priorité est de faire en sorte que des pratiques éventuellement anticoncurrentielles soient mises en lumière. Les règlements en vigueur en matière de concurrence dans l’Union européenne doivent être respectés par toutes les entreprises, qu’elles soient européennes ou non. C’est le sens du projet d’engagement actuellement en discussion avec la firme russe, Gazprom. Il est primordial que les entreprises savent à quoi s’en tenir, peu importe leur statut ou leur nationalité. La plupart d’entre elles respectent le droit applicable. Nous serons là pour les protéger en cas d’abus de position dominante de l’un de leurs concurrents.

 

Décideurs. La Commission européenne a donné son feu vert à l’acquisition par l’américain General Electric des activités énergétiques du français Alstom pour 12,5 milliards d’euros. Comment se sont déroulées les négociations ?

M. V. Ce fut un dossier majeur pour la Commission européenne. Si la fusion, à proprement parler, n’a pas donné lieu à débat, il en fut autrement de l’activité consacrée aux turbines à gaz. Notre inquiétude est née du fait que cette technologie de pointe, développée par Alstom, risquait de ne pas être mise en œuvre. Après de longues discussions, nous avons autorisé l’acquisition des activités énergétiques d'Alstom par General Electric, sous réserve de la cession à Ansaldo d'actifs majeurs de l'activité turbines à gaz de grande puissance d’Alstom. Une solution qui permet ainsi de maintenir un environnement concurrentiel sur ce marché, même si cela est assez inédit d’avoir un acquéreur pré-désigné.

 

Décideurs. Où en sont les négociations relatives à la conclusion du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Que peuvent espérer les consommateurs européens de ce traité ? 

M. V. Ce traité vise principalement à développer des normes en matière environnementales et de sécurité des produits. Si nous ne bâtissons pas un partenariat avec les États-Unis pour l’établissement de ces normes, ils le feront de concert avec les pays d’Asie. Je peux me tromper mais personnellement je suis très fier de l’activité normative en Europe. Nous devons faire de notre mieux pour que ces normes deviennent mondiales. Il s’agit avant tout de bâtir des relations commerciales sur le long terme en espérant trouver un terrain d’entente, malgré les quelques divergences qui peuvent nous opposer. Cela favoriserait grandement le commerce transatlantique pour nos entreprises, de sorte qu’elles aient un minimum d’autorisation, à demander pour commercialiser leurs produits entre les deux zones. Ce traité peut, en outre, s’avérer très précieux pour l’économie de ces deux régions. Mon expérience m’incite à penser que le commerce supplémentaire généré par ce traité sera créateur d’emplois.

 

Décideurs. Le projet d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés a refait surface et pose la question d’une politique fiscale commune à l’échelle européenne. Y croyez-vous ?

M. V. Ce projet pourrait voir le jour dans un avenir lointain. Il convient pour l’instant d’établir une stratégie claire pour avancer pas à pas. Soyons réalistes, deux sociétés qui ne sont pas dans la même situation fiscale ne peuvent se développer sur un terrain d’égalité. Depuis 2008, les pays membres de la zone euro ont dû faire des efforts budgétaires conséquents, les dépenses publiques ont été réduites et l’impôt sur le revenu a augmenté. Il est dès lors très difficile pour les citoyens de rester les bras croisés et de voir certaines sociétés ne pas participer à cet effort. Je suis également ravi que le conseil ait récemment approuvé la proposition que nous avons faite sur l’échange automatique d’informations en matière de rescrit fiscal. Désormais, une société qui exerce ces activités dans plusieurs pays verra les informations relatives à ses activités commerciales communiquées aux différentes autorités fiscales des pays concernés, et ce en toute transparence. 

 

Propos recueillis par Aurélien Florin

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