Dans un contexte de plus en plus international, la question de la transmission se complexifie. Marc Legardeur, directeur d’Axa Banque Patrimoniale et Thibaut Egasse, notaire associé à Paris, reviennent sur les enjeux des successions transfrontalières, du pacte Dutreil à la réserve héréditaire.

Décideurs. Les familles s'internationalisent de plus en plus. Pouvez-vous revenir sur les challenges concernant les transmissions intra-familiales empreinte d'éléments d'extranéité ? 

Marc Legardeur. Il y a deux éléments importants. Premièrement, la question fiscale, à savoir si l’internationalisation des transmissions familiales peut être impactée par une dimension fiscale au niveau des différentes conventions qui existent entre les pays. La seconde chose est qu’au regard de l’internationalisation de cet ensemble, il faut identifier les conséquences induites sur la transmission patrimoniale, et plus précisément le réinvestissement patrimonial. Dans une dimension intrafamiliale, les défis qui se présentent sont de trois ordres, que l’on se trouve dans un contexte national ou international. D’abord, la transmission doit s’accompagner d’une réflexion sur ce que l’on souhaite et comment le faire. En effet, il faut différencier la transmission d’entreprise de la transmission immobilière. Si l’on transmet des biens immobiliers, des conventions internationales régissent ce genre de choses. Concernant la transmission d’entreprise, ou de l’outil de production, elle doit s’accompagner d’une réflexion autour de la pérennité de l’outil que l’on souhaite transmettre en tant que de cujus. En amont de l’aspect juridique ou fiscal, c’est le premier sujet que nous abordons avec nos clients. Chez Axa Banque Patrimoniale, nous estimons qu’une décision de cet ordre ne doit pas être prise du fait d’une préoccupation purement fiscale car c’est bien l’avenir et la pérennité de l’entreprise qui doit primer.

Thibaut Egasse. En effet, en tant que notaires, nous sommes de plus en plus touchés par ce phénomène de transmission patrimoniale internationale. Il convient d’appréhender le droit international privé de chaque pays. Ce droit international privé tendra à s’appliquer en considération d’un élément d’extranéité. Cet élément d’extranéité peut s’identifier comme le fait qu’une personne transmette ou décède dans un pays différent de son lieu de résidence ou de sa nationalité, ou encore que cette personne laisse des biens mobiliers ou immobiliers dans un autre pays que celui de son lieu de résidence ou de sa nationalité. La question qui se posera dès lors sera de savoir quelle sera la loi applicable.

Par ailleurs, je rejoins l’avis de M. Legardeur en ce qu’il évoquait le fait qu’une appréhension purement fiscale n’est pas vertueuse. Elle pourrait même conduire à un résultat contraignant qui serait bien différent de l’objectif visé.

Les derniers mois ont vu poindre des débats autour d'une nouvelle formule du pacte Dutreil. Comment appréhendez ces évolutions ? 

M. L. Le pacte Dutreil a été avant tout un outil destiné à assurer la pérennité des entreprises. Il a parfois pu être utilisé comme un outil de diminution fiscale. L’objectif de départ était d’éviter qu’en cas de succession, l’entreprise ne soit obligée d’être vendue afin de payer les droits de succession. Sur ce point le pacte Dutreil a rempli sa mission. Il a permis à des entreprises d’être pérenne à travers la succession du dirigeant ou de l’actionnaire majoritaire. Les avantages fiscaux qui ont existé étaient des instruments mis à la disposition dans la construction de cette approche. Aujourd’hui, lorsqu’on observe les réflexions menées par les pouvoirs publics, on constate que l’on est entrain de renforcer cette idée, mais avec une dimension visant à pérenniser l’entreprise encore plus fortement au niveau du tissu économique national. D’un point de vue bancaire, le pacte Dutreil peut être considéré comme une garantie puisqu’il permet de stabiliser l’actionnariat de l’entreprise.

T. E. L’ancien projet de loi pour la croissance et l’activité prévoyait un assouplissement des obligations déclaratives pour la société bénéficiaire du pacte. C’était notamment le fait qu’on devait envoyer chaque année une attestation à l’administration fiscale sous peine de remise en cause complète du pacte, ce qui n’était pas fait systématiquement. Le projet de loi prévoyait une transmission de documents sur demande de l’administration fiscale. Après avoir été voté au Sénat, le projet a été avorté. Aujourd’hui, le sujet se retrouve dans le plan d’action pour la croissance et  la transformation des entreprises (dit PACTE) lancé par le gouvernement. Il est prévu dans les propositions qu’il soit possible de réduire voire de supprimer l’obligation de conservation des titres pour les héritiers. Il est également prévu de pouvoir faire appel à un dirigeant extérieur, et ainsi de ne pas nécessairement confier la direction de l’entreprise à l’un des héritiers du de cujus. Ce serait une bonne chose, car cela permettrait d’appliquer le pacte Dutreil à d’autres entreprises qui ne remplissent pas actuellement les conditions en vigueur. Ensuite, il y aurait a priori une obligation d’investissement ou d’emploi des fonds de la société pour remplacer les obligations qui pourraient être supprimées. C’est une bonne chose d’assouplir le pacte Dutreil tout en prenant des précautions de ne pas déplacer le curseur vers des contraintes trop importantes.

L'actualité du début d'année a mis en évidence les difficultés qui peuvent s'élever dans le cadre d'une succession testamentaire impliquant un droit étranger. Comment les rôles de banquier et de notaire s'articulent-ils dans cette situation ? 

M. L. En tant que banquier patrimonial, j’adopte une approche non pas par rapport à la succession mais vis-à-vis du de cujus. C’est-à-dire que la décision que nous prenons, en termes de patrimoine et de risques, se fait face à une personne vivante qui engage son patrimoine. L’aspect des successions susceptibles d’exister au décès du client, qu’il soit impacté par des droits étrangers ou par le droit français, est légèrement moins importante que les décisions qui peuvent être prises par un banquier qui anticiperait l’existence d’une arrivée patrimoniale dans le patrimoine des héritiers.

T. E. La première chose à analyser est la validité du testament en la forme et sur le fond. Dans un contexte international il convient de savoir si les dispositions testamentaires sont opposables en droit français. Dès lors où l’on estime que la loi étrangère est applicable, et que le testament est valable en la forme, il a lieu de l’appliquer, encore faut-il que la loi étrangère soit compétente. Toutefois en France, il y avait le principe immuable de la réserve héréditaire. Le testament étranger qui ne respectait pas la réserve héréditaire édictée par le Code civil français ne s’appliquait pas en France. Ce principe faisait partie de l’ordre public international français. Mais deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 27 septembre 2017 ont indiqué que la loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français. Ainsi, une loi étrangère désignée, applicable, pourra contourner la réserve héréditaire. Toutefois, la Cour a précisé que la loi étrangère pourrait être écartée si son application conduit à une situation « incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ». Cela vise notamment la création d’une situation de précarité économique ou de besoin pour les héritiers.

Propos recueillis par Yacine Kadri

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