Plongés dans une crise inédite par son ampleur et sa nature, les États et l’Union européenne tentent de juguler au mieux les conséquences d’une récession économique annoncée. Marc Riez, directeur général chez Vega IM, décrypte les annonces des politiques de soutien et nous livre ses convictions en matière d’allocation d’actifs.

Décideurs. La Cour constitutionnelle allemande a demandé à la Banque centrale européenne de justifier son programme de quantitative easing lancé en 2015. Faut-il s’en inquiéter ?

Marc Riez.  Il est vrai que l’arrêt de la Cour de Karlsruhe a inquiété les marchés dans un premier temps. Mais ces derniers ont vite été rassurés. Cette décision de la Cour constitutionnelle allemande porte en effet sur le QE lancé par la BCE en 2015, qui a été repris en septembre 2019 pour 20 milliards d’euros par mois avant d’être finalement porté à 30 milliards d’euros par mois au début de la crise, en février dernier. Dans l’exécution de ce programme, la BCE respecte les critères de proportionnalité entre les différents États. De ce point de vue, l’arrêt allemand enfonce donc une porte à moitié ouverte. Il ne concerne pas le plan "pandémie" (Pandemic Emergency Purchase Program) de 750 milliards d'euros, décidé au mois de mars et dans lequel le principe de proportionnalité n’est pas appliqué par la BCE qui achète très massivement de la dette italienne. Ce fut un élément très rassurant pour les marchés. Finalement, cette décision de la Cour de Karlsruhe est une manifestation supplémentaire de l’agacement des États du Nord, Allemagne en tête, de devoir participer au sauvetage de pays moins vertueux, au sens budgétaire du terme. Elle ne remet pas en cause le bon déroulé du plan " pandémie ".

" L'arrêt de la Cour de Karlsruhe enfonce  une porte à moitié ouverte"

Christine Lagarde l’a rappelée récemment, une annulation globale des dettes contractées par les États de la zone euro dans le cadre de la gestion de la pandémie est totalement impensable. Pensez-vous que toutes les dettes accumulées pourraient être un jour remboursées ?

Avec ses déclarations, Christine Lagarde donne des gages aux pays du Nord. Le sujet de la capacité de la BCE est absolument vital pour la reprise. Les économies de la zone euro vont avoir besoin d’un soutien très important. Aux États-Unis, le plan de soutien et de relance s’élève à 3 000 milliards de dollars. En Europe, seuls 540 milliards d’euros ont été annoncés, ce qui est notoirement insuffisant. D’ailleurs, sur ces 540 milliards, 440 milliards sont des prêts – consentis aux États par le mécanisme européen de stabilité (MES) ou par la BCE aux entreprises en difficultés – qui devront être remboursés et qui accroissent les dettes. Derrière le discours autour de la solidarité européenne, les tensions entre pays du Nord et du Sud sont très fortes. Et c’est pour les apaiser que Christine Lagarde a pris la parole. La grande épée de Damoclès qui pèse au-dessus des marchés, c’est la fragilité de la cohésion européenne au niveau politique. Techniquement, les outils sont en place pour assurer le soutien économique de la zone euro, encore faut-il que la volonté politique suive. Nul doute qu’il faudra toute l’habileté politique, les talents de négociatrice et d’avocate de Christine Lagarde pour rassurer les pays du Nord. C’est exactement l’objectif de ses dernières déclarations. À mon sens, si l’annulation de la dette n’est pas envisageable, son remboursement ne l’est pas plus. La capacité de remboursement de l’Italie d’un capital de 180 % du PIB relève presque de l’utopie. Il est très probable que la dette demeure de façon très pérenne au bilan de la BCE qui la refinancera régulièrement, à échéance et à taux bas, pendant un long moment.

"Pour profiter à plein du rebond des marchés, il faudra miser sur des secteurs cycliques amenés à se normaliser et rebondir comme le luxe ou l’industrie"

Le FMI a déclaré que le monde aura besoin de 20 billions de dollars d'investissements publics après la pandémie, encourageant ainsi les dépenses dans les infrastructures de soins et de santé ou dans l'énergie verte. Sont-ils les secteurs que les investisseurs doivent viser aujourd’hui ?

En tant que gérant, il faut s’efforcer de voir dans cette crise une source d’opportunité. Une chose est certaine, cette situation va nécessiter beaucoup d’investissements en infrastructure, pour l’aménagement des villes et le développement des transports. Pour les entreprises de ces secteurs, le potentiel de chiffre d’affaires est énorme. Mais ce n’est pas un critère d’investissement suffisant pour nous. Outre les prérequis de croissance annoncée, de visibilité garantie par des projets qui s’étaleront sur plusieurs années et de vraies barrières à l’entrée, ce seront les perspectives de marges que nous guetterons avec attention. Pour ce qui est du secteur de la santé, la situation est différente. Cela fait des années que les budgets publics sont réduits aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, ce qui obligeaient les laboratoires à vendre leurs produits à prix très tendus. On est bien loin du secteur hyper margé d’autrefois mais la santé jouit d’un retour en grâce en ce moment. Il ne sera plus possible, pour les États, de maltraiter à ce point les acteurs de la santé. C’est donc un secteur, tout comme les infrastructures, qui va présenter de grosses opportunités.  

"On est bien loin du secteur hyper margé d’autrefois mais la santé jouit d’un retour en grâce en ce moment"

Quelles sont vos convictions d'investissement pour les mois à venir ?

Outre la santé et les infrastructures, je pense qu’il y a un secteur qui va ressortir grandi de la période que nous traversons, c’est celui de la technologie. En effet, la crise a accéléré des mutations déjà en cours auparavant notamment dans le cloud, le travail à distance, les logiciels et réseaux. La technologie sera particulièrement porteuse à l’avenir et le marché ne s’y trompe pas, comme en témoigne les cours du Nasdaq qui sont restés positifs depuis le début de l’année.  L’allocation d’actifs peut donc bien sûr se tourner vers ce secteur, qui est demeuré relativement cher, mais si l’on veut profiter à plein du rebond des marchés, il faudra plus miser sur des secteurs cycliques amenés à se normaliser et rebondir. C’est notamment le cas du luxe, l’industrie exportatrice ou le transport pour lesquels un retour à meilleure fortune est envisageable dans les semaines et les mois à venir. Or ces derniers ont pour l’instant payé un très lourd tribu pendant la crise. Nous préconisons donc une stratégie alliant des valeurs de portefeuille très solides pour jouer la sécurité en ayant conscience qu’ils sont restés relativement chers (comme Roche ou Novartis pour le secteur pharmaceutique), des grandes valeurs de la technologie américaine et européenne et des titres qui ont plus souffert dans l’infrastructure, l’industrie ou le luxe (comme Vinci, Schneider ou Air Liquide). Ce qui est certain, c’est que nous comptons rester à l’écart de secteurs très touchés par la crise comme les banques, le pétrole ou les matières premières. Même s’ils se sont effondrés en bourse et qu’ils ne sont donc pas chers, leur avenir est assez incertain car on ne distingue pas de facteurs d’amélioration spectaculaires se profiler.

Propos recueillis par Sybille Vié

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