Président de Cerea Partenaire, Michel Chabanel revient sur les défis que la société de gestion spécialisée dans l'agrobusiness compte relever. L'européanisation des activités et la création d'une plate-forme globale sont en tête de liste.

 

Décideurs. Vous venez de réaliser votre premier investissement en capital en Italie ? Simple opportunité ou volonté d'expansion géographique ?

Michel Chabanel. Maintenant que nous sommes bien installés en France, notre objectif est de réaliser des opérations à l'étranger. L'Espagne, le Benelux et l'Italie, où nous projetons d’ouvrir un premier bureau, sont des priorités. Dans ces pays, l’agroalimentaire possède une place importante et les différences culturelles ne sont pas trop contraignantes pour y faire de bons investissements.

L'activité de dette mezzanine voit son périmètre se contracter ces dernières années. Comment jugez-vous le marché ?

Cela dépend de la taille des deals. C'est vrai que, par le passé, les LBO d'envergure se réalisaient avec une tranche significative de mezzanine. Aujourd'hui, elle est de plus en plus rare. D'abord en raison de l'agressivité des banques qui favorisent des montages dits « full senior ». Ensuite, sur ces gros dossiers, l'avènement de la dette unitranche (intégrant dettes senior et mezzanine) a de facto réduit la part de marché de la mezzanine. En revanche, sur les dossiers de 5 à 15 millions d'euros d'Ebitda, il y a encore souvent de la dette mezzanine. Les montages proposés par les banques sur ce créneau-là, laissent une place importante à la mezzanine, et la « mezz » est toujours bienvenue. C'est sur ce segment que nous nous intervenons en priorité.

Votre fonds de dette affiche un premier closing à 300 millions d'euros. Les liquidités affluent sur le marché du capital-investissement, notamment du côté des banques. N'est-ce pas trop ?

Le marché a besoin de notre offre de dette. En revanche, il faut différencier la dette proposée par les fonds de celle des banques. Les banques ont du mal à faire des tranches « bullet » non amortissables. Elles prennent aussi moins de risques. Et même lorsqu'elles parviennent à « leverager » de grosses transactions, elles syndiquent souvent ces financements auprès de... fonds d'investissement. Sur les petits dossiers, le fonds s'occupe en général de la tranche non amortissable in fine, laissant la tranche amortissable pour les banques. Nous sommes les partenaires des banques avec une offre complémentaire que les établissements de crédit, sous pression de leurs ratios règlementaires, ne souhaitent pas souscrire.

Le fonds de dette correspond également à notre stratégie thématique. Céréa Partenaire est un spécialiste de l'agroalimentaire et nous souhaitons capitaliser sur la connaissance de cet univers. Nous savons que ces acteurs ont besoin de capital, de quasi fonds propres mais aussi de dette.

Enfin, il s'agit de réaliser des synergies entre nos différents véhicules. Cela ne prend pas forcément la forme d'opérations communes, mais nous permet d’accroitre notre présence sur le marché global de l'agrobusiness.

Quels métiers ciblez-vous dans l'agrobusiness ?

Nous n'intervenons pas ou très peu au niveau du premier stade de production, où les coopératives sont déjà bien organisées. On peut financer une coopérative mais cela reste occasionnel. Essentiellement, nous soutenons les activités de transformation de produits food & beverage (pain, farine, viande, ingrédients...) jusqu'à leur distribution ou leur arrivée en restauration. Nous accompagnons aussi les autres entreprises intervenant sur la chaîne de valeur de l'agroalimentaire, pour peu que notre expertise soit utile : équipements, emballages, services informatiques... Un spécialiste doit apporter plus de valeur qu'un investisseur généraliste aux entreprises.

Notez-vous une ou plusieurs tendances de fond sur le marché agroalimentaire ?

Le marché agroalimentaire est réputé pour sa forte résilience. Les individus auront toujours besoin de se nourrir. De plus, comme la population mondiale augmente ainsi que les classes moyennes, cela stimule la consommation alimentaire et le marché des produits élaborés à forte valeur ajoutée. Cependant, il faut distinguer les matières premières, actifs parfois volatiles, des activités de transformation dans lesquelles nous investissons, dont l’activité est beaucoup plus résiliente.

Les sociétés d'investissement françaises commencent à s'installer dans certaines régions d'Afrique. La production et la distribution alimentaire sont de vrais sujets sur ce continent. Pourrait-on vous y voir à moyen terme ?

Pour le moment, ce n'est pas un sujet car, pour réussir en Afrique, il nous faudrait des équipes sur place. On voit souvent l'Afrique comme une région unique mais, en réalité, c'est une pluralité de pays et de cultures. C'est donc moins facile qu'il n'y paraît de développer une stratégie régionale d'investissement. Il serait sans doute plus efficace d'adopter une approche « pays ».

Nous rencontrons des LPs qui souhaitent limiter leur collaboration avec les sociétés de gestion trop petites

Quels sont donc les caps que Céréa Partenaire souhaite franchir ?

D'abord, nous comptons renforcer nos métiers existants (dette, mezzanine, capital). Ensuite, l'ambition est double puisqu'il s'agit d'élargir notre gamme de produits et d'étendre notre implantation géographique. Soit nous nous lançons sur de nouveaux types d'investissement, soit nous continuons à faire la même chose mais à plus grande échelle. Idéalement, nous serons capables, dès l'an prochain, de développer une stratégie d'investissement européenne structurée. Plus notre plateforme d'investissement sera large, plus elle sera viable. Sur le marché, nous rencontrons des LPs institutionnels qui souhaitent limiter leur collaboration avec les sociétés de gestion trop petites (quelques employés). Je ne dis pas que c'est une bonne chose, je trouve même cela regrettable mais c'est un constat.

Des LPs qui investissent parfois par eux-mêmes, en direct ?

Oui, c'est une autre tendance qui prend de l'ampleur outre-Atlantique. Je pense qu'ils en reviendront car l'investissement est un métier à part entière.

Quel est le deal le plus symbolique de votre activité ces derniers mois ?

Probablement celui réalisé avec Organic Alliance dans les produits bio. C'est un secteur que nous connaissons bien. Nous suivions l'entreprise et son management depuis plusieurs années. L'envie de les accompagner était très forte. En sus des fruits et légumes, la société opère désormais dans les produits frais. Elle travaille aussi bien avec la grande distribution que les distributeurs spécialisés. D'une façon générale, une de nos préoccupations actuelles est l'internationalisation des entreprises que nous accompagnons. Eventuellement, par la voie d'un rachat ou par croissance interne. Les entreprises agroalimentaires ont grandi de façon concommitante avec l'essor de la grande distribution dans les années 60-70. Nombreuses sont celles qui n’ont pas défini de politique d'export efficace. C'est aussi sur ces préoccupations qu’un investisseur spécialisé a un rôle déterminant à jouer.    

 

Firmin Sylla 

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