L’environnement fiscal et financier applicable aux entrepreneurs a largement évolué au cours des dernières années. Marc Bornhauser et Jacques Saint Jalmes, avocats associés au sein du Cabinet Bornhauser, en profitent pour faire un état des lieux complet de la situation et évoquent les conséquences de la toute nouvelle définition de l’abus de droit.

Décideurs. L’environnement fiscal a évolué depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Comment les entrepreneurs et les dirigeants se sont-ils adaptés ?

Marc Bornhauser. Les dirigeants doivent se placer dans une démarche d’entrepreneur, et plus seulement de salarié. Les outils de rémunération suivent cette tendance. Un constat s’impose en effet : les revenus du travail sont davantage imposés que ne le sont les revenus du capital. Les revenus du capital bénéficient notamment de l’instauration du Prélèvement forfaitaire unique (PFU), aussi appelé flat tax, à 30 %. Plus que jamais, il est recommandé de structurer la rémunération des dirigeants comme celle d’un entrepreneur.

Jacques Saint Jalmes. Nous avons accompagné les dirigeants dans l’étude et la réorganisation de leurs structures existantes pour optimiser leur système de rémunération. L’idée directrice est de favoriser le capital. De plus en plus d’entrepreneurs essayent également de tirer parti de leur activité pour préparer leur retraite dans les meilleures conditions.

M. B. L’une des spécificités de notre cabinet est de pouvoir accompagner nos clients sur les questions de rémunérations, aussi bien pour leurs aspects fiscaux que sociaux. Une synthèse qui nous semble aujourd’hui essentielle.

"Les italiens ont aujourd’hui un temps d’avance sur la France grâce à leur régime sur les impatriés"

Cette évolution de notre fiscalité a-t-elle permis de faire revenir les talents partis à l’étranger ?

J. S. J. En 2018, plusieurs entrepreneurs et dirigeants basés à Londres nous ont sollicités pour étudier leur projet de retour en France. Une tendance qui a cependant été freinée par les problèmes liés à la mise en œuvre du Brexit. Tous les projets étudiés ne se sont pas concrétisés, loin s’en faut. Certains ont, par exemple, fait le choix de rejoindre l’Italie.

M. B. L’environnement est très concurrentiel. Les italiens ont aujourd’hui un temps d’avance sur la France grâce à leur régime sur les impatriés, qui se montre particulièrement intéressant. Celui-ci prévoit, pour ceux qui transfèrent leur résidence fiscale en Italie, une exonération d’impôts à hauteur de 70 % du montant des revenus perçus au titre de l’activité professionnelle. Les espagnols bénéficient également d’un régime fiscal des impatriés très attractif, issu de la loi dite « Beckham ». 

Comme vous pouvez le constater, au niveau européen, la concurrence fiscale est exacerbée. Et la France n’est pas aussi bien placée que l’on pourrait le penser.

J. S. J. Les entrepreneurs et dirigeants français vivant aujourd’hui à Hongkong profitent d’un environnement fiscal favorable. Le taux de l’impôt sur les sociétés y est par exemple de 16,5 %. Mais l’épidémie de Coronavirus, la crise étudiante et le durcissement du régime politique soulèvent de nombreuses questions. Ils s’interrogent également sur un éventuel retour en Europe.

La loi Pacte apporte-t-elle des réponses pertinentes aux entrepreneurs qui souhaitent préparer leur retraite ?

M. B. La loi Pacte a mis en place des mesures pertinentes. La possibilité de pouvoir mobiliser son contrat Madelin pour acquérir sa résidence principale est une excellente nouvelle. La fluidité apportée entre les différents systèmes d’épargne salariale suscite un fort intérêt des entrepreneurs. On regrettera cependant que ces dispositions s’adressent davantage aux cadres salariés.

J. S. J. Au-delà de ces dispositions, les entrepreneurs et les dirigeants se sont globalement sentis oubliés. Or, les entrepreneurs prennent un risque. Rappelons qu’en cas de faillite de leurs entreprises, ils ne peuvent profiter du même niveau de protection qu’un salarié. Par ailleurs, de nombreux pays mettent à disposition des investisseurs des systèmes de fonds de pensions pour préparer leur retraite. Il y avait en France une véritable attente pour la création d’un support transposable. Le PER aurait pu être assoupli pour permettre, aux anglais notamment, de transférer leurs investissements dans les fonds de pension vers un régime reconnu en France. Cela n’a finalement pas été le cas.

"La nouvelle définition de l’abus de droit pose plus de problèmes qu’elle n’en résout" 

La loi de finances pour 2019 avait apporté une nouvelle définition de l’abus de droit, avec une portée plus large que la version précédente. Après une longue période d’attente, les commentaires de l’administration fiscale ont enfin été publiées au boFip en janvier dernier. Quelle lecture en faites-vous ?

M. B. Le nouveau texte a élargi la définition de l’abus de droit en passant d'un but exclusivement fiscal à un but principalement fiscal. Ce changement a pu être, dans un premier temps, considéré comme un sujet d'appréhension pour les grandes fortunes, les entrepreneurs et les dirigeants. Les inquiétudes sont, depuis, retombées. Le montage va probablement accoucher d’une souris. C’est un texte que l’administration fiscale ne souhaitait pas, qui lui a été imposé par les parlementaires. De mon point de vue, cette nouvelle définition pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Mettre en œuvre un nombre trop important de dispositifs anti-abus nuit en pratique à la lutte contre l’abus. Ces textes s’enchevêtrent et se superposent sans harmonie. Ils ouvrent la porte à des questions de procédures et pourraient en conséquence permettre à des fraudeurs de s’en tirer. L’ancien texte n’était peut-être pas toujours satisfaisant, comme le dossier Wendel l’a montré, mais il présentait l’avantage de bien encadrer la pratique.

Pensez-vous que le nombre de redressements portés devant le juge va exploser en raison de cette nouvelle définition ?

M. B. Cela m’étonnerait fort. L’instruction administrative, en renvoyant à une définition de la jurisprudence européenne, nous renvoie, in fine, à une définition très proche de la précédente version. La possibilité de saisine du comité de l’abus de droit fiscal donne, par ailleurs, un filtre supplémentaire à l’administration, qui nous encourage, du reste, à saisir le comité de l’abus de droit fiscal pour éviter les redressements « baroques ». Ce texte ne m’inquiète donc pas. Cela ne veut cependant pas dire que nous ferons n’importe quoi. Finalement, je trouve le chemin assez bien balisé. Cet instrument n’a donc, en pratique, pas vocation à s’appliquer largement. On s’en rendra compte à l’usage.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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