Un ancien chef de gouvernement de Malaisie qui appelle au meurtre de Français, un vice-ministre turc qui attise la haine contre Charlie Hebdo, des milliers de messages haineux, racistes, antisémites… Internet a plus que jamais une face sombre. Tout le monde le sait, personne ne bouge. Gafa, gouvernements : il serait temps d’agir.

Capable du meilleur comme du pire, Internet et le pseudonymat apparaissent comme les vecteurs d’infractions variées et du développement d’une délinquance protéiforme : Appel à la haine, cyberharcèlement, fakes news, escroquerie en ligne, injures, diffamation, cyberattaques, usurpation d’identité…

La croissance de cette cybercriminalité pose aujourd’hui la question de l’encadrement de l’utilisation des réseaux sociaux. Ces plateformes de mise en relation favorisent la propagande et la radicalisation en diffusant des propos haineux à grande vitesse. Ce cyberislamisme radical doit disparaitre au profit d’une cyberlaïcité républicaine.

Bien que notre arsenal législatif soit assez solide, la technologie va très vite et notre justice peine à proposer des solutions concrètes et efficaces pour répondre à cette violence. A l’instar de toute forme de délinquance, la cybercriminalité nécessite des réponses préventives et répressives, sans que celles-ci ne portent atteinte à nos libertés essentielles et aux valeurs fondamentales de notre société. C’est pourquoi les enjeux de la lutte contre la cybercriminalité sont éminemment sensibles.

"Le cyberislamisme radical doit disparaître au profit d'une cyberlaïcité républicaine"

Il est crucial de rechercher un équilibre afin de lutter contre ces phénomènes, tout en préservant les libertés individuelles. Après la censure de la loi Avia cet été et les circonstances dramatiques qui ont conduit à l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, il est aujourd’hui devenu urgent d’adapter notre règlementation et notre système de justice. Nous devons donc plus que jamais nous mobiliser pour encadrer ces dérives et enjoindre les réseaux sociaux à se responsabiliser.

Internet : le terreau de la violence 3.0

La cybercriminalité recouvre non seulement des phénomènes informatiques, tels que les cyberattaques ou hacking, mais également des attaques personnelles : harcèlement, incitation à la haine, injure, diffamation ou violation de la vie privée. De l’usurpation d’identité, à l’attaque ciblée, ou à la diffamation, les actes de malveillances s’expriment et se propagent sous différentes formes sur les réseaux sociaux.

Il est donc nécessaire de repenser et de restructurer la lutte contre la cybercriminalité en responsabilisant davantage les acteurs majeurs de l’internet, et notamment les réseaux sociaux, qui jouent un rôle important en matière de diffusion des contenus haineux.

L’arsenal juridique français, même s’il permet déjà de sanctionner la plupart des infractions, va encore se développer. Le gouvernement a annoncé la création d’un nouveau délit de "mise en danger d’autrui par divulgation d’informations personnelles" qui pourrait compléter les dispositions déjà existantes du code pénal.

Le gouvernement a annoncé la création d'un délit de "mise en danger d'autrui par divulgation d'informations personnelles"

Actuel sujet de réflexion, ce délit permettrait de lutter plus efficacement contre la révélation de données à caractère personnel, telles que l’identité ou les cordonnées, sur les réseaux sociaux. Nous l’avons vu, ces révélations peuvent avoir des répercussions dramatiques.

Pourtant, le véritable enjeu réside dans le gouffre existant entre la théorie et la pratique : Si notre réglementation est dotée de textes pour lutter contre la cybercriminalité, elle manque encore cruellement de moyens pour remplir pleinement son objectif.

La prise de conscience du manque de moyens consacrés à la lutte contre la cyberhaine

L’actualité a conduit les politiques à s’interroger sur les nouveaux moyens à mettre en œuvre pour lutter efficacement contre les dérives liées à l’utilisation des réseaux sociaux. Une semaine après l’assassinat de Samuel Paty, le gouvernement a annoncé de nouvelles mesures pour combattre la cyberhaine.

Sa volonté est de renforcer la surveillance des réseaux sociaux et de développer les moyens judiciaires permettant de poursuivre plus efficacement et rapidement les auteurs des publications illicites. En plus de la création d’un Comité interministériel de Prévention de la Radicalisation pour contrer les discours islamistes sur internet, le gouvernement cherche à responsabiliser les acteurs du web et a convoqué les représentants des principaux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, YouTube, TikTok) en vue d’évoquer les axes d’amélioration dans la lutte contre le cyberislamisme qui envahit la toile.

Hasard de calendrier, le 19 octobre 2020, soit trois jours après l’attentat, Twitter a accepté une médiation avec certaines associations de lutte contre les discriminations (SOS Racisme, SOS Homophobie, UEJF et J’accuse), qui reprochent au réseau social son "inaction face à la haine en ligne". Une première réunion de médiation doit intervenir dans un délai d’un mois. 

Nous avons besoin de connaître précisément le nombre, la localisation, la nationalité, la langue et les profils des personnes affectées au traitement des signalements provenant des utilisateurs français de la plateforme. Il serait également utile d’apprécier les critères, délais et nombre de retraits qui résultent de ces signalements. L’opacité concernant les moyens matériels et humains mis en œuvre par les réseaux sociaux pour la modération des contenus n’est plus tolérable.

L'opacité concernant les moyens matériels et humains mis en oeuvre par les réseaux sociaux pour la modération des contenus n'est plus tolérable

En apparence, tous les réseaux sociaux affichent leur position de lutte contre la violence et le terrorisme

En apparence, tous les réseaux sociaux, au sein de leurs Conditions Générales d’Utilisation affichent ostensiblement leur position de lutte contre les violences et le terrorisme. Il en est de même concernant les propos racistes, homophobes ou antisémites.

Et pour cause, en tant qu’hébergeur de contenu, leur responsabilité peut être engagée à raison des contenus illicites publiés sur leur réseau, si après en avoir eu connaissance, ils n’ont pas "agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible". Pourtant, la réalité derrière la façade est bien moins reluisante…

Il est regrettable de constater qu’en dépit des bonnes intentions affichées, des messages d’appel à la haine, racistes et antisémites signalés à Twitter se propagent toujours en ligne. Les dispositifs de signalement mis en place sur les réseaux sociaux n’ont pas les résultats escomptés : Bien souvent, le réseau social ne réagit pas et, dans le meilleur des cas, va tarder à supprimer le contenu illicite qui aura le temps de se répandre insidieusement via les reposts ou retweets.

Lors d'un signalement nous attendons des mesures concrètes, pas des réponses automatiques et impersonnelles

Lors d’un signalement, nous attendons des mesures concrètes et pas simplement des réponses automatiques et impersonnelles générées par une IA. Le manque de moyens consacrée à la lutte contre la cybercriminalité par les réseaux sociaux est criant !

Réformer la justice dans son fonctionnement

Il est urgent que le système judiciaire, lui aussi, s’adapte à la dangerosité et à l’immédiateté des réseaux sociaux. Pour le moment, la réponse des tribunaux est bien trop longue et onéreuse pour être réellement efficace. Le justiciable doit souvent multiplier les procédures chronophages afin d’obtenir la suppression d’un contenu posté par un cybercriminel : Requête en levée d’anonymat pour obtenir l’adresse IP ; Assignation du FAI pour obtenir l’identité de l’auteur du contenu litigieux etc.

Le droit doit nécessairement s’appuyer sur les technologies et ses acteurs, y renvoyer ou même y puiser des solutions pour que la législation trouve parfaite efficience.  Les réseaux sociaux doivent faire partie intégrante de cette lutte contre les contenus haineux. Tout manquement ou laxisme de leur part doit être sanctionné par des amendes dissuasives.

Pourquoi ne pas empêcher le repost ou retweet d’un contenu signalé à de nombreuses reprises dans un faible laps de temps avant que la plateforme ne l’ait validé et/ou supprimé ?

Plusieurs options sont envisagées par le gouvernement pour changer les choses : obligation de moyens renforcée pour la notification et le traitement des contenus signalés ; blocage des sites reproduisant tout ou partie d’un contenu faisant l’objet d’une mesure d’interdiction ou encore simplification de la levée du pseudonymat.

Ces mesures seraient évidemment des avancées appréciables mais le système judiciaire doit aussi repenser son fonctionnement pour être en mesure d’endiguer l’accroissement de la cybercriminalité et intervenir de façon réactive et éclairée.

Plus que jamais, il semble aujourd’hui nécessaire de s’interroger sur la création d’un nouveau parquet spécialisé, capable d’apporter une réponse judiciaire rapide, et qui centraliserait l’ensemble des poursuites liées à la haine en ligne.

Julie Jacob, Etienne Bucher (Cabinet Jacob Avocats)

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