La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 qui déploie le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises affiche la volonté de « réformer profondément la philosophie de ce qu’est l’entreprise ».

Pour y parvenir, elle redéfinit la place de l’entreprise dans la société afin de mieux associer les salariés. Elle améliore et diversifie ses possibilités de financements et instaure la mise en place des (nouveaux) plans d’épargne retraite (PER).

La loi se fixe également pour objectif de rendre les entreprises plus justes et les enjoint de mieux partager la valeur : développer l’épargne salariale avec des accords d’intéressement et de participation dont la mise en place est simplifiée et sécurisée, stimuler l’actionnariat salarié, créer la possibilité d’un partage de la valeur ajoutée en cas de cession de titres au profit des salariés bénéficiaires du PEE, autant d’avancées qui peuvent permettre de renforcer le dialogue social prôné par les ordonnances de 2017, notamment celle relative au renforcement de la négociation collective. Repenser la place de l’entreprise, se choisir une raison d’être amène à s’interroger sur sa politique sociale et sa politique de rémunération.

Modification de l’intérêt social et création de la raison d’être

Si la société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés, elle est désormais aussi « gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité »1. Le conseil d’administration, comme le conseil de surveillance devront veiller à ce que les orientations de l’activité soient mises en œuvre conformément à son intérêt social et que les décisions de gestion prennent en considération les enjeux sociaux et environnementaux.

La loi consacre également la possibilité de se doter d’une raison d’être : « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituer des principes dont la société se dote, et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité »2 .

Cette notion reste cependant confuse. Dans l’exposé des motifs de la loi, « la raison d’être pour une entreprise est une indication qui mérite d’être explicitée, sans pour autant que des effets juridiques précis y soient attachés ». Si les effets juridiques ne sont pas clairement identifiés, ils existeront et toute décision qui serait prise en contradiction flagrante avec les enjeux sociaux ou environnementaux ou encore avec la raison d’être de l’entreprise pourrait être sanctionnée.

Dès lors, s’interroger sur la manière dont la politique de rémunération ou encore les dispositifs d’épargne salariale ont été bâtis deviendra central. Contrôler leur conformité, conforter leur alignement avec les idées-forces retenues par les actionnaires et la direction de l’entreprise sera crucial. Faire du déploiement des principes dont se dote l’entreprise la colonne vertébrale de la réflexion à mener sur la politique salariale est nécessaire, sauf à faire le constat à terme de divergences rendant incohérente la démarche poursuivie.

Parmi les différentes mesures issues de la loi Pacte pour associer les salariés au partage de la valeur ajoutée, l’une nous paraît devoir être mise en exergue en ce qu’elle traduit le lien direct pouvant s’établir entre les actionnaires ou les associés et les salariés et ainsi favoriser la réconciliation d’intérêts généralement présentés comme contradictoires : la rémunération du capital et celle des salariés : le contrat de partage des plus-values de cessions de titres avec les salariés3.

Le partage des plus-values de cession de titres avec les salariés

Ce nouveau dispositif s’inspire des pratiques « d’investissements d’impact » (impact investing) : investir dans certaines entreprises dans le but de générer un rendement financier, mais également de créer un impact social positif.

Sa mise en œuvre est conditionnée à l’existence préalable d’un plan d’épargne entreprise (PEE) dans la société concernée.

En effet, les sommes issues de ce partage seront versées aux salariés dans le PEE et s’analyseront comme un abondement unilatéral de l’employeur. En pratique, il faudra procéder à une modification du PEE afin de prévoir son alimentation via les sommes distribuées en application du contrat de partage.

Le contrat de partage des plus-values de cessions permet à un ou plusieurs actionnaire(s) d’une société de s’engager à transférer aux salariés de la société (ou du groupe) jusqu’à 10 % de la plus-value de cession ou de rachat des titres.

L’engagement pris est formalisé par un contrat intervenant entre le ou les détenteurs de titres et la société. Chaque détenteur est libre de son choix et peut théoriquement signer un contrat de partage de plus-values différent. L’engagement de partage ne peut porter que sur des plus-values de cessions de titres de sociétés mentionnées à la première phrase du b du 2° du I de l’article 150-0 B ter du code général des impôts. Lorsque la société concernée contrôle ou est contrôlée au sens de l’article L.233-3 du code de commerce, l’engagement est pris à l’égard de l’ensemble des salariés du groupe.

Les salariés ne sont pas parties au contrat, ils en seront potentiellement bénéficiaires via le PEE. Sont concernés par le contrat tous les salariés de la société présents sur tout ou partie de la période comprise entre la date de signature du contrat et celle de la cession des titres et qui justifieront d’une condition d’ancienneté pouvant être fixée entre trois mois et deux ans dans le contrat.

Le contrat de partage doit notamment prévoir :

l les sommes versées aux salariés ne peuvent pas excéder 10 % de la plus-value réalisée lors de la cession des titres ;

l des conditions de performances peuvent être prévues :

- la durée minimale de trois ans entre la date de conclusion du contrat et la date de cession des titres ;

- les conditions d’information des salariés et les procédures convenues de règlement des différends.

La plus-value redistribuée est répartie par la société entre les bénéficiaires soit de manière uniforme, soit proportionnellement aux salaires, soit proportionnellement à la durée de présence dans l’entreprise au cours de la période écoulée entre la signature du contrat et la cession des titres. Les périodes assimilées à du temps de présence sont les mêmes que pour la participation et l’intéressement. Ces critères peuvent également être utilisés conjointement.

Les sommes ainsi réparties sont versées sur le PEE sous la forme d’un abondement de l’employeur. Le montant de cet abondement n’est pas pris en compte pour l’appréciation du plafond de 8 % du PASS (soit 3 242 euros en 2019).

Le montant correspondant à la quote-part de plus-value partagée est incessible et insaisissable. Il est versé, dans le mois de la cession, à l’entreprise dont les titres ont été cédés et doit être réparti entre les bénéficiaires dans les 90  jours de la réception de leur versement.

Les sommes versées en application du contrat de partage de plus-value sont exonérées de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu dans les limites et selon les modalités visées dans le tableau joint.

Restera aux actionnaires de se saisir de cette possibilité qui peut permettre d’associer durablement les salariés à la réussite de l’entreprise ! 

1 Art.1833, al. 2 du code civil

2 Art.1835, al 2 du code civil

3 Art L 23-11-1 à L 23-11-4 du code de commerce « Repenser la place de l’entreprise, se choisir une raison d’être, doit amener à s’interroger sur sa politique sociale »

Catherine Millet-Ursin, avocat associé. Fromont Briens

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