Le décret de décembre 2016 pris en application de la loi dite "Travail" a créé deux cas de dispense d’obligation de reclassement à l’initiative du médecin du travail. Cette évolution aurait dû exonérer l’entreprise des procédures de reclassement en amont du licenciement, en particulier la consultation du CSE. Pourtant, plus de quatre ans plus tard, le bon sens n’est pas certain de l’emporter.

Plus de quatre ans après sa réforme par la loi Travail du 8 août 2016, la procédure de licenciement pour inaptitude est plus aisée à appréhender par les entreprises et davantage sécurisée. En particulier, l’employeur peut désormais être expressément dispensé de recherche de reclassement lorsque l’avis d’inaptitude indique expressément que "tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé" ou que "l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi"1.

Pour autant, des incertitudes demeurent sur le point de savoir si, en cas d’inaptitude avec dispense de reclassement prononcée par le médecin du travail, l’employeur demeure tenu ou non de faire connaître au salarié par écrit les raisons qui s’opposent à son reclassement2, et si le CSE doit ou non être consulté sur le reclassement3.

Même si plusieurs cours d’appel se sont prononcées pour une absence de consultation du CSE en cas de dispense de reclassement, la question n’est malheureusement toujours pas clairement tranchée par la Cour de cassation, dont un arrêt de septembre 2020 pourrait même inciter les entreprises à la prudence.

Logique et bon sens

Certains juges du fond, relayés par l’administration, sont enclins à considérer qu’en cas de dispense de reclassement prononcée par le médecin du travail, une telle consultation ne s’impose pas plus que la nécessité d’adresser au salarié un courrier exposant les raisons s’opposant à son reclassement. Ce qui paraît logique puisque (i) la consultation ne porte pas sur le projet de licenciement, mais sur le reclassement (en l’espèce impossible), et (ii) l’explication sur l’impossibilité du reclassement est donnée par le médecin du travail, lui-même dans la fiche d’inaptitude.

La cour d’appel de Riom a ainsi jugé que dès lors que le médecin du travail fait état d’un cas légal de dispense, la consultation du CSE n’est pas fondée (CA Riom, 3 avril 2018, n° 16/01261). S’appuyant sur cette décision, dans son guide relatif aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés de septembre 2019, qui constitue un document de référence pour l’inspection du travail, la Direction générale du travail indique qu’en cas de dispense expresse de reclassement, "l’employeur est dispensé de l’obligation de consulter le CSE sur les possibilités de reclassement (articles L1226-2 et L1226-10 du Code du travail ; CA Riom, 3 avril 2018, n° 16/01261) et de notifier au salarié les motifs s’opposant à son reclassement (articles L1226-2-1 et L1226-12 du Code du travail)".

Fin 2020, la cour d’appel de Paris a suivi la même position, estimant qu’en cas de dispense de reclassement par le médecin du travail, "l’avis du CSE est inutile dès lors que le reclassement est impossible et que ce comité n’a pas de compétence pour remettre en cause l’appréciation du médecin du travail, son éventuel avis ne pouvant se borner qu’à ce constat" (CA Paris, 2 décembre 2020, n° 14/11428).

Interprétation contraire possible

La cour d’appel de Lyon a en revanche adopté en 2019 une position plus rigoureuse. Dans cette affaire, l’avis d’inaptitude indiquait : "Monsieur X est inapte définitif à son poste de travail. Il s’agit d’une procédure d’inaptitude selon l’article R 4624-42 et tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. L’étude de poste a été faite le 23 février 2017 avec Monsieur Z A". La cour d’appel de Lyon a estimé que l’avis d’inaptitude, qui renvoie clairement au cas de dispense aujourd’hui prévu par le Code du travail, "ne se prononce que sur l’emploi occupé, indiquant expressément que le salarié est inapte à "son poste de travail" et non à tout emploi". Les juges Lyonnais en déduisent que la société n’était, dès lors, pas fondée à se prévaloir d’une dispense de reclassement ni d’une dispense de consultation (CA Lyon, 6 novembre 2019, n° 17/05121). Si cette décision porte sur des faits à l’époque desquels le médecin ne disposait pas encore des modèles d’avis d’inaptitude sous forme de formulaires à remplir, elle témoigne de la faculté pour les juges d’appliquer strictement les règles relatives à la procédure de licenciement pour inaptitude, quand bien même le médecin du travail a clairement entendu dispenser l’entreprise d’une recherche de reclassement.

Position trouble de la Cour de cassation

Alors que sous l’empire des règles antérieures, la Cour de cassation semblait avoir pris le parti d’écarter la consultation des délégués du personnel en cas d’impossibilité de reclassement (Cass. Soc., 5 octobre 2016, n° 15-16.782), la Chambre sociale a rendu plusieurs décisions le 30 septembre dernier, dont l’une semble marquer un retour en arrière (Cass. Soc., 30 septembre 2020, n° 19-11.974, voir aussi n° 19-16.488).

Dans cet arrêt, après avoir rappelé l’ensemble des règles relatives à l’obligation de reclassement d’un salarié inapte, dont celles relatives aux dispenses de reclassement et à la consultation des représentants du personnel, la Cour énonce le principe général selon lequel la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l’employeur de consulter les représentants du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 30 septembre 2020, n° 19-11.974). Si dans cette affaire le médecin du travail n’avait pas prononcé de dispense de reclassement, de sorte que la consultation du CSE s’imposait sans contestation possible, la généralité des termes de l’attendu laisse à penser que la Cour de cassation pourrait avoir une interprétation extensive des textes en imposant la consultation du CSE et la remise d’un écrit au salarié dans tous les cas, ce qui comprendrait celui d’une dispense de reclassement prononcée par le médecin du travail. L’enjeu n’est pas neutre puisque, et c’est là l’autre apport de l’arrêt de la Cour de cassation, en cas de manquement à l’obligation de reclassement, le licenciement peut être jugé sans cause réelle et sérieuse, qu’il s’agisse d’une inaptitude d’origine professionnelle ou non professionnelle. En définitive, il existe des arguments juridiques, en plus des arguments de bon sens, permettant d’exonérer l’entreprise de ses obligations en matière de consultation du CSE et d’information écrite préalable du salarié sur les raisons s’opposant à son reclassement lorsque le médecin a prononcé une dispense légale de reclassement. Pour autant, au vu de l’absence de confirmation à date de la Cour de cassation, et au vu des interprétations possibles de la jurisprudence la plus récente de la Chambre sociale, la solution de prudence pourrait être, pour l’instant, de consulter le CSE e t d’adresser un écrit au salarié, en particulier dans des dossiers dont l’entreprise pressent qu’ils vont donner lieu à une action contentieuse de la part du salarié licencié.

Articles L1226-12 al. 2 et L1226-2-1 al.2 du Code du travail

Article L.1226-2-1 al. 1 et L1226-12 al.1 du Code du travail

Articles L1226-2 et L1226-10 du Code du travail

SUR LES AUTEURS

Pierre-Alexis Dumont et Antoine Goux sont respectivement avocat associé et avocat counsel au sein d’Actance. Cabinet comptant plus de 60 avocats en droit social, Actance conseille les entreprises et groupes dans la gestion de toutes leurs problématiques juridiques sociales, et les représente devant les juridictions civiles et pénales.

Par Pierre-Alexis Dumont, avocat associé, et Antoine Goux, avocat counsel. Actance

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