La rémunération salariale est devenue un enjeu majeur pour toutes les entreprises. La standardisation, la mondialisation, et bientôt l’uberisation font tour à tour peser sur les salaires le poids de la compétitivité et contraignent les entreprises à constamment repenser leur système de rétribution.

Samir Naciri-Khalil est responsable de l’ensemble des offres RH du groupe Leyton. Après avoir assuré le développement commercial des services externalisés et du conseil RH à destination des ETI et grands comptes, Samir Naciri-Khalil a en charge, depuis deux ans, au sein de la direction commerciale, l’animation et le développement du marché RH regroupant les divisions charges sociales, gestion externalisée et optimisation de l’absence et des AT/MP, le conseil RH, et l’accompagnement sur les achats RH (intérim et assurances de personnes).

L’émergence du « package de rémunérations »

Ce mouvement est d’ailleurs observable d’un point de vue macroéconomique : quand l’on compare l’évolution en France du salaire moyen au regard du revenu national brut par habitant, on observe une rupture de tendances vers la fin des années 1980 (le salaire moyen passant sous la courbe du revenu national brut par habitant). Nous sommes passés progressivement d’un modèle quasi exclusivement tourné vers les augmentations généralisées vers un modèle privilégiant le « package de rémunération » (mixant des éléments de variable collectif, individuel, de l’épargne salariale et des avantages en nature). L’émergence d’un autre rapport au travail, d’une recherche croissante chez le collaborateur d’un meilleur équilibre vie professionnelle/vie privée conduit les C & B, le DRH à créer des formes de rétribution plus intrinsèques : la formation professionnelle devient un enjeu primordial pour l’entreprise dans un contexte de GPEC mais aussi et surtout pour le salarié qui dépasse la notion d’employabilité en tant que simple concept et l’élève en véritable stratégie. À l’heure de l’uberisation, les horaires de travail libres, le télétravail, le compte épargne temps (CET) assouplissent les contraintes spatio-temporelles liées classiquement à un emploi salarié (même si le mouvement est encore timide en France). La santé et celle de ses proches sont aussi un enjeu salarial important, surtout au sein des populations d’ouvriers et d’employés : ainsi, la mutuelle, la prévoyance, le maintien de salaire, la subrogation des IJSS, les jours enfant/proche malade, sont autant de dispositifs permettant, là aussi, de mieux piloter sa vie professionnelle face aux perturbations de la vie privée.

Des dispositifs avantageux pour l’employeur et l’employé

Dernier paramètre et non des moindres : la pression fiscale exercée sur les salaires, côté employé et employeur, incite l’entreprise à investir plus massivement sur toutes les formes de rémunérations non salariales et autres avantages en nature, bénéficiant très souvent de régimes partiellement ou totalement défiscalisés. Le DRH a donc l’occasion de faire d’une pierre, deux coups : non seulement, il peut créer des avantages valorisables dans le cadre de la négociation avec les partenaires sociaux mais en plus ces derniers présentent un coût moindre que le salaire. Une alternative qui profite aussi aux salariés dans la mesure où ces dispositifs sont exonérés de charges et/ou défiscalisés. Autant d’effets d’aubaine pour le DRH qui bénéficie d’outils de rétribution, de fidélisation et motivation… à moindre coût. Mais ces évolutions du système de rémunération français ont également induit un certain nombre d’effets pervers.

Des avantages banalisés

Depuis plusieurs années, les avantages non salariaux sont fortement utilisés par les DRH, et dans de très nombreux cas, sanctuarisés par les conventions collectives voire par une réglementation nationale. Ainsi, 98 % des salariés bénéficient d’une contribution de leur employeur à leurs dépenses de santé, 93 % de tickets de restaurant (ou une restauration collective), 64 % d’une indemnité de loisirs, 62 % des salariés du secteur marchand d’une épargne salariale, 60 % d’une indemnité de voiture ou de déplacement, 48 % de remises sur les produits ou services de l’entreprise, etc. Autant dire que, face à la généralisation de ces avantages, réservés auparavant aux grandes entreprises dites « sociales », on assiste à une relative banalisation, qui atténue sensiblement le pouvoir d’attraction ou de rétention de ces dispositifs.

Des avantages sous la loupe des administrations

Lorsque l’on observe la répartition des postes de redressement lors du contrôle d’une caisse, en particulier l’Urssaf, les rémunérations non soumises à cotisation représentent 52 % des motifs de redressements, soit 791 millions de régularisations en 2015 (dont 773 millions de redressements). En analysant plus en détail ce poste, il apparaît que les avantages sociaux exonérés de charges (intéressement, participation, prévoyance, avantages en nature) constituent près de 24 % des rémunérations non soumises à cotisation redressées. C’est une tendance à la hausse depuis de nombreuses années. L’imagination des DRH en matière de rémunération non salariale est donc largement encadrée par les limites (souvent invisibles sauf le jour du contrôle) fixées par les administrations. La sanction peut être sévère à l’instar de cette entreprise de cent salariés qui en couvraient seulement quatre-vingt-seize au titre de la prévoyance santé. La non-couverture de ces quatre salariés rend le financement du régime incompatible avec l’exonération plafonnée de cotisations de sécurité sociale. Redressement de 69 000 euros !

Des dérives d’usages faisant exploser les budgets

Le contrôle de gestion observe très souvent un écart entre le coût évalué en amont pour l’avantage et son coût réel après plusieurs années voire seulement plusieurs mois. Ces dérives budgétaires sont dues à plusieurs facteurs : les revendications du salarié qui modifient les règles applicables à l’avantage, les évolutions législatives, l’absence de bilan ou de garde-fous, l’absence de focalisation des équipes paie dans la gestion de l’avantage. C’est le cas, notamment d’un accord d’intéressement dont les règles sont mal maîtrisées, ou bien de tous les avantages liés à la gestion de l’absence ou du temps de travail : subrogation des IJSS, congés pour proche malade, télétravail, prime transport… Nous observons par exemple, que certaines entreprises passent en perte entre 5 % et 10 % de leur volume IJSS et IJP (prévoyance) par an.

Une charge de travail supplémentaire pour les équipes

Beaucoup d’entreprises sous-évaluent l’impact, en termes de charge de travail pour les équipes RH, de la mise en place (ou évolution) de certains avantages. Leyton estime, par exemple, que la gestion des IJSS dans un contexte de subrogation occupe entre 0,5 et 0,7 ETP (pour une entreprise de 1 000 salariés avec un absentéisme modéré), soit un coût moyen chargé entre 15 000 euros et 20 000 euros. Ce montant peut tout simplement doubler quand la prévoyance intervient très tôt dans le maintien de salaire. En synthèse, au-delà du coût facial d’un avantage, si l’on cumule les risques de redressement, les dérives budgétaires et les coûts de gestion identifiés ou cachés, l’addition peut s’avérer très salée et contraindre parfois certaines entreprises à revoir à la baisse l’avantage en question, voire même le supprimer. Afin d’éviter ce type de décisions extrêmes, il convient d’adopter une stratégie globale d’évaluation de ces politiques de rémunérations non salariales.

Les points clés 

Anticiper : identifier les meilleures pratiques mais également celles à risques, comprendre l’impact organisationnel afin de construire les meilleurs process possibles.

Contrôler et mesurer : impliquer le contrôle de gestion afin de mettre en place des indicateurs de suivi.

Se faire accompagner : gérer la complexité technique de l’achat ou de la gestion d’un avantage avec l’appui
de partenaires extérieurs (avocats, conseil en achat, conseil RH, externalisation de certains process).

 

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