Axées sur des principes de volontarisme du dirigeant et de confidentialité des négociations, les procédures préventives « judiciaires » et « extra-judiciaires », encore trop souvent ignorées des dirigeants, sont devenues des outils incontournables de la prévention des difficultés et constituent des atouts majeurs à la veille d’une crise économique redoutée et inéluctable.

Au troisième trimestre 2020, le nombre de procédures collectives ouvertes depuis le début de l’année par les tribunaux s’élevait à 24 000, soit le plus bas niveau de défaillance depuis 30 ans. Ce chiffre est trompeur dès lors que les mesures de soutien mises en place par l’État (chômage partiel, PGE, report des cotisations et aménagement des règles de cessation de paiement, etc.) ont endigué une vague de défaillances pourtant considérée comme acquise lors de la première période de confinement.

Cependant, ces aides ne seront pas éternelles et l’heure du remboursement de la dette s’apprête à sonner avec son lot de dégâts irrémédiables dans la quasi-totalité des secteurs de l’économie. Dans ce contexte, les procédures préventives « judiciaires » et « extra-judiciaires » complètent parfaitement l’arsenal de mesures mises en place par le gouvernement.

Les mécanismes de prévention extra-judiciaires

Avant même l’instauration par la loi de 1984 des premières mesures de détection des difficultés des entreprises, le principe fondamental comptable de vérification de l’hypothèse de continuité d’exploitation, constituait déjà, un solide outil d’anticipation des difficultés. L’information comptable conserve aujourd’hui son rôle majeur dès lors que toute société exerçant une  activité commerciale a l’obligation de posséder une comptabilité régulière et d’établir à la clôture de chaque exercice des comptes annuels. Ce faisant, le dirigeant appréciera la qualité de l’équilibre financier de son entreprise, ou, en cas de difficultés naissantes, les préviendra. À plus forte raison que le défaut d’accomplissement de ces formalités est susceptible d’entraîner, en cas de procédure collective ultérieure, une interdiction de gérer ou une sanction pécuniaire à l’encontre du dirigeant défaillant.

"Strictement confidentielles, ces procédures empêchent que les difficultés  ne se répandent  sur la place publique"

Les chefs d’entreprise en proie à des difficultés peuvent également compter, depuis 1999, sur les Centres d’information et de prévention, présents sur l’ensemble du territoire et leurs « Entretiens du Jeudi », au cours desquels ils sont reçus de manière confidentielle, anonyme et gratuite par un trio d’experts (expert-comptable, commissaire aux comptes, avocat ou ancien juge consulaire), qui les accueillent bénévolement afin de les aider à anticiper ou traiter leurs difficultés. L’adhésion à un Groupement de prévention agréé concourt à cette même fin, en ce qu’il fournit à ses adhérents une analyse des informations économiques, comptables et financières que ceux-ci s’engagent à lui communiquer régulièrement. Enfin, des procédures d’alerte peuvent être initiées, en interne par les actionnaires et associés, commissaire aux comptes, comité d’entreprise ou comité social et économique, ou en externe par le Président du tribunal. Ce dernier peut ainsi convoquer le dirigeant dans le cadre d’un entretien informel et envisager des mesures propres à redresser la situation.

Les mécanismes de prévention judiciaires

Ces mécanismes impliquent pour le dirigeant de solliciter du tribunal l’ouverture d’une procédure de mandat ad hoc ou de conciliation afin de bénéficier de l’assistance d’un professionnel (le plus souvent un administrateur judiciaire) dont la mission est de favoriser la recherche de solutions et d’accords financiers avec les principaux créanciers. Strictement confidentielles, ces procédures empêchent que les difficultés ne se répandent sur la place publique, maximisant les chances de redressement de l’entreprise. Le dirigeant n’est, quant à lui, pas tenu d’informer les représentants du personnel, conservant ainsi intacte la motivation des salariés. L’article L 611-15 du Code de commerce impose, à ce titre, que toute personne appelée dans l’une de ces procédures ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité.

La procédure de mandat ad hoc

Né de la pratique des tribunaux de commerce avant d’être codifié par la loi, le mandat ad hoc est doté d’une grande souplesse permettant à un débiteur rencontrant des difficultés de tout ordre, sans être en cessation des paiements, de solliciter l’aide d’un mandataire, dont la mission sera fixée par le Président du tribunal selon les demandes du dirigeant. Non limité dans le temps, le mandat ad hoc a également l’avantage de pouvoir être utilisé comme un préalable à la procédure de conciliation, qui, d’une durée bien plus brève (4 ou 5 mois), doit aboutir à la rédaction d’un accord visant à mettre fin aux difficultés de la société.

La procédure de conciliation

Créée par la loi de 2005, la conciliation vise à aider un débiteur, qui ne doit pas se trouver en cessation des paiements depuis plus de 45 jours, sous l’égide d’un conciliateur désigné par le Président du tribunal, dont la mission est de favoriser la conclusion, entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que ses cocontractants habituels, d’un accord amiable devant mettre fin aux difficultés de l’entreprise. Les créanciers (y compris les organismes publics) pourront, dans ce cadre, consentir des remises de dettes et des délais de paiement, lesquels peuvent aussi être demandés au Président.

Par ailleurs, la conciliation permet au débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier au cours de la procédure, sous certaines conditions, de demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application de l’article 1343-5 du Code civil, lequel prévoit l’obtention d’un délai maximum de 24 mois pour régler la dette.

Les négociations confidentielles aboutiront à un accord constaté par le Président ou homologué par le tribunal, interrompant durant son exécution, toute action ou poursuite sur le patrimoine du débiteur. Comparativement, l’accord constaté est plus souple que l’accord homologué, en ce qu’il est fonction des seules déclarations du dirigeant, non soumis à publication et non susceptible de recours. Néanmoins l’accord homologué offre plus de sécurité aux créanciers, puisqu’il tend à assurer la pérennité de l’activité de l’entreprise sans atteindre l’intérêt des créanciers non signataires et reste susceptible de recours. De plus, en cas de procédure collective ultérieure, un privilège de conciliation est offert aux personnes ayant apporté de la trésorerie. Enfin, la date 
de cessation des paiements ne pourra être fixée antérieurement à la date d’homologation de l’accord de conciliation, ce qui aura pour effet d’impacter le régime des nullités de la période suspecte et d’avoir une incidence sur les éventuelles sanctions initiées à l’encontre du dirigeant.

En sus de ces schémas « classiques », la conciliation peut préparer un plan soumis au vote des créanciers, qui sera adopté par le tribunal dans le cadre d’une procédure de sauvegarde accélérée ("prepackaged plan"). En outre, depuis l’ordonnance de 2014, une cession partielle ou totale de l’entreprise ("prepack cession"), après avis des créanciers participants, peut être mise en œuvre dans le cadre d’une procédure collective ultérieure.

Ainsi, le chef d’entreprise dispose aujourd’hui de nombreux instruments lui permettant d’anticiper les difficultés de son entreprise. Toutefois, la mise en œuvre de ces procédures repose sur une démarche volontariste du dirigeant. Il lui est donc impératif d’agir en amont sans attendre que le risque ne se réalise, prenant ainsi à contrepied Machiavel pour qui "L’habituel défaut de l’homme est de ne pas prévoir l’orage par beau temps".

Edouard Tricaud, associé, Saint-Louis Avocats

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Source : Rapport d’activité 2019 du conseil national des AJMJ
 

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