Les mesures prises par les cabinets d’avocats ont parfois été radicales pour faire face à une crise aussi imprévisible que violente. Mais de façon générale, l’impact sur les collaborateurs reste mesuré, tant sur le volet des rémunérations que pour la préservation des effectifs.

Les collaborateurs ont globalement été épargnés. D’après l’enquête du Conseil national des barreaux (CNB) consacrée à la situation de la profession d’avocat en période de crise sanitaire à laquelle plus de 10 000 avocats ont répondu, 71 % des cabinets ont maintenu intégralement la rétrocession des collaborateurs libéraux. Dans le même sens, 66 % des répondants à notre sondage affirment que la crise n’a pas impacté la rémunération des collaborateurs. En y regardant de plus près, les mesures concernant directement les collaborateurs varient fortement d’un type de cabinet à l’autre et dépendent surtout de son niveau d’activité.  

Revues des prétentions salariales  

Selon les chiffres du CNB, durant le confinement, l’activité a été partiellement arrêtée pour 59 % des collaborateurs libéraux, normale pour 33 % et totalement arrêtée pour 9 % d’entre eux. Du côté des collaborateurs salariés, elle était normale pour 45 % des répondants, partiellement arrêtée pour 40 % et totalement arrêtée pour 14 %. Thierry Montecatine, associé du cabinet de recrutement Team Search, note de fortes disparités selon les matières que dispense un cabinet, certaines équipes connaissant un vrai ralentissement d’activité tandis que d’autres doivent faire face à des besoins importants de la part de leurs clients. "À l’heure à laquelle nous nous parlons et sans avoir une réelle visibilité à court terme, les équipes dédiées au droit social, fiscal et immobilier sont fortement sollicitées et par conséquent, les collaborateurs également." Les cabinets moins occupés depuis le début de la crise ont pour leur part dû geler les recrutements des collaborateurs ou mettre une partie de leurs avocats en activité partielle (une mesure hors cadre juridique puisqu’un avocat libéral n’est pas soumis à un nombre d’heures de travail, mais à un niveau de facturation).   

Mais très souvent, les structures se séparent des collaborateurs moins performants, la crise ayant révélé l’urgence à assurer un niveau élevé de rentabilité.


Pour Maria-Inés Espinoza, cofondatrice de MAJ Consulting, un cabinet de recrutement exclusivement consacré aux collaborateurs, la diminution de la rétrocession d’honoraires concernerait surtout les structures anglo-saxonnes ou américaines, les cabinets français arrivant à tirer leur épingle du jeu : "Certains cabinets n’ont pas diminué les rétrocessions d’honoraires, mais ont, afin d’anticiper les conséquences économiques de la crise, suspendu le versement des bonus pour l’année 2020 et gelé les augmentations prévues en 2021." Chez les Anglo-Saxons, et généralement chez ceux qui appliquent une politique en provenance de la maison-mère, un système dit "flex" a été mis en place. Il consiste à aménager la rétrocession d’honoraires en fonction du taux d’occupation des avocats, ce taux étant calculé équipe par équipe. C’est donc tout un système de diminution du salaire fixe qui a été mis en place au début du confinement. Aucun élément précis n’a été révélé sur la durée de cette démarche.  

L’effet sur le marché de l'emploi

Le marché de l’emploi est directement touché par la crise sanitaire. Tout d’abord, la population dite "middle" va certainement s’en trouver affaiblie. "Pour ceux qui cherchent à gagner en rémunération et en responsabilité, la crise risque de freiner leurs ambitions, explique Antoine Valle, le fondateur et dirigeant de Rinnovo, un cabinet de recrutement très actif dans l’univers du droit. En effet, l’associé dont ils dépendent sera peut-être amené à freiner leur promotion et il sera difficile pour eux de trouver une collaboration dans une autre maison." Car le rythme des embauches est aujourd’hui diminué : "Auparavant, les collaborateurs avaient le choix des structures dans lesquelles ils pouvaient candidater ou être sollicités, complète Thierry Montécatine. Là où d’habitude il y a plus d’offres que de demandes, on assiste aujourd’hui à la situation inverse : seuls les cabinets dont l’activité continue à ce jour de tourner à plein régime sont prêts à recruter des collaborateurs, spécialisés dans une matière sollicitée." Pour Marie Geyskens, associée chez Kraven Partners, un cabinet de recrutement qui intervient entre Nantes et Rennes, la situation est devenue difficile pour les avocats en recherche de collaboration dans la mesure où le marché ne peut absorber toutes les demandes. "Certains sont prêts à faire des efforts sur la rémunération ou se tournent vers le monde de l’entreprise", relève-t-elle. Un constat partagé par Antoine Valle : "Quelques avocats sont prêts à diminuer leurs prétentions salariales jusqu’à 30 %, raconte le recruteur. Ce qui peut être dangereux puisque, passé le temps de la nouveauté, ils risquent de se rendre compte que les efforts auxquels ils ont consenti ne leur apportent pas l’épanouissement personnel qu’ils recherchent."  

Aménager les conditions de départ

Dans ce contexte, les regards se tournent vers les suppressions de postes. Les licenciements de collaborateurs semblent encore modérés même si aucun chiffre ne peut réellement le confirmer. Les expériences recueillies par les chasseurs de têtes sont en revanche plutôt rassurantes. Contraints de prendre ces décisions difficiles, les cabinets ont parfois fait le choix d’aménager les conditions de départ de leurs avocats : "Certains ont allongé les délais de procédure de licenciement de plusieurs semaines ou même d’un mois entier, afin de laisser davantage de temps aux avocats licenciés de se retourner", explique Constance Philippon. Une démarche qu’Antoine Valle a lui aussi pu observer : "J’ai reçu plusieurs candidats qui ont bénéficié d’un allongement de leur préavis de départ", confirme-t-il. C’est le cas chez Osborne Clarke : "Nous avons mis fin à quatre contrats de collaboration à la sortie du confinement, confirme Maxime Pigeon, co-managing partner du bureau de Paris. Mais nous avons fait en sorte que leurs conditions de départ soient aménagées en raison de la période difficile et ces avocats seront remplacés." Car un des éléments importants de cette gestion de crise est la préservation des postes. Certes, des licenciements ont eu lieu. Mais très souvent, les structures se séparent des collaborateurs moins performants, la crise ayant révélé l’urgence à assurer un niveau élevé de rentabilité. Ce sont des situations qui auraient peut-être perduré encore plusieurs mois en période normale, mais qui sont pointées aujourd’hui. Cela n’induit pas que ces cabinets ne vont pas tenter de remplacer les collaborateurs dont ils se sont séparés. Cette stratégie semble celle privilégiée par le barreau d’affaires, échaudé par la crise de 2008 et les décisions de réduction des effectifs qui ont été extrêmement périlleuses à rattraper par la suite. 

Marine Calvo et Pascale D'Amore

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