Les ordonnances « Macron », publiées au Journal officiel au mois de septembre 2017 et dont les dispositions devraient être ratifiées prochainement, réforment le droit du travail en profondeur...

Des chapitres entiers du Code du travail ont été réécrits avec pour objectifs principaux de renforcer le dialogue social, de sécuriser les relations de travail et ainsi de promouvoir l’emploi. 

Les pouvoirs publics semblent, en revanche, avoir omis de tenir compte de la situation particulière des entreprises en redressement ou liquidation judiciaire. Cette omission est parfaitement illustrée par l’absence d’adaptation des dispositions du Code de commerce. En effet, alors que l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 a substantiellement modifié le Code du travail pour tenir compte de la création du Comité Social et Economique (CSE), nouvelle instance unique de représentation du personnel, qui remplacera définitivement d’ici le 1er janvier 2020, les actuels Comité d’Entreprise (CE), Délégués du Personnel (DP) et Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), les dispositions du Livre VI du Code de commerce relatives aux entreprises en procédure collective et faisant expressément référence aux CE, DP et CHSCT, demeurent inchangées.

 

S’il est légitime de penser qu’il conviendra de lire selon les cas « comité social et économique », à la place de « comité d'entreprise », « délégués du personnel » et « comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – comme le prévoit l’article 9, V, de l’ordonnance précitée pour l’application des dispositions du Code du travail, un texte le confirmant serait le bienvenu. Il n’est cependant par certain que le nouveau projet d’ordonnance (« balai » selon certains ou « coquille » selon d’autres) actuellement en cours de préparation par le gouvernement et attendu pour la fin de l’année, régularisera la situation.

Dès lors, de nombreuses questions risquent de se poser en pratique, et notamment :

Qui désignera le représentant des salariés, en charge de la vérification des créances salariales ?

Dans sa rédaction actuelle, l’alinéa 2 de l’article L.621-4 du Code de Commerce[1] précise que le tribunal « invite le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel à désigner un représentant parmi les salariés de l'entreprise. En l'absence de comité d'entreprise et de délégués du personnel, les salariés élisent leur représentant ». Dès lors, l’entreprise, en redressement judiciaire qui aura mis en place un CSE devra-t-elle considérer que la désignation du représentant des salariés incombe au CSE - alors qu’aucun texte ne le prévoit expressément - ou devra-t-elle estimer qu’à défaut de CE et de DP, il appartiendra aux salariés de le désigner ? De notre point de vue, cette prérogative devrait entrer dans le « giron » du CSE mais en l’absence de précision expresse, l’incertitude demeure.

Qui sera en charge de statuer sur la contestation d’une expertise portant sur les grands licenciements économiques ?

L’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail prévoit désormais que la contestation d’une expertise portant sur les grands licenciements économiques (au moins 10 sur une même période de 30 jours) doit être portée devant l’Administration du travail et non pas devant le Tribunal de Grande Instance (jusqu’alors en charge du contentieux des expertises votées par les représentants du personnel) (C. trav. nouvel art. L.1233-35-1[2]). Cependant, l’article L.1233-58 du Code du travail qui prévoit des dispositions spécifiques en cas licenciement économique envisagé dans une entreprise en procédure collective ne renvoie pas expressément à ce nouvel article. Doit-on donc en déduire qu’en l’absence de disposition contraire, l’Administration du travail serait compétente pour statuer sur la contestation d’une expertise portant sur une procédure de grand licenciement collectif pour motif économique engagée dans une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire ? A notre sens oui. Toutefois, il pourrait être à l’inverse soutenu qu’en l’absence de précision, le Tribunal de Grande Instance conserve cette prérogative. Il ne fait nul doute que les juridictions seront prochainement saisies de cette problématique.

Comment le nouveau dispositif de rupture conventionnelle collective pourra-t-il s’articuler avec les dispositions spécifiques du droit des procédures collectives ?

L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail offre la possibilité aux entreprises de mettre en œuvre, par accord collectif de droit commun, un dispositif de rupture conventionnelle collective excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui leur sont assignés en termes de suppression d’emplois (C. trav., art. L. 1237-19).

Dès lors que les pouvoirs publics ont pris le soin d’exclure, pour ces entreprises, les dispositions relatives à la revitalisation du bassin de l’emploi applicables en cas de rupture conventionnelle collective (cf. C. trav. nouvel art. L. 1237-19-9), il n’y a pas selon nous d’incompatibilité entre les dispositions relatives à la rupture conventionnelle collective et la situation des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire.

Il reste cependant à savoir comment articuler ce nouveau dispositif avec les dispositions spécifiques du droit des procédures collectives. Les ruptures conventionnelles collectives qui interviendraient au cours de la période d’observation devront-elles présenter un caractère « urgent, inévitable et indispensable » comme cela est prévu pour les licenciements (C. com., art. L. 631-17) ? Devront-elles être préalablement autorisées par le juge commissaire ? La réponse à cette question devrait être positive si l’on se réfère aux dispositions de l’article L.622-7 du Code de commerce en vertu desquelles tout acte passé pendant la période d’observation sans autorisation préalable du juge commissaire peut être annulé. Cependant, là encore, il n’y a pas de certitude.

Des questions similaires pourraient se poser à propos des accords d’entreprise permettant de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi, qui peuvent aménager la durée du travail, la rémunération et/ou déterminer les conditions de la mobilité professionnelle (C. trav., L.2254-2).

Une clarification sur la situation particulière des entreprises en redressement et liquidation judiciaire serait donc la bienvenue.

 

Alix Combes et Côme de Girval

Avocats – Senior associates, Capstan Avocats

 

[1] L’alinéa 2 de l’article L621-4 du Code de commerce est applicable à la procédure de sauvegarde mais également aux procédures de redressement et de liquidation judiciaire par renvoi de texte (C. Com. art. L.631-9 et L 641-1, II, al. 5).

[2] C. Trav. Art. L. 1233-35-1.-Toute contestation relative à l'expertise est adressée, avant transmission de la demande de validation ou d'homologation prévue à l'article L. 1233-57-4, à l'autorité administrative, qui se prononce dans un délai de cinq jours. Cette décision peut être contestée dans les conditions prévues à l'article L. 1235-7-1. » ;

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