Dix ans après la crise, le M&A retrouve ses lettres de noblesse. En 2018, les opérations ont atteint un montant record de 2 720 milliards de dollars, en hausse de 22,3 % sur un an. Quant aux introductions en Bourse et aux deals de private equity, ils affichent des bilans plus mitigés. Passage en revue.

Dans une conjoncture économique morose – le PIB européen ne devrait progresser que de 2 % cette année -, les entreprises ne peuvent plus se permettre de rester passives et doivent aller chercher la croissance là où elle se trouve. Cela se traduit par des acquisitions ciblées, soit sur des zones géographiques ou des secteurs d’activité plus porteurs. En un an, les opérations de M&A ont ainsi progressé de 22,3 % en valeur, pour atteindre 2 720 milliards de dollars, et de 30 % en volume. Du jamais vu.

Tous les voyants au vert

Il faut dire que les conditions de financement n’ont jamais été aussi bonnes. Malgré la reprise de l’inflation, les taux d’intérêt restent à des niveaux historiquement bas. Pour des grands groupes avec une forte solidité financière, les taux peuvent même être négatifs en fonction de la maturité. Cet excès de liquidité n’explique pas tout. Pour les dirigeants, ces deals intègrent désormais une dimension géopolitique. Plus que jamais les sociétés européennes, chinoises et américaines se livrent une bataille acharnée sur un marché mondialisé. Si les autorités ont bien compris les enjeux, ils semblent démunis pour faire respecter leurs règles, conscients que l’ère du numérique les obligent eux aussi à se réinventer. Les entreprises en profitent pour agir vite. Entre l’entrée en négociations exclusives et la signature définitive, le délai moyen à baisser de plus d’un mois pour s’établir à environ sept mois.

La France en recul

Avec une progression de 64 %, les transactions européennes ont enregistré la plus forte progression pour atteindre 940 milliards de dollars, soit un montant supérieur au niveau d’avant crise (871 milliards de dollars en 2008). Malheureusement, les entreprises françaises n’ont pas su en profiter. Sur les neuf premiers mois de l’année, les fusions-acquisitions impliquant une société tricolore n’ont atteint que 126,3 milliards de dollars, selon les données fournies par Thomson Reuters. C’est 30 % de moins que sur la même période en 2017. Cette baisse se concentre sur les transactions domestiques. Autrement dit, les entreprises françaises boudent le marché hexagonal, préférant chercher des relais de croissance à l’international. Quant aux investisseurs étrangers, ils ciblent les entreprises en difficulté avec une marque forte comme Fosun lors de son rachat de Lanvin en début d’année. Bonne nouvelle en revanche, les industriels français n’hésitent plus à partir à la conquête de nouveaux marchés. Les deux plus grandes opérations de l’année sont ainsi à mettre au profit d’Axa avec le rachat de XL Group pour 15,1 milliards de dollars et la reprise de Bioverativ par Sanofi pour 10,9 milliards de dollars.

La Bourse n’a plus la cote

Côté financement, les introductions en Bourse ont connu des résultats plus mitigés. En Europe, avec 24 milliards euros d’émissions sur les neuf premiers mois de l’année, les IPO affichent un recul de 6,6 % sur un an, selon Dealogic. Une mauvaise performance qui s’explique par le nombre record d’opérations annulées. En six mois, 23 % des projets officiellement lancés ont été stoppés en cours de route, soit 31 opérations. La proportion était tombée à 7 % l’an passé. En France, Bain Capital a dû par exemple reporter le projet d’introduction d’Autodis. Les pricing ont également été revus à la baisse. Selon une étude réalisée par HSBC, 71 % des émissions de plus de 100 millions se sont effectuées dans la borne basse de la fourchette de prix, contre seulement 57 % en 2017. Principale cause de ce désamour, la volatilité des marchés - l’Eurostoxx 600 a baissé de 1,7 % depuis janvier 2018 – et la méfiance des investisseurs étrangers. Sur les huit premiers mois de l’année, 40 milliards de dollars de retraits nets ont été enregistrés, selon Bank of America. Résultat, le marché se montre encore plus sélectif et les valorisations peuvent décoller pour des entreprises alliant croissance et rentabilité. Ce fut par exemple le cas pour les introductions en Bourse  d’Ayden, la plateforme de paiement électronique omnicanale qui a levé 849 millions d’euros et Neoen, le premier producteur indépendant d’énergie, qui a récolté 697 millions d’euros.

Heureusement, les petites capitalisations connaissent un meilleur sort. Dans le compartiment C d’Euronext par exemple, trois opérations ont été menées au premier semestre pour une levée totale de 112 millions d’euros : la biotech Voluntis a récolté 30,1 millions d’euros, le fabricant de systèmes de contrôle d’accès Cogelec, 38,7 millions d’euros et le constructeur de serveurs informatiques 2CRSI 43,7 millions d’euros. En comparaison, il y en avait eu cinq pour un montant similaire sur l’ensemble de l’année 2017.

Les États-Unis, un marché à part

Au contraire, le marché nord-américain fonctionne à plein régime, profitant de la hausse du dollar par rapport aux principales monnaies. Le NYSE et le Nasdaq ont concentré les principales introductions en Bourse. Selon EY, 101 IPO avaient été réalisées au cours du premier semestre permettant de lever  29,9 milliards de dollars.  Sur un an, la hausse s’élève à 20 % en valeur et à 30 % en volume. Au niveau mondial, le marché n’a progressé « que » de 5 % à 94,3 milliards de dollars. Et au vu des opérations réalisées depuis, l’écart devrait se confirmer. Pour 2018, les introductions en Bourse aux États-Unis pourrait dépasser les 60 milliards de dollars, soit un niveau d’avant crise. Une tendance qui devrait se confirmer l’an prochain tant les dossiers d’exception s’accumulent. En 2019, Uber et AirBnB pourraient bien battre de nouveaux records de valorisation.

Cette bonne santé s’explique par le développement des mises en Bourse « cross border ». Sur le seul premier semestre, EY en avait compté 24 pour un montant total de neuf milliards de dollars. L’IPO de Spotify est sans aucun doute l’opération la plus emblématique de ce type. Grâce à son introduction sans intermédiation, la plateforme suédoise de streaming musical a été valorisée 24 milliards de dollars. En volume, en revanche, ce sont bien les sociétés chinoises qui ont été les plus présentes. Seize entreprises ont récolté 4,5 milliards de dollars. Pour tenter d’enrayer ce mouvement, Pékin a assoupli les règles permettant aux investisseurs de Chine continentale d’investir dans des entreprises chinoises cotées, en créant les China Depositary Receipts. Pour autant, pas sûr que cette réforme n’enrayent le mouvement. Car, au-delà de liquidité, les entreprises chinoises ont surtout envie de visibilité.

Les fonds asiatiques hyperactifs

Pour les sociétés qui n’arrivent pas à finaliser leur introduction en Bourse, le private equity apparaît de plus en plus comme une solution attractive et compétitive. Ce fut par exemple le cas de Delachaux. CVC et la famille fondatrice ont préféré se tourner dans la dernière ligne droite vers le fonds canadien CDPQ, qui proposait le rachat de 100 % de la participation de l’actionnaire financier historique. L’opération lui aura permis d’obtenir une valorisation légèrement supérieure à celle qui était pressentie avec l’IPO. Si ce LBO a été réalisé avec un fonds nord-américain, ce sont bien les acteurs asiatiques qui sont les plus actifs au niveau mondial. Selon la dernière étude Preqin, ces derniers gèrent un quart des actifs mondiaux, soit environ 722 milliards de dollars. Un succès qui s’explique par les performances records enregistrées par les gérants asiatiques. Depuis 2015, ils ont distribué plus de 60 milliards de dollars par an à leurs LPs.

Dans le même temps, les inégalités entre les gérants continuent de progresser entre, d’un côté, ceux qui récoltent de plus en plus et de l’autre ceux qui peinent à survivre. En 2018, plus d’un tiers des fonds nés depuis le mois de janvier ont récolté au moins 250 millions de dollars, contre 25 % en 2017. Les fonds de tailles plus petites sont contraints de se démarquer par leur positionnement. La plus grande levée a été réalisée par Carlyle qui a bouclé son cinquième fonds de buy-out pour 6,6 milliards de dollars. À lui tout seul, l’investisseur américain a ainsi capturé 20 % du montant total. Ces records d’argent récolté interrogent néanmoins sur la capacité des fonds à investir dans des sociétés intéressantes. Fin 2017, Preqin estimait que le montant des capitaux restant à investir s’élevait à 246 milliards de dollars. De nombreux analystes craignent que cette accumulation de liquidité participe à une inflation des valorisations. Pour les entreprises, il s’agit surtout d’une opportunité pour financer leurs opérations de croissance. Sans nul doute, le cru 2019 s’annonce aussi exceptionnel que celui de cette année.

Vincent Paes

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail