L’annonce du second confinement fait planer un climat d’incertitude autour des capacités des opérateurs à assurer un approvisionnement sécurisé du territoire français en électricité. Les températures hivernales, combinées à des modifications sur le marché de l’électricité, mettent le risque de pannes de courants sur la table.

Si les deux confinements ralentissent l’activité économique du pays, ils restreignent également la liberté d’agir du secteur énergétique. Du côté des carburants fossiles, "les frontières ne sont pas fermées aux marchandises. Aucun problème d’approvisionnement ne nous a été remonté", se réjouit Alain Castinel directeur de communication de l’Union française des industries pétrolières (Ufip). RTE avait également annoncé lors d’une conférence de presse en juin 2020 que la France aurait assez d’électricité pour faire face à la demande hivernale.

En revanche, la situation des producteurs, opérateurs et de leurs réseaux électriques est toute autre. La modification en profondeur de la nature de la demande, les reports d’opérations de maintenance, sont autant de facteurs pouvant potentiellement altérer l’intégrité des infrastructures et capacités de production, sujettes à une grande vigilance.

Une consommation d’électricité métamorphosée

Les fournisseurs d’électricité font face à un type de consommation inédit. En période de confinement, la consommation change du tout au tout, contraignant les opérateurs à répondre à de nouveaux schémas de consommation et donc à organiser l’approvisionnement différemment. Albert Codinach CEO de Planète OUI, fournisseur privé d’énergies renouvelables, soutient que "la France passe d'une consommation majoritairement professionnelle la journée et résidentielle le soir et le week-end, à une consommation professionnelle très fortement diminuée et une consommation résidentielle "H 24"".

"La consommation moyenne par habitant baisse mais la modification de la courbe de consommation peut poser problème"

Certes, la consommation moyenne par habitant baisse, mais c’est la modification de la courbe de consommation qui pose problème. En effet, l’anticipation de cette dernière est plus complexe, de par son caractère inédit. Cela aura pour principale conséquence, selon Albert Codinach, de tirer à la hausse les coûts d’équilibrages : "l'énergie qui n'est pas consommée par les clients (professionnels ou résidentiels) doit être vendue sur les marchés à un prix inférieur à celui attendu".

Cependant, les opérateurs français restent positifs et assurent garder la situation sous contrôle : "l’épidémie de coronavirus casse un peu ce schéma, les prévisions de consommation sont plus compliquées à dresser. Mais, nous sommes habitués à ce travail d’ajustement. Surtout, la production d’électricité est aujourd’hui largement suffisante pour couvrir la consommation française qui, en plus, baisse. C’est plus facile, dans ce contexte, de faire face à la situation", explique la porte-parole de RTE.

Un système productif solide

Les principaux opérateurs français, EDF, Enedis et RTE ont plus d’un tour dans leur sac pour garantir le fonctionnement des centrales thermiques et nucléaires, contre vents et marées. Enedis assure dans un de ses communiqués pouvoir maintenir les services essentiels sans problèmes : "la conduite des réseaux, le dépannage 7 j/7 24h/24, les urgences vitales et la continuité d’alimentation des sites sensibles comme les hôpitaux". De fait, le réseau électrique européen permet à ces acteurs d’importer de l’électricité produite par des pays voisins en cas de déconvenue majeur. Si cela ne devait suffire, RTE peut choisir de couper l’approvisionnement en électricité de dix-huit complexes industriels particulièrement énergivores, en échange d’une contrepartie financière. Ensuite, une baisse de tension volontaire sur les ménages français est envisageable, pour gérer une situation de rareté de l’électricité. Enfin, des coupures contrôlées pourraient éventuellement être organisées en dernier recours, pour limiter les dégâts.

"Les prévisions de consommation sont plus compliquées à dresser. Mais, nous sommes habitués à ce travail d’ajustement"

Des installations aussi stratégiques que des centrales nucléaires sont préparées à de très nombreuses éventualités, y compris à fonctionner en période d’épidémie. Ainsi, des plans élaborés des années auparavant ont été mis en application au début de la crise sanitaire, permettant de conserver la capacité de production des centrales, même avec un personnel réduit, en allouant les effectifs à des fonctions clés. Par exemple, EDF a un plan "pandémie" datant des années 2000, puis mis à jour en 2009 et 2013, suites aux épidémies du H1N1 et du SRAS. Le plan a pour objectif de faire fonctionner les 19 centrales nucléaires françaises, représentants 72 % de la production électrique française, avec seulement 60 % du personnel présent. "Le réseau fonctionne, tout a été mis en œuvre pour permettre la continuité du service tout en assurant la pleine sécurité des salariés. La France continue même d’exporter de l’électricité", expliquait ainsi la direction de RTE.

Une vulnérabilité à ne pas sous-estimer

Les capacités de production sont donc théoriquement intactes. Néanmoins, là où le risque persiste, c’est dans la nature des technologies et énergies utilisées. En effet, lors du premier confinement, l’électricité provenait majoritairement de sources d’énergies renouvelables (EnR) et de centrales nucléaires. Le recours massif aux EnR, intermittentes, implique une prise en charge de cette faiblesse par le nucléaire. Or, cette énergie n’est pas connue pour sa grande flexibilité, et est bien plus efficace pour répondre à une demande "de fond", stabilisée. Le contraindre à endosser ce rôle de stabilisateur pourrait bouleverser les prévisions d’utilisation de l’uranium par les réacteurs, réduisant ainsi à néant les planifications des arrêts pour rechargement.

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Pour le directeur de la communication de l'Union française de industries pétrolières, "les frontières ne sont pas fermées aux marchandises. Aucun problème d’approvisionnement ne nous a été remonté",

Cette planification est toutefois essentielle pour permettre à l’appareil nucléaire de suivre l’évolution de la demande entre les périodes de chauds et de froids. Le récent rapport de l’Agence internationale de l’énergie (IEA) : "Power Systems in Transition. Challenges and opportunities ahead for electricity security", participe à mettre en lumière la fragilité des réseaux électriques. L’électrification progressive de nombreux secteurs de l’économie expose les infrastructures vieillissantes composant les réseaux, augmentant la charge à supporter.

Lors du premier confinement, la France était plutôt en position de surcapacité de production électrique, et pouvait également compter sur des températures relativement douces, entrainant une baisse de la demande globale d’énergie sur le territoire. Toutefois, les opérations sur les centrales, notamment nucléaires, ont été perturbées. Le deuxième confinement, lui, promet des températures plus froides et des journées plus courtes, et donc une demande accrue en électricité pour le chauffage ainsi que l’éclairage, alors même que la disponibilité du parc nucléaire français diminue. "Ne nous voilons pas la face, la situation s’annonce tendue en cas d’hiver très froid, la question concrète de l’approvisionnement pourrait se poser. Tous les efforts devront être faits pour maîtriser les pointes de consommation" souligne la Commission de régulation de l'énergie (CRE). De plus, "La consommation actuelle est 3 à 4% inférieure à la consommation électrique constatée en moyenne durant cette période", précise RTE, alors que 15 % à 20 % de baisse avaient été observé lors du premier confinement. Malgré les déclarations des opérateurs français qui se veulent rassurants, le temps sera seul juge de la capacité des acteurs du secteur à répondre efficacement aux risques de blackout, à l’aide de leur arsenal de solutions.

Thomas Gutperle

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