Une majorité sortante qui boit la tasse, un RN qui ne se voyait pas si haut, une Nupes principale force d’opposition, LR qui perd des sièges mais gagne en influence. Voici les leçons à retenir de ce second tour.

Pas d’état de grâce bien au contraire. Les résultats du second tour des législatives montrent clairement que la France est désormais constituée de trois blocs présents en force à l’Assemblée nationale : un bloc central pro-européen, une gauche qui rompt peu à peu avec la social-démocratie et une droite populiste. Conséquence : un pays ingouvernable. Ou plutôt gouvernable avec une  "force d’appoint". Laquelle ? Une gauche pas Nupes ? Des LR devenus incontournables ?

Une majorité qui boit la tasse

Une chose est certaine, la majorité d’Emmanuel Macron est relative. Un précédent rare sous la Ve République et qui a eu lieu deux fois : de 1958 à 1962 et de 1988 à 1991. LREM "pur sucre", Modem, Horizons… réunies, les composantes du macronisme reculent sur tout le territoire et certains revers sont emblématiques. Le président du groupe Modem Patrick Mignola est défait en Savoie, le président du groupe LREM Christophe Castaner perd sa circonscription des Alpes-de-Haute-Provence, le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand est battu d’un cheveu dans le Finistère par une socialiste, tout comme la ministre de la Santé Brigitte Bourguignon qui cède son siège du Pas-de-Calais au RN. Amélie de Montchalin, le jour de son anniversaire, perd face au socialiste Jérôme Guedj dans l'Essonne.

Certaines victoires apportent toutefois un peu de baume au cœur : Clément Beaune et Stanislas Guerini, deux membres du gouvernement en ballotage défavorable conservent sur le fil leurs circonscriptions à Paris. L'hôte de Matignon, Elisabeth Borne remporte sa première élection dans le Calvados.

Si la majorité présidentielle reste le premier groupe à l’Assemblée nationale, elle ne pourra plus faire voter seule ses textes. Il lui faudra trouver un partenaire. Pourquoi pas une coalition sur le modèle UDF / RPR avec Ensemble dans le rôle des centristes. LR pourrait se laisser tenter ? Eric Woerth, Damien Abad, Gérald Darmanin, Constance Le Grip, d'anciens de la maison ralliés à la macronie pourraient jouer un rôle de poisson pilote.

Même si la droite n'a jamais eu aussi peu de sièges, elle regagne en influence au Palais Bourbon

LR sauve les meubles

Le parti de droite comptait sur certaines circonscriptions traditionnellement favorables et sur des élus bien implantés pour sauver les meubles : mission accomplie, même si les héritiers de l'UMP perdent des sièges notamment en Ile-de-France où il ne reste que deux "Mohicans" Michel Herbillon dans le Val-de-Marne et Philippe Juvin dans les Hauts-de-Seine.

Dans les zones alpines, le parti conserve deux circonscriptions en Haute-Savoie, deux en Savoie. Des députés élus depuis plusieurs mandats ont bénéficié de leur notoriété et de leur travail local pour passer à travers les gouttes. C’est le cas de Marie-Christine Dalloz dans l’Oise ou de Philippe Gosselin dans la Manche, tous élus depuis 2007. Même situation pour Jean-Luc Warsmann élu dans l’Aisne depuis 1995. Autre raison d’être optimiste, la "jeune garde" préserve sa place à l’Assemblée. Ian Boucart à Belfort, Pierre-Henri Dumont dans le Pas-de-Calais, Aurélien Pradié dans le Lot ou Raphaël Schellenberger dans le Haut-Rhin sont confortablement reconduits.

Reste la question de savoir pourquoi : Noueront-ils un contrat de gouvernement avec LREM mis en minorité ? Profiteront-ils de leur force relative pour imposer leurs conditions au cas par cas ? Le parti se scindera-t-il en deux, une fraction acceptant un pacte de gouvernement (et des maroquins ministériels éventuels), une autre restant dans l'opposition ? Les jeux sont ouverts. Seule certitude: même si LR n’a jamais eu aussi peu de sièges, le parti est bien plus influent que lors des deux dernières législatures. Paradoxe.

RN : des résultats qui dépassent les espérances

Francky Vincent à plein volume, des Marseillaises entonnées à pleins poumons… L’ambiance est excellente à la soirée électorale du Rassemblement national qui réalise un exploit : obtenir plus de députés que ce que les études d’opinion les plus positives prévoyaient. Avec 89 députés élus au scrutin majoritaire, l’extrême droite est parvenue à faire exploser le "plafond de verre" en emportant des duels face à la Nupes et Ensemble. Le parti fortifie ses bastions de la bordure méditerranéenne ou du Nord.

Mais il s’implante sur de nouvelles terres. Ainsi, dans la région Nouvelle-Aquitaine, le parti à la flamme remporte 5 députés dont la chef de file au conseil régional Edwige Diaz élue en Gironde. Dans l’Eure, fief du ministre de l’Économie Bruno Le Maire et du ministre des Armées Sébastien Lecornu, le parti de Marine Le Pen remporte 4 circonscriptions. Plusieurs figures du parti obtiennent un strapontin au Palais-Bourbon en battant des candidats macronistes sur des "terres de mission". Citons notamment l’ancien journaliste Philippe Ballard dans la seconde de l’Oise (55,8%), Julien Odoul dans la seconde de l’Yonne (55,8%), ou encore Jean-Philippe Tanguy dans la quatrième de la Somme (54,2%) et Laurent Jacobelli en Moselle. Marine Le Pen, pour sa part est confortablement réélue dans le Pas-de-Calais avec 62,5%. Quelque peu prise au dépourvu par des résultats qui dépassent ses espérances, elle s’est réjouie d’une "Assemblée de plus en plus nationale", de l’émergence d’une "avant-garde de l’élite politique" et a promis d’incarner une "opposition responsable". 

La Nupes : merci les citadins !

Unie, la gauche progresse et obtient 141 députés. Ce sont les insoumis qui se taillent la part du lion puisqu’ils passent de 17 à 86 députés élus. Les Verts font leur retour à l’Assemblée nationale tandis que communistes et socialistes gardent leurs groupes mais stagnent. Auraient-ils mieux fait sans accord Nupes ? Peut-être.

Dans tous les cas, si la France RN est périurbaine, la France de gauche est urbaine. Ainsi, toutes les circonscriptions de Seine-Saint-Denis sont Nupes, les deux circonscriptions strasbourgeoises détenues par la majorité passent entre les mains de la Verte Sandra Regol et d’une candidate insoumise. Dans les circonscriptions urbaines de Gironde, du Rhône, la gauche gagne du terrain. À Paris, les Verts Julien Bayou, Sandrine Rousseau et Eva Sas reprennent des sièges aux marcheurs. Il en est de même de l'insoumis Aymeric Caron qui bat Pierre-Yves Bournazel. La gauche regagne aussi des sièges dans des zones où elle est historiquement forte, notamment le sud-ouest où les insoumis se substituent aux socialistes. Malgré tout, la gauche, bien qu’en progression réalise un score en deçà des prévisions. Le principal gagnant de ces législatives semble être le RN.

Lucas Jakubowicz

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