La crise du coronavirus a joué le rôle d’un révélateur : insuffisante digitalisation des parcours, métiers en tension, illectronisme, soft skills requises par le télétravail généralisé, etc. Autant d’éléments qui font, selon Carine Seiler, Haut-commissaire aux compétences, de la formation professionnelle un levier de la relance.

Décideurs. Le Plan d’investissement dans les compétences (PIC) compte-t-il parmi les victimes de la Covid-19 ? 

Carine Seiler. Absolument pas. La crise accentue au contraire l’impérieuse nécessité d’investir dans les compétences. Elle exige une réponse forte et immédiate pour permettre à ceux qui ont perdu leur emploi et pour les jeunes confrontés à un marché du travail en crise de se projeter vers l’emploi, grâce à la formation. Et le Plan d’investissement est au rendez-vous. Grâce à la formidable mobilisation des organismes de formation et des CFA mais aussi de tous les acteurs – régions, Opco, partenaires sociaux… –, l’objectif d’amplification de l’effort de formation a été quasiment atteint en 2020. Avant la mi-mars 2020 et le 1e confinement, on enregistrait même une augmentation de 10 % dans l’effort de formation. La crise a par ailleurs eu pour effet d’accélérer la prise de conscience sur la nécessité de mieux intégrer le digital dans les parcours de formation et de franchir un cap significatif dans l’hybridation de la formation. C’est une transformation globale qui suppose, pour un organisme de formation, de faire évoluer sa pédagogie mais qui questionne également son modèle économique, son organisation, ses ressources humaines… 

Justement, par quels dispositifs ouvrir et éclaircir un horizon bien sombre ? 

Il s’agit de s’adresser en priorité aux jeunes qui sont l’avenir de notre pays mais dont le champ des possibles paraît, avec la crise, rétréci. Pour faire face à leurs besoins et à leur difficile insertion, le plan "1 jeune, 1 solution" permet de financer 100 000 formations qualifiantes supplémentaires destinées aux 16-29 ans. Nous dialoguons avec les régions pour qu’elles flèchent ces nouvelles formations vers les métiers d’avenir. Nous sommes en train de signer des avenants à nos Pactes régionaux d’investissement dans les compétences qui intègrent les priorités sectorielles du plan de relance autour des métiers stratégiques et émergents : comme le numérique, la transition écologique, la santé et les industries concernées par le programme de relocalisation des biens essentiels. Nous espérons ainsi augmenter le nombre de parcours en formation des 18-29 ans et favoriser ainsi leur insertion dans l’emploi. 

À condition toutefois de ne laisser aucun jeune sur le bord de la route… 

C’est pourquoi nous avons créé un dispositif spécialement dédié aux jeunes décrocheurs, la "Promo 16.18". Ce parcours de treize semaines veut rompre avec une habitude bien française : mettre systématiquement en échec les jeunes qui rencontrent des difficultés scolaires. Plutôt que de leur laisser le temps d’étudier les possibilités d’orientation qui s’offrent à eux ou de révéler leurs rêves et leurs talents, on exige d’eux qu’ils aient un projet professionnel. Or, à peine sorti de l’adolescence, n’est-ce pas normal de ne pas savoir exactement ce que l’on veut faire ? Pourtant, le système éducatif, les parents, la société dans son ensemble, demandent à ces jeunes de choisir un métier à 15 ans et, si possible, pour la vie. La "Promo 16.18" cherche à lutter contre cette forme de violence sociale. Ce dispositif de mobilisation innovant vise à réconcilier les jeunes avec leur avenir, à leur faire découvrir, en dehors de tout jugement et de toute logique d’évaluation, des métiers. Il s’agit ainsi de les accompagner sur le chemin de l’autonomie en les sortant de leur univers quotidien. Lors du parcours, il leur est également proposé de valider leurs compétences et leurs expériences par des open badges. 

"À peine sorti de l’adolescence, n’est-ce pas normal de ne pas savoir exactement ce que l’on veut faire ? "

L’émancipation passe-t-elle par les compétences numériques ? 

Oui, en partie, en effet. Conscients de cet enjeu, nous avons créé un nouveau dispositif pour répondre aux situations d’illectronisme en proposant 15 000 formations aux premières compétences numériques. Nous souhaitons agir de manière ciblée : les jeunes et les personnes en recherche d’emploi, les résidents des quartiers prioritaires de la ville et des territoires les plus fragiles. L’idée est de modéliser, à travers cette action, un parcours "sans couture" du diagnostic des premières compétences numériques, jusqu’au financement d’une formation personnalisée pour chaque personne présentant des lacunes dans ce domaine, et ciblée sur les compétences qui font défaut. 

Comment accompagner la digitalisation des organismes de formation ? 

C’est un enjeu majeur, le premier confinement a particulièrement révélé à la fois le retard de la France en matière de digitalisation de la formation et la très forte mobilisation des organismes de formation et des CFA pour maintenir le lien avec les apprenants. Il faut s’appuyer sur cette mobilisation et la prise de conscience des transformations à opérer qui en a découlé. Pour traduire cette ambition, le PIC porte en 2021 un projet très ambitieux de transformation et de modernisation de la formation, financé à hauteur de 300 millions d’euros. Nous proposons d’agir de façon simultanée à plusieurs niveaux, en facilitant l’accès à des contenus pédagogiques digitaux permettant d’acquérir un geste professionnel en ligne (en utilisant notamment des modules de réalité virtuelle ou augmentée), en solvabilisant l’accès à une offre d’accompagnement à la transformation pour les organismes de formation et les CFA, en soutenant le développement de lieux ressources de types tiers-lieux, accessibles aux apprenants, mais aussi aux organismes de formation, qui pourront y tester des ressources et méthodes pédagogiques innovantes, échanger de bonnes pratiques entre pairs... 

"Le PIC porte en 2021 un projet très ambitieux de transformation et de modernisation de la formation, financé à hauteur de 300 M€"

Le numérique, la transition écologique, etc. : la période conduit-elle à faire évoluer les priorités sectorielles ? 

Les besoins des principaux secteurs de l’économie ne sont pas tous impactés par la crise. On a toujours besoin de boulangers ou de maçons. Mais nous sommes face à une accélération des besoins de compétences liés notamment au numérique ou à la transition écologique. En outre, la crise a révélé ou accentué certains besoins, notamment dans le secteur du soin et de la santé. En révélant des diagnostics déjà connus, la crise nous encourage à affiner toujours davantage nos interventions. C’est dans cet esprit que nous avons par exemple demandé aux régions de s’engager à doubler le nombre d’actions de formation en matière de rénovation énergétique des bâtiments. De la même manière, parler de numérique ne suffit plus. Il faut désormais se lancer sur les métiers de la fibre, de la cybersécurité ou de l’internet des objets. Certaines filières en difficulté qui doivent travailler à des repositionnements d’activité sont également prioritaires : on pense à l’industrie mais également au secteur du tourisme qui est en pleine mutation. Il faut, dès aujourd’hui, s’atteler à construire les passerelles individuelles et collectives d’un secteur à l’autre. 

" Il faut, dès aujourd’hui, s’atteler à construire les passerelles individuelles et collectives d’un secteur à l’autre "

Quelle place accorder aux acteurs de terrain ? 

Le Plan d’investissement dans les compétences s’inscrit dans le temps long ce qui rend l’exercice plus exigeant mais permet d’adapter des parcours différents au plus près des besoins des entreprises. La collaboration avec les entreprises s’avère donc primordiale. Les régions qui sont compétentes en matière de formation des demandeurs d’emploi partagent cette conviction. Elles sont nombreuses à se placer dans des logiques de coconstruction de formations sur mesure. En échange, les entreprises qui bénéficient de parcours spécialement créés pour elles s’engagent à recruter en CDI ou en CDD les personnes qu’elles ont accueillies en formation. En complément, nous attendons également des régions qu’elles fassent évoluer les parcours de formation afin de bien coller aux besoins des entreprises. Or, par définition, les besoins des entreprises évoluent plus vite que les référentiels de certification. Nous invitons les régions à compléter ces parcours par des modules additionnels pour prendre en compte les besoins en compétences non couverts par le référentiel national, à les expérimenter localement avant que nous puissions les consolider au niveau national.   

Quels autres outils mettez-vous à la disposition des entreprises ? 

Nous soutenons la création d’un outil en open source qui permettra une lecture plus fine et plus réactive du désajustement entre l’offre et la demande en matière de compétences. D’ici la fin de l’année, cet outil devrait centraliser les données, par métier, concernant les personnes passées par l’intermédiaire de la formation initiale, continue ou l’apprentissage ainsi que les besoins en recrutement par employeur. Cela permettra d’identifier et d’expliquer le pourquoi de tels désajustements. Selon que l’outil révèle, pour telle filière dans laquelle un manque de compétences apparaît, que la cause relève d’un manque de candidats ou d’un manque de nombre de places en formation, la réponse n’est pas la même. La cause peut être un manque certain d’attractivité ou un manque d’anticipation des besoins de formation. Les acteurs auront ainsi toutes les cartes en main pour décider des actions les plus appropriées et, in fine, y remédier.  

Propos recueillis par Marianne Fougère 

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