Entrée en vigueur le 1er octobre 2016, la réforme du droit des contrats est sur toutes les lèvres. Mais si les trois quarts des 370 nouveaux articles du Code civil sont une simple codification de la jurisprudence, le quart restant cristallise le débat. Retour sur ces points qui risquent de mener à des contentieux.

Le devoir d'information précontractuelle

Art. 1112-1 : « Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. »

 

La phase de négociation du contrat acquiert une dimension nouvelle avec la réforme. « En codifiant la période précontractuelle, la Chancellerie a souhaité placer les négociations sous le contrôle de la bonne foi notamment par l’insertion de ce devoir d’information », observe Richard Marty, of counsel au cabinet Dentons et maître de conférences à l'université du Maine. La question qui se pose ici est de savoir jusqu'à quel point le devoir de s'informer de chaque partie se dissout dans le concept de « confiance ». « Il faudra s'attacher à identifier les informations que nous considérons comme déterminantes et à conserver la trace des échanges avec nos partenaires à ce sujet », note Caroline Baetz, contracts director chez Thales et membre de l’Association française du contract management (AFCM). Le préambule et les annexes des contrats pourraient revêtir une nouvelle importance en jouant le rôle de preuve des informations transmises entre les parties.

 

La violence

Art. 1143 : « Il y a […] violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

 

« La réforme consacre l’abus de l’état de dépendance, à deux conditions : que l’abus de cet état ait permis à la partie exerçant cette violence d’obtenir un avantage et que la partie en retire un bénéfice manifeste », explique Hervé Kensicher, avocat associé chez Orrick Rambaud Martel. La notion d'abus conserve ici le sens qu'on lui connaît, à savoir l'usage excessif d'un droit. La notion de violence en revanche n'est pas limitée à la seule violence économique. Elle désigne une contrainte, quelle qu'elle soit, exercée sur un contractant en vue d'obtenir de celui-ci un consentement forcé. Certaines relations contractuelles sont particulièrement concernées : les entreprises en procédures collective, les acteurs de la grande distribution, mais aussi les contrats de sous-traitance. « On peut légitimement s'attendre à ce que certains sous-traitants n'hésitent plus à utiliser cet argument en vue de mettre un terme à la relation ou rééquilibrer le rapport de force, analyse Rémy Rougeron, président de l’AFCM et directeur juridique du groupe Thales. Il convient donc de prendre en compte cet état de dépendance dans nos futurs contrats et d’en corriger les effets. »

 

« Le débat contentieux se portera sur la notion de substance et d'obligation essentielle »

La notion d'obligation essentielle

Art. 1170 : « Toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

 

Il s'agit ici de la codification de la fameuse jurisprudence Chronopost, qui avait jugé que livrer un bien dans un délai déterminé était une obligation essentielle du service de transport. Le but du législateur est d'imposer une cohérence et un équilibre contractuel. « Le débat contentieux se portera sur la notion de substance et d'obligation essentielle », prédit Richard Marty. La sanction prévue – réputer la clause non écrite – n'implique pas la nullité du contrat. La partie lésée n'a qu'à ne pas appliquer la clause : à charge au débiteur de prouver que celle-ci ne privait pas de sa substance l'obligation essentielle du contrat le cas échéant.

 

Le déséquilibre significatif

Art. 1171 : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. »

 

Les contrats d'adhésion sont ceux dont les conditions générales sont déterminées à l'avance par une des parties. Ils concernent clairement les contrats conclus entre des entreprises et des particuliers, mais peuvent aussi en concerner d'autres comme les contrats de franchise. « Cette notion doit être gérée de manière très tactique, observe Caroline Baetz. D'un point de vue vendeur, il va falloir faire attention à vérifier les clauses qui pourraient être considérées comme déséquilibrées ; d'un point de vue acheteur, constituer la preuve qu'il y a eu tentative de négociation sur les clauses jugées déséquilibrées. » L'article 1171 fait écho au L442-6-1-2 du Code de commerce, qui contient également la notion de déséquilibre significatif. Une piqûre de rappel qui doit rappeler les entreprises à la vigilance.

 

L'imprévision

Art. 1195 : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. […] À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »

 

Cet article est un véritable pied de nez au célèbre arrêt Canal de Craponne, rendu en 1876 par la Cour de cassation, qui consacrait le rejet de la théorie de l'imprévision. La plus grande interrogation est ici le rôle que le juge va pouvoir jouer : « En cas d'échec des discussions, les parties risquent l'imperium judiciaire, analyse Richard Marty. Le juge peut ainsi réviser le contrat à la demande d’une seule partie même si ce texte demeure supplétif de volonté. Les aménagements contractuels par une clause de hardship sont conseillés aux parties. » La question de savoir ce que le juge va faire de ce nouveau pouvoir reste entière. Mais quelques dispositions pourraient déjà limiter le recours à cette sanction. « On pourrait imaginer définir dans le contrat la notion d'excessivement onéreux : 50 % du prix, par exemple, illustre Vincent Fabre, juriste senior chez Thales. Cela peut être un moyen de se prémunir contre un recours en révision. »

 

« Le renforcement des sanctions fait écho à une protection accrue des parties en amont du contrat »

Les sanctions

La réforme du droit des obligations donne une nouvelle dimension à la notion de bonne foi, qui apparaît tant dans la négociation que dans la formation puis l'exécution du contrat. « Le renforcement des sanctions fait écho à une protection accrue des parties en amont du contrat, commente Richard Marty. C’est, pourrait-on dire, la dimension coercitive de la bonne foi et de la loyauté qui innervent, désormais, les temps du contrat. » La principale crainte concernant ces sanctions est leur caractère unilatéral. L'article 1220 par exemple stipule qu'« une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elles. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. » Le juge intervient donc a posteriori pour constater l'abus, mais une grande liberté est laissée aux parties en amont. Pour Richard Marty, le mécanisme est extrêmement efficace : « Cela donne la possibilité de retenir l'exécution de son obligation alors que l’inexécution manifeste de l'autre partie n'a pas été constatée mais simplement anticipée. En outre, il suffit d'une simple notification pour déclencher la procédure. » Si cette sanction demeure temporaire, elle n’en reste pas moins une véritable arme entre les mains des parties, qui pourraient toutefois tenter d'en atténuer les effets ou tout du moins de les contrôler. « Concrètement, nous pourrions reconnecter ces sanctions à des obligations précises, explique Vincent Fabre. Nous pourrions également organiser dans le contrat les sanctions pour que la résolution du contrat ne soit pas possible comme premier recours. Et enfin, limiter les réductions de prix unilatérales prévues dans l'article 1223 en mettant en place des planchers, à la manière des clauses existant déjà pour limiter les dommages et intérêts. »

 

Camille Prigent

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