La députée LREM de Paris, spécialiste de la haine en ligne, revient sur l’importance d’encadrer les réseaux sociaux, qui ont joué un rôle dans le décès de Samuel Paty.

Décideurs : Depuis le drame de Conflans-Sainte-Honorine provoqué, en grande partie, par les réseaux sociaux, le gouvernement est-il revenu vers vous pour vous demander de réfléchir à de nouvelles mesures ?

Laetitia Avia : Lorsque le projet de loi contre la haine en ligne a été censuré en partie par le Conseil constitutionnel au mois de juin, j’ai tout de suite affirmé que j’allais continuer à travailler sur le sujet. Depuis plusieurs mois, je collabore étroitement avec l’exécutif, notamment avec les ministères de la Justice, de l’Intérieur et le secrétariat d’État au Numérique. L’assassinat de Samuel Paty a provoqué une accélération du calendrier car ce drame a rappelé à tous, l’importance de mieux réguler les réseaux sociaux et de lutter contre les discours haineux car ils peuvent conduire à des agressions physiques, voire, malheureusement, à pire.

Le projet de loi contre le séparatisme pourrait-il inclure des mesures contre la radicalisation en ligne ?

Lors de son discours des Mureaux où les grandes lignes du projet de loi contre le séparatisme ont été tracées, le président de la République a évoqué parmi les piliers du plan de défense de nos valeurs républicaines "la lutte contre les atteintes à la dignité humaine" ainsi que "la lutte contre les discriminations". Ce sont aussi les fondements de la lutte contre la haine en ligne. Aussi, il ne faut pas oublier que les réseaux sociaux sont devenus un lieu de radicalisation et d’endoctrinement, en particulier de nos jeunes. C’est donc en cohérence que de nouvelles mesures seront annoncées dans le cadre de la loi contre le séparatisme.

Les réseaux sociaux tels que Twitter ou Facebook sont dans votre viseur. Quels obstacles créent-ils concrètement ?

C’est au mode de fonctionnement même de ces plateformes qu’il faut s’attaquer. Ils créent de la viralité auprès des contenus les plus polémiques et des contenus haineux. Ils censurent déjà beaucoup de contenus mais de manière opaque, selon leurs propres règles, selon leurs critères, sans aucun contrôle des pouvoirs publics.

Conséquence : on peut voir des propos dangereux partagés sans limite sur ces plateformes, tandis que certains comptes sont bloqués, alors qu’ils ne présentent pas de danger immédiat mais dérangent les mœurs véhiculées par ces plateformes. Aussi, il n’y a à ce jour pas de transparence sur les moyens, humains comme financiers, qu’ils consacrent à la modération et leurs résultats.

"Les Gafa censurent déjà beaucoup de contenu mais de manière opaque mais selon leurs règles et sans contrôle des pouvoirs publics"

Enfin, en matière de coopération judiciaire, lorsqu’il s’agit d’identifier les auteurs de contenus haineux, leur action est aussi aléatoire. Sur la pédopornographie et les contenus terroristes, par exemple, les réseaux sont très réactifs et coopèrent avec les autorités. En revanche concernant les appels à la haine ou les propos racistes ou encore homophobes, le taux de réponse aux demandes est quasi nul pour une plateforme comme Facebook. C’est aussi contre cette impunité qu’il faut lutter.

Conflans-Sainte-Honorine va-t-il marquer une rupture ?

Les réseaux sociaux sont des multinationales américaines qui font attention à leur image publique, qui est lourdement éprouvée aujourd’hui. Peut-être que le crime de Conflans-Sainte-Honorine marquera un tournant car internautes, politiques et pouvoirs publi cs dénoncent unanimement les dérives des réseaux sociaux. Toutefois, l’objectif n’est pas de demander des actions ponctuelles sous le coup de l’émotion, ni de mener des actions de communication. Nous devons légiférer pour demain, avec des mesures pérennes, permettant de changer durablement les choses.

C’est d’ailleurs l’un des objectifs du Digital Services Act en cours de réflexion à l’échelle européenne. Les réseaux sociaux doivent comprendre qu’ils doivent protéger leurs utilisateurs, et prendre toutes les mesures nécessaires pour cela. Aux Gafa de prendre leurs responsabilités, à nous de les responsabiliser via des sanctions financières dissuasives.

Au-delà de la régulation des réseaux sociaux, quelles mesures proposez-vous ?

Plus de moyens pour la justice en ligne, alléger les procédures qui sont beaucoup trop longues. Ainsi, je demande que les pourvoyeurs de haine sur internet fassent l’objet de comparutions immédiates pour être sanctionnés rapidement et mettre fin au sentiment d’impunité.

"Les pourvoyeurs de haine sur internet doivent faire l'objet de comparutions immédiates pour mettre fin au sentiment d'impunité"

Au-delà du volet répressif, le volet pédagogique et préventif a son importance. Il est nécessaire d’expliquer aux plus jeunes l’impact du harcèlement en ligne, la différence entre liberté d’expression et propos tombant sous le coup de la loi. Les dispositions sur le sujet n’ont pas été censurées par le Conseil constitutionnel, reste à les mettre en œuvre en se posant les questions suivantes : combien d’heures inclure dans les programmes ? À partir de quel âge ? Avec des intervenants extérieurs ou seulement des enseignants ? Si oui, lesquels et comment les former ?

Des mesures spécialement dédiées à l’islamisme politique en ligne vous semblent-elles pertinentes ?

Non, je ne pense pas que cela soit opportun. Notre droit nous permet de viser des situations et des atteintes sans pour autant les cibler sur telle ou telle dérive – et c’est bien mieux ainsi. La loi est de portée générale et c’est aussi ce qui évite de la contourner. On doit lutter contre toute forme d’endoctrinement, de radicalisation, d’enfermement des consciences via internet. Et ce sont tous les propos haineux sans exception qui doivent être identifiés et sanctionnés.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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