Le succès fulgurant d’Uber ne doit pas faire oublier ses résultats financiers décevants. Alors que le groupe prévoit son entrée en Bourse pour le premier trimestre 2019, il a développé une vision de la voiture du futur qui pourrait le mettre sur la voie du profit.

Un rapide coup d’œil aux résultats financiers d’Uber confirme la stratégie du groupe : écraser la concurrence, quitte à accumuler les pertes financières. Au troisième trimestre 2018, le dernier publié, le groupe perdait 1 milliard de dollars. Dans le même temps, les courses effectuées par ses chauffeurs progressaient de 6 %.

La stratégie de l’écrasement

La politique de prix agressive pratiquée par l’application fondée en 2009 par Travis Kalanick explique en grande partie ces pertes mais lui a permis de s’emparer de 75 % du marché des VTC aux États-Unis et d’être présent dans une soixantaine de pays et plus de 600 villes. Difficiles pour les chauffeurs de taxi traditionnels ou les applications de VTC concurrentes de s’aligner sur les prix pratiqués par Uber.

Cette stratégie d’écrasement a été longtemps utilisée par Amazon pour non seulement concurrencer les commerces physiques mais évincer les nombreux sites d’e-commerce qui fleurissaient dans les années 2000. Tant que les investisseurs suivent et financent l’entreprise, cette stratégie porte ses fruits. Ce fut le cas pour Amazon dont le succès boursier presque jamais démenti (son cours est passé de 130 $ en 2010 à plus de 2 000 $ en août 2018) lui a permis de soutenir sa guerre des prix.

Pour se financer, Uber a, depuis sa création, multiplié les levées de fonds. À celles-ci, estimées à 12 milliards de dollars, il faut ajouter les prises de partition comme celle de Softbank à hauteur de 10 milliards en 2017. Malgré tout, les ressources financières d’Uber tendent à s’épuiser, ce qui explique le projet d’introduction en Bourse prévu pour le premier trimestre 2019. Le groupe vise une valorisation de 120 milliards de dollars, ce qui lui permettrait de décrocher le titre de plus importante IPO de l’histoire de la tech.

Éliminer le « maillon faible »

Uber voit plus loin. Pour améliorer sa rentabilité, l’entreprise réfléchit à éliminer purement et simplement le chauffeur – le maillon faible de son business model, selon elle. Le modèle Uber repose sur la mise en relation, grâce à une application, de clients et de chauffeurs, considérés comme indépendants. Sur le papier, les coûts de l’entreprise américaine sont donc réduits.

La question des chauffeurs soulève cependant deux principaux problèmes. Tout d’abord, la commission. Celle d’Uber sur chaque course effectuée s’élève, en France, à 25 %. Ensuite, les attaques se multiplient contre son modèle économique. Le 10 janvier 2019, la Cour d’appel de Paris a requalifié en contrat de travail la relation entre le service de VTC et un chauffeur. Une très mauvaise nouvelle pour Uber et qui n’est pas isolée. Ses chauffeurs ont été considérés comme des salariés par la justice britannique, et des décisions allant dans le même sens ont été prises par des tribunaux américains.

Éliminer le facteur humain permettrait donc à Uber de se retirer deux épines de la roue. Pour cela, l’application de VTC mise, depuis 2015, sur les véhicules autonomes. Elle a racheté la start-up Otto, spécialisée dans les camions autonomes, avant de mettre fin à ses activités en 2018 pour des raisons essentiellement légales. Cet arrêt n’a pas empêché Uber de poursuivre ses recherches en matière de conduite autonome. Depuis 2016, des véhicules autonomes estampillés par le groupe circulent d’ailleurs sur les routes américaines.

En 2017, l’entreprise signe un contrat d’importance avec Volvo. Le constructeur suédois s’est engagé à lui fournir 24 000 véhicules compatibles avec la conduite autonome et sur lesquels Uber installe sa propre technologie. C’est d’ailleurs une Volvo d’Uber qui a été impliquée, en mars 2018, dans l’accident mortel qui a mis un coup d’arrêt provisoire aux ambitions du spécialiste des VTC. Jusque-là, celui-ci prévoyait une utilisation commerciale de ses véhicules autonomes dès l’été 2018 dans la ville de Pittsburgh. L’accident a repoussé cette date butoir. Uber a dû suspendre ses expérimentations sur les routes et fermer un centre de tests situé dans l’Arizona.

Uber réembraye

Cependant, à partir de juillet 2018, le groupe a progressivement repris ses essais avec des véhicules autonomes mais pilotés en mode manuel par un humain. Depuis décembre dernier, Uber est autorisé par l’État de Pennsylvanie à redémarrer ses expérimentations sur ses routes mais dans des conditions plus strictement encadrées. De quoi permettre à Uber de repasser la seconde en matière d’autonomie.

Le groupe a aussi signé, en juillet 2018, un partenariat avec Toyota. Le constructeur japonais a annoncé investir 500 millions de dollars dans Uber pour développer, à l’horizon 2021, un service de taxis sans chauffeur.

Ce partenariat marque un changement de stratégie de la part du spécialiste des VTC. Son nouveau PDG, Dara Khosrowshahi, cherche à réduire les pertes de l’entreprise et donc les dépenses de R&D. L’investissement de Toyota lui permet de reprendre ses expérimentations en matière d’autonomie à un coût bien moindre. Uber ne cherche manifestement plus à développer ses propres véhicules mais à proposer sa technologie en matière de conduite autonome aux constructeurs, grâce à des partenariats. Une stratégie qui revient à l’essence même de l’« uberisation » : mettre une technologie à disposition, sans en assumer les coûts matériels.

La voiture du futur selon Uber ? Elle sera peut-être signée Toyota ou Volvo mais elle sera bien sans chauffeur, grâce à la technologie du spécialiste des VTC.

Cécile Chevré

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