Avec 1,7 milliard d’utilisateurs actifs à travers le monde, Facebook domine de la tête et des épaules le marché des réseaux sociaux. Si aucun concurrent ne représente une menace crédible pour cette plate-forme généraliste, cela n’empêche pas le géant américain de se réinventer pour éviter de connaître la chute que certains observateurs lui prédisent.

Le fantôme de MySpace hanterait-il depuis peu les pensées de Mark Zuckerberg ? Le réseau star du début des années 2000 avait attiré des centaines de millions d’utilisateurs à travers le monde avant de disparaître, subitement délaissé par les geeks et les adolescents. Le modèle ambitieux de Facebook, sa plus grande popularité internationale ainsi que sa puissance financière sont autant d’éléments qui laissent supposer un avenir moins sinistre pour la firme américaine. Si la chasse à l’innovation a toujours fait partie de l’identité intrinsèque du groupe, celle-ci s’est accélérée au mois d’octobre après l’éclosion de plusieurs difficultés.

 

 

Une popularité en baisse chez les jeunes

 

 

Le premier camouflet a été essuyé en février lorsque le gouvernement indien a refusé le déploiement du service Free Basics. Les dirigeants du pays tiraient un trait sur un accès gratuit à Internet pour leurs concitoyens, la trop grande dépendance vis-à-vis du réseau social les effrayant. Au-delà de cet accroc ponctuel, des tendances de fond peuvent menacer à moyen terme le mastodonte de la Silicon Valley. Tout d’abord, l’explosion du nombre de réseaux spécialisés laisse présager une érosion du nombre d’utilisateurs actifs. Instagram (propriété de Facebook) et Snapchat pour le partage de photos, Youtube pour la vidéo, Twitter pour la communication personnelle et les médias, Slack pour la messagerie, Linkedin pour la vie professionnelle, Reddit pour les tendances du Net… Chaque segment est amélioré pour les utilisateurs finaux, irrémédiablement poussés vers d’autres plates-formes. L’étude semestrielle du cabinet Piper Jaffray sur les habitudes des moins de 25 ans vient de révéler que seulement 52 % des jeunes Américains consultent Facebook tous les mois. Pire, seulement 13 % des sondés ont affirmé que le réseau social était leur plate-forme favorite, un chiffre qui ne cesse de diminuer. Autre souci récurrent : le modèle publicitaire. Les prix proposés semblent élevés aux yeux des annonceurs lorsqu’ils constatent à quelle vitesse les utilisateurs de Facebook font défiler leur fil d’actualité. Enfin, des interrogations sur l’utilisation mystérieuse des données personnelles collectées en masse ne manquent pas d’animer le débat public.

 

Pour éviter de sombrer dans une spirale infernale, Facebook n’hésite pas à lancer d’audacieux chantiers. Le mois d’octobre est particulièrement révélateur de cette soif de renouveau. Après l’ouverture du laboratoire « Area 404 » en août dernier pour favoriser le prototypage physique, quatre grandes innovations ont rythmé l’actualité de cet automne. La première est une réponse à l’accusation d’être le Big Brother des temps modernes. Facebook a mis en place au début du mois une option de chiffrement des conversations sur Messenger afin que seuls les interlocuteurs puissent avoir accès aux contenus échangés. Un moindre mal pour assurer la confidentialité des échanges, mais une fonctionnalité qui n’est pas enclenchée par défaut.

 

 

"Marketplace" et "Workplace" : deux remèdes à la crise

 

 

Dans la foulée, l’annonce du lancement de Facebook Marketplace, une plate-forme d’e-commerce, a encore plus secoué l’univers du Net. L’entreprise de Menlo Park a investi dans ce domaine pour répondre à une demande forte de ses utilisateurs. Mary Ku, responsable du projet, l’a souligné au Monde : « Plus de 450 millions de personnes se rendent sur les groupes d’achat et de vente d’objets chaque mois. » Les petites annonces entre particuliers étaient jusqu’ici l’apanage du Bon Coin en France et d’e-Bay ou de Craigslist à l’international. Disponible dans quatre pays (États-Unis, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande), la fonctionnalité devrait bénéficier d’une excellente visibilité sur la version mobile de l’application pour rapidement gonfler son nombre d’utilisateurs.

 

En octobre toujours, le 10 du mois, ce sont les réseaux professionnels qui ont grincé des dents. « Workplace », jusque-là nommé Facebook at Work, s’est ouvert à toutes les sociétés de la planète après avoir passé une phase de tests menée auprès d’un millier d’entreprises. L’objectif de cette nouvelle initiative a été décrit simplement par son responsable Julien Codorniou aux Échos : « Amener Facebook dans le monde de l’entreprise. » Révolution dans la révolution, Workplace sera payant et met fin au modèle gratuit prôné jusque-là par le groupe. Toutefois, avec un coût par utilisateur actif compris entre un et trois dollars par mois, les tarifs proposés sont bien plus agressifs que ceux des acteurs déjà en place. Tous les services de la plate-forme grand public seront disponibles, favorisant une appropriation rapide de l’outil. Les intranets et les e-mails internes se verraient remplacés par des pages faciles à créer et une messagerie instantanée. Danone, une des entreprises ayant intégré l’outil, a déjà inscrit 30 000 collaborateurs sur Workplace. « Plusieurs centaines de millions d’utilisateurs » sont visés à terme.

 

Dernière nouveauté en date, une application lancée le 19 octobre qui permet de commander un repas ou des billets de spectacles sans sortir de Facebook. Avec un système de recommandations et de réservations intégré, le réseau social s’appuie sur sa forte popularité auprès des PME pour renforcer les interactions entre ses utilisateurs et les commerces locaux. Cette fonctionnalité n’est pour l’instant disponible qu’aux États-Unis. Des acteurs comme Yelp ou Lafourchette pourraient voir ce projet comme une menace directe pour leurs activités.

 

Il faudra voir désormais si cette boulimie de nouvelles idées va laisser place à une consolidation des segments les plus performants ou au contraire à une série de lancements successifs jusqu’à la formation d’un conglomérat sans limite. À ouvrir tellement de fronts, l’empire Facebook progresse autant qu’il s’expose.

 

 

Thomas Bastin

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