Face à l’arsenal juridique des États-Unis en matière d’anticorruption et aux lourdes sanctions qui pénalisent l’économie française, la France a dû, elle aussi, se doter d’armes pour riposter et être en mesure de se défendre. Panorama des outils juridiques et des politiques anticorruption françaises et européennes.

La loi Sapin 2, qu’est-ce que c’est ?
La loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 », a pour ambition selon Bercy de porter la législation française aux meilleurs standards européens et internationaux en matière de lutte contre la corruption. Le projet de loi a été adopté par le Parlement le 8 novembre 2016 et validé par le Conseil constitutionnel un mois plus tard.

L’extraterritorialité de la loi
Avec Sapin 2, la loi française est désormais applicable 
« en toutes circonstances » pour venir sanctionner tout délit de corruption commis à l’étranger par une personne physique ou morale française ou par une personne résidant habituellement ou exerçant tout ou partie de son activité économique sur le territoire français.

Loi Sapin 2 : Airbus suivra-t-il le même chemin que HSBC ? 
Soupçonné d’irrégularités sur plusieurs transactions, Airbus est sous le coup d’enquêtes du Parquet national financier (PNF) en France et du Serious Fraud Office (SFO) au Royaume-Uni. Les contrats litigieux porteraient sur la vente de 34 A320 à la compagnie Turkish Airlines et de 150 Airbus à la Chine en 2010, pour une valeur totale d’environ 15,2 milliards d’euros. Conscient des risques encourus, l’avionneur européen a décidé de dénoncer lui-même ces irrégularités. Le but : échapper à un procès et aux autorités américaines. Cette coopération avec les autorités judiciaires permet au groupe de négocier un Differed Prosecution Agreement (DPA) au Royaume-Uni et une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en France. Cette dernière lui offre la possibilité d’éviter le procès, mais à la condition de payer une lourde amende qui peut s’élever jusqu’à 30 % de son chiffre d’affaires annuel moyen.

Image

Comment fonctionne la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) ?
La loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a introduit la CJIP dans le droit pénal français. Inspirée par le modèle américain du deferred prosecution agreement, elle s’adresse aux personnes morales mises en cause pour corruption, trafic d’influence, blanchiment, blanchiment aggravé et blanchiment de fraude fiscale en leur permettant de négocier une amende sans aller en procès ou sans plaider coupable.

  • Comment est-elle mise en œuvre ? 
    Elle peut être mise en œuvre sur proposition du procureur de la République. 
    Elle n’est possible que si l’action publique n’est pas encore mise en mouvement. 

 

  • Quand prend-elle effet ? 
    Elle prend effet lorsque le président du tribunal de grande instance, saisi par une requête du procureur de la République, la valide au terme de débats publics et contradictoires. 

 

  • Que se passe-t-il en cas de non-respect de la CJIP ?
    En cas de non-respect des obligations contenues dans la CJIP, le ministère public devra notifier à l’entreprise l’interruption de la convention et l’action publique pourra être mise en mouvement. La personne morale pourra récupérer l’amende versée au Trésor public, toutefois elle ne récupérera pas les frais versés à l’AFA. En cas de réussite, la CJIP vient éteindre l’action publique.
Image

Création du parquet européen contre la fraude
En 2020, un parquet européen pour lutter contre la fraude verra le jour. Il sera chargé de mener des enquêtes sur les auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.
Le parquet européen, qui prendra la forme d’un organe décentralisé intégré dans les systèmes judiciaires nationaux, sera animé par un procureur européen ainsi qu’une équipe de procureurs délégués dans les États membres. Il pourra engager des poursuites à l’encontre des auteurs d’infraction et les traduire en justice. Selon la Cour des comptes européenne, les fraudes transfrontalières à la TVA représentent entre 40 et 60 milliards d’euros de pertes annuelles de recettes.
 Pour Stéphane de Navacelle, avocat spécialiste des questions internationales, « la réponse face aux lourdes sanctions financières des États-Unis, c’est évidemment l’Europe. Il faut structurer ce parquet européen ». Mais pour cela, « les pays européens doivent se faire confiance et privilégier l’Europe à la souveraineté », assure-t-il. Si les avis ne sont pas tous favorables à la création d’un parquet européen, ce nouvel organe pourrait constituer une première réponse européenne aux sanctions américaines.

Image

Premier recours à la CJIP 
Le 14 novembre dernier, le tribunal de grande instance de Paris homologuait la première CJIP entre le Parquet national financier (PNF) et HSBC Private Bank, qui a payé 300 millions d’euros dans le but d’échapper à un procès pour fraude fiscale. Entre 2006 et 2007, HSBC aurait permis à plus de 3 000 contribuables de frauder le fisc pour un montant estimé à au moins 1,6 milliard d’euros.

Image

La création de l’Agence française anticorruption 
L’objectif de l’AFA est d’assister les entreprises en matière de lutte contre la corruption. Héritière du Service central de prévention de la corruption (SCPC), l’agence dispose de soixante-dix agents et d’un budget compris entre 10 et 15 millions d’euros. Elle complète d’autres autorités et dispositifs de lutte contre la délinquance économique et financière comme le Parquet national financier, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et le statut général des lanceurs d’alerte.

Image

Ils ont déclaré à Décideurs :

  • « La loi Sapin 2 ne vise pas seulement à sanctionner les entreprises, mais à les faire progresser. C’est notamment ce qui distingue la France des pays anglo-saxons qui ont une législation anticorruption essentiellement répressive. »  Marc-André Feffer, président de Transparency International France.
  •  
  • « L’intérêt de la loi Sapin n’est pas de lutter contre la corruption ni de mettre en place des mécanismes de sanction mais d’installer des plans de prévention. Les Britanniques l’ont déjà fait avec le UK Bribery Act. » Dominique Lamoureux, directeur éthique et responsabilité du groupe Thales, président du Cercle d’éthique des affaires.

 

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail