Entrée en vigueur le 1er octobre 2016, la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, vient préciser les modalités de la réparation des dommages causés à l’environnement proprement dit lorsque les mécanismes traditionnels de la responsabilité ne peuvent pas être actionnés.

 

 

Par Arnault Buisson-Fizellier, avocat associé, BFPL avocats 

et Marine Demonchaux, avocat, BFPL avocats 

 

La loi du 8 août 2016, introduit dans le Code civil, aux articles 1246 à 1252, des dispositions destinées à reconnaître la notion de préjudice écologique et à en encadrer sa réparation. Avant son entrée en vigueur, le préjudice écologique pouvait en effet être réparé sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
Les titulaires de cette action rencontraient toutefois une difficulté en matière de réparation du préjudice écologique « pur » (atteintes à l’environnement lui-même, indépendamment de ses répercussions sur les personnes et/ou les biens), dès lors que le dommage n’était pas subi par « autrui mais par la nature elle-même ». Même si la Cour de cassation avait admis la possibilité de la réparation du préjudice écologique « pur » dans l’affaire ERIKA (Cass. Crim. 25 septembre 2012, n°1082.938), la mise en œuvre de ce régime était souvent impossible quand le demandeur ne justifiait pas du caractère personnel du dommage subi.
Le Législateur a aujourd’hui pris en compte les spécificités inhérentes à l’indemnisation du préjudice écologique afin de permettre une réparation globale et adaptée.
 

Définition du préjudice écologique
Le préjudice écologique est « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » (C. civ. Art. 1247).
Cette définition s’écarte de celle retenue jusqu’alors par la Jurisprudence(« atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction » : Cass. Crim. 22 mars 2016, n°1387.650) et se rapproche de celle donnée par la Doctrine (« atteinte aux éléments et/ou aux fonctions des écosystèmes, au-delà et indépendamment de leurs répercussions sur les intérêts humains » in Nomenclature des préjudices environnementaux, LGDJ).
 

« Le Législateur a pris en compte les spécificités inhérentes à l’indemnisation du préjudice écologique afin de permettre une réparation globale et adaptée »


Réparation en nature et action spécifique pour prévenir et faire cesser le dommage
L’article 1249 du Code civil prévoit que la réparation du préjudice écologique s’effectue en priorité en nature. Celle-ci vise à supprimer, réduire ou compenser le dommage.
Ce n’est que dans le cas d’une impossibilité de réparation en nature que le Juge pourra allouer des dommages et intérêts. Le législateur déroge au principe général de libre disposition des dommages et intérêts en prévoyant que l’indemnité devra être affectée « à la réparation de l’environnement ».
Les dommages et intérêts seront octroyés en priorité au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à la réparation de l’environnement, à l’État. C’est une avancée majeure visant à éviter d’éventuels abus concernant l’utilisation des indemnités. Le Législateur a également investi le Juge de pouvoirs lui permettant de prévenir ou faire cesser le dommage. L’article 1252 du Code civil dispose en effet que les titulaires de l’action prévue à l’article 1248 du Code civil bénéficient d’une action spécifique pour solliciter du Juge qu’il « prescrive les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage ».
La notion de prévention des risques n’est donc pas occultée puisque le Juge peut intervenir en amont afin d’éviter la survenance d’un préjudice écologique.

 

Préjudice réparable
L’alinéa 3 de l’article 1249 dispose que, outre la réparation du dommage écologique, l’évaluation de ce préjudice tient compte «  des mesures de réparation déjà intervenues en particulier dans le cadre de la mise en œuvre du titre VI du Livre 1 du Code de l’environnement » (art. L. 162-6 à L. 16212 du Code de l’Environnement). Il revient au préfet du département concerné par la pollution de vérifier la nature et l’exécution de ces mesures de réparation (art. R. 162-2 du Code de l’Environnement). L’article 1251 du Code civil précise que constituent également un préjudice réparable « les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage », cela lorsqu’elles ont été engagées pour éviter son aggravation ou pour en réduire les conséquences.
Il semble que le Législateur ait, en faisant référence au caractère « non négligeable » de l’atteinte à l’environnement, souhaité introduire un seuil en deçà duquel certains dommages n’auraient pas à être réparés. Aucune définition n’est cependant donnée de ce caractère « non négligeable » de l’atteinte à l’environnement. Il pourrait être fait référence à des atteintes bénignes comme en matière de trouble anormal du voisinage. Cette notion de seuil était également envisagée par l’Assemblée nationale qui proposait que seules les « atteintes graves et durables » à l’environnement fassent l’objet d’une réparation. Ce caractère devra s’apprécier au cas par cas par les Juridictions qui seront saisies d’une action en réparation.


Personnes pouvant engager une action en réparation
L’article 1248 du Code civil énumère les personnes qui ont qualité et intérêt à agir pour obtenir réparation du préjudice écologique, soit l’État, l’Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales, les établissements publics, les fondations reconnues d’utilité publique, ainsi que les associations agréées ou ayant au moins cinq ans d’existence et qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.


Prescription décennale
Selon les dispositions de l’article 1226-1 du Code civil, l’action en responsabilité tendant à la réparation du préjudice écologique se prescrit par dix ans à compter du « jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice écologique ».
Ce délai, très favorable au titulaire de l’action, déroge au délai de droit commun de l’article 2224 du Code civil.
En conclusion, l’intérêt de la loi du 8 août 2016 est double : assurer l’efficacité de la réparation du préjudice écologique et garantir aux personnes concernées une sécurité juridique renforcée.
Cette avancée n’est pas à négliger par les entreprises qui doivent l’intégrer dans leur politique environnementale. Les experts doivent aussi en tenir compte pour mieux évaluer la nature et le quantum des réparations.
La prochaine étape sera vraisemblablement la création d’un fonds d’indemnisation qui permettra la réparation du préjudice écologique même dans le cas où l’auteur des faits reste inconnu ou est insolvable.
 

 

 

LES POINTS CLÉS

  • Priorité est donnée à la réparation en nature afin de prévenir ou supprimer le dommage écologique.
  • L’indemnité de réparation du dommage à l’environnement doit être spécifiquement affectée à la réparation de ce dommage.
  • La réparation des atteintes à l’environnement lui-même est inscrite dans le Code civil.
  • Est donnée une définition du préjudice écologique dont le caractère non négligeable devra être précisé par le juge au cas par cas.
  • Le délai décennal de prescription de l’action en réparation des dommages est favorable aux titulaires de l’action.

 

SUR LES AUTEURS
Arnault Buisson-Fizellier, avocat associé de BFPL Avocats, et sa collaboratrice Marine Demonchaux, interviennent tant en conseil qu’en contentieux en matière de risques industriels/assurances, et plus spécifiquement en droit pénal quand les infractions sont poursuivies en matière de droit de l’environnement, d’exploitation non conforme de sites classés ou d’accident du travail
 

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail